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Crise ivoirienne : grand saut dans le vide

Publié le lundi 31 octobre 2005 à 08h05min

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Avec quelle gueule Abidjan va-t-elle se réveiller ce matin ? Avec une mine sereine et calme à l’image des quartiers chics de Cocody, des Deux Plateaux ou de la Rivièra ou agitée et endolorie, comme aux lendemains des soirées bien arrosées de Treichville ou de Yopougon ?

Hier au moment de tracer ces lignes, nul ne savait véritablement comment se passerait la nuit qui vient de s’écouler même si avec le calme qui régnait dans la journée, il n’y avait aucun préavis de tempête sur la lagune Ebrié. Calme trompeur ? Paix fourrée ?

Sans doute. A l’heure où vous parcourez ces lignes en effet, la Commission électorale indépendante et ses démembrements devaient être en train de compter les voix des différents candidats à la présidentielle et peut-être que dans l’après-midi ou en début de soirée, on en aurait eu les premières tendances. Hélas ! On en est encore loin. Initialement prévue pour ce dimanche 30 octobre, la présidentielle ivoirienne a, on le sait, été repoussée sine die, le pouvoir d’un côté, l’opposition civile et militaire de l’autre, ne s’entendant ni sur le désarmement des belligérants ni sur les conditions pour aller aux urnes.

En fait, depuis des mois, surtout après l’échec du médiateur sud-africain Thabo M’Beki, même les plus candides des observateurs de la scène ivoirienne ne se faisaient plus d’illusion sur la possibilité d’organiser un scrutin libre, transparent et équitable à la date initialement prévue. C’est donc tout naturellement que l’Union africaine, suivie peu de temps après par l’Organisation des Nations unies (ONU), a prolongé d’un an le mandat du président Laurent Koudou Gbagbo. Au grand dam de ses contempteurs, qui s’étaient mis à rêver d’une transition sans l’enfant terrible de Mama, en tout cas pas au palais de Cocody.

Mais sauf à vouloir défier une communauté internationale qui fait de moins en moins mystère de son irritation et de sa lassitude sur le dossier ivoirien, et donc à se mettre objectivement sur la liste des "sanctionnables", Alassane Dramane Ouattara, Henri Konan Bédié et Guillaume Soro n’ont plus d’autre choix que de subir encore un an (au maximum) leur ennemi intime.

Le bail de Gbagbo prolongé, le bogue politique du 30 octobre 2005 avec ses corollaires probables de dérèglements des institutions, de chaos social voire de reprise des hostilités, que certains redoutaient, ne devraient donc pas avoir lieu. Mais si cette solution a l’heur de combler le vide juridique, au fond elle ne règle rien et le "lenga" (1) de 365 jours accordé au chef de l’Etat sortant risque de s’avérer inutile si les différents protagonistes de la crise ne font pas des efforts supplémentaires. En réalité, s’ils ont évité le vide juridique, c’est un grand saut dans l’inconnu que les Ivoiriens viennent de faire.

Seydou Elimane Diarra mis sous l’éteignoir dès sa nomination le 25 janvier 2005 sur les bords de la Seine dans la foulée de la conférence de Kléber, il faudra lui trouver maintenant un remplaçant à la primature. Mais dans ce marigot ivoirien, où les gros crocodiles ne se font guère de cadeau, on se demande bien qui sera cet homme (ou cette femme) providentiel(le) qui réussira le tour de force d’être accepté (e) par tous et, comme dit le dicton, de contenter tout le monde et son père. On va donc pinailler quelque temps pour dénicher cet oiseau rare.

Ensuite, quand on l’aura trouvé, va-t-il disposer des prérogatives présidentielles que son prédécesseur n’a jamais eues si ce n’est du bout des lèvres ou sur le papier ? On peut en douter. Toutefois, le plus dur, comme on l’a vu jusque-là, devrait être la mise en œuvre effective du Plan national de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (PN-DDR), qui n’est jamais allé plus loin que le symbole du vieux Elimane, flottant dans sa tenue de combat, se faisant désarmer.

Dans cette poudrière ivoirienne, où on négocie le doigt sur la détente et le couteau entre les dents, les ex-rebelles ont sans doute de bonnes raisons d’être prudents comme des Sioux, car en bon boulanger-pâtissier, leur vis-à-vis en a déjà roulé plus d’un dans la farine. Cela étant, il faut se demander si, embarquées dans une voie sans issue ou même pour des raisons bassement matérielles, les Forces nouvelles ne traînent pas exprès les pieds et ne font pas dans la surenchère politique pour éviter de déposer les armes.

Il est vrai que quand, au fil des ans, on a fini par se criminaliser, pour les plus modestes et même pour les gros poissons, ou qu’on est devenu un socialo-jouisseur roulant carrosse à Ouaga où on collectionne duplex et villas cossues quand on n’ouvre pas des maquis branchés pour ses maîtresses alors que même dans ses rêves les plus fous on n’aurait jamais imaginé cela, on peut, c’est humain vous savez, éprouver quelques difficultés à retourner au garba ou au RAS (riz à sauce) de la caserne.

Pour tout dire, si blocage il y a, la responsabilité d’une telle situation est à tout le moins partagée. En trois ans, on aura en tout cas tout essayé sans jamais trouver le meilleur remède. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tranché le nœud gordien des vicissitudes socio-politiques ivoiriennes de ces dix dernières années qu’est ADO avec sa candidature. Il y a certes d’autres conditions à remplir pour un retour à la paix et pour la tenue d’un scrutin ouvert et équitable (questions de la CENI, de l’identification, etc.), mais en acceptant ce qu’il avait juré de ne jamais accepter, Laurent Gbagbo a quand même, reconnaissons-le, fait un pas dans la bonne direction.

Aux autres aussi d’en faire au lieu de se réfugier, parfois à tort, dans une sorte d’irrédentisme faite de calculs politiciens, de méfiance voire de défiance. Autrement, la prolongation du mandat actuel ne servira à rien, à moins que l’ONU se décide enfin à taper du poing sur la table pour sanctionner les empêcheurs de pacifier en rond.

(1) Bonus

Observateur Paalga,

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Vos commentaires

  • Le 1er novembre 2005 à 01:35, par MAC SMART En réponse à : > Crise ivoirienne : grand saut dans le vide

    Bon papier,dans la forme et dans le fond.J’ai amé la légèreté du ton qui ne fait guère oublier la gravité de la situation.

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