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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (13)

Publié le mercredi 28 septembre 2005 à 11h22min

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RMC Kaboré, Premier ministre en 1994

La dévaluation du franc CFA, contre laquelle le président Blaise Compaoré avait, depuis plusieurs années, mené une rude bataille, va bien plus marquer les esprits que l’économie burkinabè. Dès le 12 janvier 1994, le contrôle des prix, le contrôle des marges et le contrôle des stocks sont réinstaurés ; les procédures d’homologation des prix des produits et marchandises de fabrication locale sont rétablies.

Toute augmentation de prix doit faire l’objet d’accord préalable du ministère de l’Industrie, du Commerce et des Mines. Mais, libéralisation oblige, il n’existe plus un seul contrôleur des prix opérationnel dans le pays.

Les Libanais, qui contrôlent l’essentiel du commerce d’export-import et de la distribution, vont monter au créneau. C’est Michel Z. Fadoul, qui exploite une vingtaine d’entreprises dans la sous-région, qui conduira la délégation reçue par le Premier ministre, Youssouf Ouédraogo. C’est la valse des étiquettes dans les hôtels, les restaurants et les commerces ; opération est simple : les prix sont multipliés par deux !

Philippe Ouédraogo, président du Conseil économique et social (CES), secrétaire général
du Parti africain de l’indépendance (PAl), ne manque pas d’être préoccupé et le dit clairement : "Je vois cette dévaluation avec beaucoup d’appréhension, confiera-t-il au quotidien Le Journal. On ne voit pas, en effet, dans notre économie, une dégradation telle qu’il faille arriver nécessairement à une dévaluation aussi forte".

Politiquement, l’affaire est délicate à gérer. Lors de l’inauguation du barrage de Bagré, au lendemain de l’annonce de la dévaluation du franc CFA, j’étais sur le terrain avec le chef de l’Etat et le Premier ministre. La population locale était soudée dans un étrange silence ; pas un mot, pas un applaudissement sur le passage du chef de l’Etat qui, du même coup, a évité le "bain de foule" prévu au programme. Et beaucoup ne manquent pas d’affirmer que "Sankara, jamais, n’aurait accepté ce camouflet".

Le monde des affaires est tout aussi remonté à l’encontre du chef de l’Etat : "Comment, s’exclame une des personnalité du business local, alors qu’à chaque retour de mission à l’étranger, Blaise Compaoré n’est pas avare de commentaires, aujourd’hui, sur cette importante affaire, il fait le silence".

Du même coup, l’axe Paris-Ouaga va en subir les effets collatéraux. Il était devenu le vecteur majeur de valorisation de la coopération entre la France et l’Afrique francophone (même si Ouagadougou s’était fait souffler l’organisation du sommet francophone par Cotonou !), Compaoré étant intronisé go-between en Afrique de l’Ouest pour y éteindre les incendies politiques. Le président burkinabè fera grief au ministre français de la Coopération de l’avoir trop "mouillé" dans cette affaire de gros sous qui ne tient pas ses promesses.

Youssouf Ouédraogo qui plaidait pour une dévaluation à plusieurs vitesses (50 % pour les
uns, 25 % pour les autres, dont le Burkina Faso), ne me cachait pas alors qu’il était préoccupé par l’ampleur de la dévaluation. "Le problème, disait-il, est que nous avons institué une monnaie commune avant de mettre en place une politique économique commune". Il va s’efforcer, désormais, de mettre en place une "stabilisation sans inflation". Il n’aura pas le temps de s’atteler à son nouvel objectif.

Depuis plusieurs mois déjà, on évoquait son départ de la Primature ; il sera effectif le dimanche 20 mars 1994. C’est Roch Marc Christian Kaboré qui est nommé au poste de Premier ministre de la République du Faso. Dès le 22 mars, il formera son premier gouvernement.

Kaboré n’est pas un nouveau venu sur la scène politique burkinabè ; mais il n’appartient pas à cette "élite" politique qui, après avoir conduit la révolution de 1983 a mené à son terme celle de 1987. Fils d’un "banquier" (Charles Bila Kaboré a été également ministre des Finances en 1963-1965 et ministre de la Santé publique et de la Population en 1965-1966), bachelier à 18 ans, titulaire d’un DESS en gestion et d’un certificat d’aptitude à l’administration et à la gestion des entreprises, il va se retrouver, à son retour au Burkina Faso au lendemain de la "Révolution de 1983", à la direction générale de la Banque internationale du Burkina (Bib).

RMCK ou "le Rocco", comme on l’appelle à Ouaga, affirme souvent ne pas être un "politique". "Je dois dire que j’ai eu une carrière politique qui n’était pas prévisible. Le déclic est parti de ]989 lorsque le Président du Faso m’a demandé d’assumer la fonction de ministre des Transports et des Télécommunications".

En fait, Kaboré a appartenu à l’Union de lutte communiste reconstruite (ULC-R), créée en 1984 (composante du CNR qui gouvernait le pays depuis le 4 août 1983). L’ULC(R) avait pris la suite de l’ULC qui résultait d’une scission, en 1978, au sein de l’Organisation communiste voltaïque (OCV). L’ULC(R) a été dirigée par une figure historique de la révolution burkinabè, Valère D. Somé. Le 16 mai 1988, quelques mois après l’instauration de la politique de "rectification", Kaboré sera un des quatre signataires d’une lettre au BP et au CC de l’ULC(R) ; ils y annonçaient leur "désengagement". L’ULC(R) n’avait pas été agréée pour rejoindre le Front populaire ; en le quittant, Kaboré devenait "ministrable".

Il débutera comme ministre des Transports et des Télécommunications avant d’être nommé, très rapidement, dès le 10 septembre 1990, ministre d’Etat. Unique ministre d’Etat, Chargé de la Coordination de l’action gouvernementale à compter du 16 juin 1991, il apparaît comme un Premier ministre de fait. Pour quelques semaines.

Le 26 juillet 1991, il n’y a plus de ministre d’Etat et Kaboré, qui demeure le numéro deux du gouvernement, est nommé ministre Chargé de mission auprès de la présidence. Ce n’est que le 26 février 1992 qu’il retrouvera son titre de ministre d’Etat (en compagnie de Hermann Yaméogo et de quelques autres).

Le 20 juin 1992, dans le premier gouvernement formé par Youssouf Ouédraogo, il prend en charge les Finances et le Plan ; le 3 septembre 1993, il est chargé des Relations avec les institutions.

Kaboré arrive à la primature dans un contexte délicat : menaces des syndicats confrontés aux difficultés financières liées à la dévaluation et à l’austérité qu’imposent la privatisation des entreprises et le Pas ; difficile recomposition du paysage politique où tout va trop vite, trop loin, pour ceux qui, ayant été des animateurs des révolutions de 1983 et de 1987, sont engagés dans la mise en oeuvre d’une politique libérale qui provoque des grincements de dents.

Dans le nouveau gouvernement, on remarque le départ de Ousmane Ouédraogo, ministre d’Etat, ministre des Finances et du Plan (qui avait pris la suite de Kaboré, à ce poste, depuis 1993) ; il est remplacé par un "total libéral", Zéphirin Diabré qui avait en charge l’Industrie, le Commerce et les Mines (il n’obtient pas le titre de ministre d’Etat mais se voit confier, avec les Finances et le Plan, le portefeuille de l’Economie). On note l’arrivée à la tête de la diplomatie burkinabè de Ablassé Ouédraogo qui, du même coup expulse Thomas Sanou dans les (lointains) rangs des ministres délégués (en l’occurence chargé des Relations avec le Parlement).

Quelques semaines après sa nomination, en mai 1994, Kaboré va gérer les Deuxièmes assises nationales sur l’économie. Thème : "Stratégies de développement de l’économie nationale dans le contexte de la dévaluation du franc CFA" (les Premières assises avaient été organisées en 1990 en vue de l’adhésion des partis, syndicats et organisations de la société civile au Pas).

Changement de style : alors que Ouédraogo était un Premier ministre omniprésent, Kaboré laisse le devant de la scène (et le travail y afférent) à ses collaborateurs. Diabré va donner le ton : "Les hommes et les femmes de ce pays ont le droit de savoir et d’accepter qu’avec 122 milliards de recettes, on ne peut faire qu’une politique de 122 milliards" ; il y a "trop de revendications irréalistes arc-boutées sur un malencontreux dialogue de sourds entre ceux qui pensent que la caisse est trop pleine et ceux qui savent que la caisse est trop vide".

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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