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Laurent Sédogo et le charon de bois : Attention aux pièges du volontarisme révolutionnaire !

Publié le jeudi 25 août 2005 à 07h34min

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Par arrêté interministériel daté du 15 juillet 2005, le gouvernement a décidé de la suspension de la production et de la commercialisation du charbon de bois sur toute l’étendue du territoire national. Mais comme on peut s’en douter, si ledit arrêté a été cosigné par les ministres de l’Administration territoriale et du Budget, il a été initié par le ministre de l’Environnement et du Cadre de vie.

Et c’est là que la réflexion devient plus intéressante à plus d’un titre.

En effet, c’est un certain Laurent Sédégo qui préside depuis le dernier remaniement ministériel aux destinées du ministère de l’Environnement et du Cadre de vie.

Cet officier, comme tant d’autres, n’est plus autorisé à porter la tenue militaire pour avoir affiché sa désapprobation vis-à-vis des événements du 19 septembre 1989 qui ont vu l’arrestation, le jugement et l’exécution sommaires des deux autres chefs historiques de la Révoluion démocratique et populaire (RDP) qu’étaient le commandant Boukary Jean-Baptiste Lingani et le capitaine Henri Zongo et de leurs proches.

Ceux qui le connaissent ou qui en ont la prétention disent que depuis le Prytanée militaire du Kadiogo jusqu’à sa disgrâce en 1989 en passant par l’université, le Conseil du salut du peuple I (CSP 1), le Regroupement des officiers communistes (ROC), l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR), le Conseil national de la révolution (CNR) et le Front populaire, cet homme à l’allure éternellement adolescente a toujours brillé par sa rigueur au point même de pêcher par rigorisme.

Il attacherait du prix à la parfaite adéquation entre ce qui est dit et ce qui est fait on doit être fait. En religion, on qualifierait cela, par les temps qui courent, d’intégrisme. Les appelés du Service national populaire (SNP), dont il a été le patron après l’assassinat de son premier directeur, Guy Sayogo, en savent quelque chose. C’est à cet homme que Blaise Compaoré et Paramanga Ernest Yonli ont confié l’environnement.

Quelque part, il ne faut donc pas s’étonner de la décision relative à la suspension de la production et de la commercialisation du charbon de bois, car il était un des gardiens du temple de l’orthodoxie révolutionnaire. La quinzaine d’années qu’il a passée au sein des ONG et des projets traitant de l’environnement ne l’ont apparemment pas changé.

Bien au contraire, cela semble avoir raffermi sa conviction que notre biotope avait besoin d’un traitement de choc. Mais au lieu des trois luttes (contre la coupe abusive du bois, les feux de brousse et la divagation des animaux) de la RDP, il s’agit (pour l’instant ?) de la suspension de la production et de la commercialisation du charbon de bois.

Une volonté bien à propos mais...

Les Burkinabè ont souvent regretté l’absence de volonté et de volontarisme de la part des dirigeants de l’Etat de droit. Une chose qui avait amené certains à idéaliser la période révolutionnaire.

A bien des égards, ils n’ont pas tort, car sans volonté, sans volontarisme, on ne peut construire aucune nation. En effet, la volonté, qui est une qualité de caractère, implique la persévérance dans les choix cardinaux de la vie et la fermeté dans les décisions.

La volonté est donc un élément du système de valeurs. Dire de quelqu’un qu’il est volontaire, c’est soit entendre qu’il s’est proposé aux membres du groupe auquel il appartient pour accomplir une tâche, une mission, soit mettre en exergue la détermination dont il est animé dans son travail de tous les jours.

Quant au volontarisme, il est le propre de ceux qui, ayant une mission à accomplir ou un objectif à atteindre, y investissent toutes leurs énergies physiques et intellectuelles sans toujours tenir compte de l’état d’esprit de leur entourage, du contexte social dans lequel eux-mêmes baignent...

Les illustrations les plus éclatantes de l’esprit volontariste ont été observées sous la RDP à travers l’interdiction de la prostitution, de la mendicité, de l’importation de produits alimentaires et vestimentaires, etc. Ici, on ne s’était pas préoccupé du fait que la prostitution (du reste le plus vieux métier du monde) et la mendicité sont avant tout le reflet de problèmes sociaux ou des problèmes sociaux.

Ce qui signifie que ce n’était pas à coup de kiti (le décret dans le jargon révolutionnaire) que l’on pouvait les faire disparaître (si tant est que cela est possible). Espérer les voir disparaître aurait supposé qu’au préalable, le CNR apportât des solutions aux problèmes qui en sont les causes. Cela étant, la volonté, dont l’expression excessive peut virer au volontarisme, est positive dans son principe même si l’on parle parfois de bonne et de mauvaise volontés.

...Autres temps, autres mœurs

Cependant, la manifestation de cette volonté voire de ce volontarisme doit tenir compte de l’environnement institutionnel : la RDP était l’orientation politique d’un Etat d’exception révolutionnaire. On n’avait donc pas à s’embarrasser de juridisme.

On n’avait pas non plus à se soucier des états d’âme de ceux que les décisions volontaristes lèsent, car il n’y avait pas d’élections au sens démocratique et libéral du terme. On n’avait pas enfin à se faire du mauvais sang au sujet des risques que des décisions gouvernementales soient attaquées en justice.

Or, il se trouve qu’aujourd’hui nous vivons sous un Etat de droit démocratique et libéral. Ce qui signifie que les gouvernants doivent faire davantage preuve de tact et d’intelligence politiques. A ce propos, on ne peut pas dire que le ministre Laurent Sédégo ait pris toutes les précautions.

En prenant la décision avant que des tournées d’explications soient entreprises, il laisse le temps à la rumeur, à la désinformation et à l’intoxication de toutes sortes de se propager avant d’aller à la rencontre des intéressés. Alors le ministre de l’Environnement et du Cadre de vie va vers les acteurs de la filière pour s’expliquer (parce qu’étant sur la défensive) et non pour expliquer la décision.

L’approche pertinente aurait consisté à les écouter d’abord et à décider ensuite ; après avoir, bien entendu, pesé le pour et le contre et à envisager des mesures d’accompagnement éventuellement.

Certes, certains acteurs auraient probablement plus cherché à dissuader le ministre de prendre une telle décision qu’à faire des propositions qui permettent à chacun des deux camps de sauvegarder ses intérêts, mais cela leur aurait ôté l’argument qui consiste à claironner partout que la règle minimale de la démocratie, à savoir la concertation, n’a pas été respectée.

Par ailleurs, suspendre la production et la commercialisation du charbon de bois ne signifie pas que nous sauverons plus d’hectares de forêt, car faute de charbon, les ménages se rabattront à coup sûr sur le bois de chauffe sans que personne, au moins pour l’instant, puisse dire que le passage du charbon de bois au bois de chauffe tout court a permis d’épargner tant d’hectares de forêt sur des bases fiables. Même si ladite suspension n’a cours que jusqu’en décembre 2005, quels gains quantifiés le pays en retirera-t-il et que se passera-t-il après cette date ?

Quelques suggestions

Tout en reconnaissant la légitimité du souci qui a guidé Laurent Sédégo et ses collaborateurs, et bien que la décision ne coure que jusqu’en décembre 2005, on ne peut manquer de relever qu’elle mérite davantage de réflexion en prenant compte les éléments suivants :

• Les leçons à tirer des trois luttes, leurs impacts économiques, environnementaux et sociaux ;

• le renchérissement continuel des prix des produits pétroliers peut amener une partie de l’infime minorité qui les utilise comme source d’énergie à se tourner vers le bois de chauffe ;

• la question qui consiste à se demander si la décision (et bien sûr les mesures répressives à prendre à l’encontre des contrevenants) mettra fin aux coupes clandestines d’arbres vivants mérite également d’être posée. Effectivement avec ou sans charbon de bois, des Burkinabè continueront à acheter le bois de ces karités vivants fraichement abattus que leur apportent d’autres Burkinabè, qui estiment que cela rapporte plus que faire autre chose ;

• dans ce sens, la répression doit s’opérer en amont c’est-à-dire au niveau des "abatteurs", qui défient parfois les agents des eaux et forêts avec des armes perfectionnées et en amont c’est-à-dire chez ces dolotières, restaurateurs et restauratrices qui en sont de grands consommateurs ;

• enfin, faut-il le rappeler, cette grande bataille est un fait total. C’est-à-dire que pour qu’elle se solde par une victoire, il faut impliquer d’autres ministères, ceux chargés de l’agriculture, du tourisme, etc. et les communautés religieuses et envisager des activités de substitution pour ceux qui vivent du charbon et du bois.

Zoodnooma Kafando

Observateur Paalga

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