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Election présidentielle : Alternance 2005 opposée à la candidature de Blaise Compaoré

Publié le vendredi 17 juin 2005 à 08h41min

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A travers une lettre ouverte à Blaise Compaoré, président du Faso sortant, les formations politiques membres d’"Alternance 2005" réaffirment à la lecture de la constitution, que celui-ci ne peut se présenter à l’élection présidentielle de 2005.

Nos vous publions in extenso cet écrit.

Le 23 février 2004 des partis et groupements de partis politiques (aboutissant à l’actuel ALTERNANCE 2005), ont signé un Mémorandum sur l’application de l’article 37 de la constitution du Burkina Faso, Mémorandum largement diffusé ensuite par la presse et dont vous avez donc pu prendre connaissance.

Prenant en compte les nombreuses « marches de soutien » orchestrées à travers le pays dans le but proclamé d’inciter votre candidature pour un troisième mandat comme Président du Faso, nous avons l’honneur d’attirer votre attention sur les éléments suivants.

Monsieur le Président,

L’article 37 de la Constitution (que vous avez fait modifier en 1997 avant d’accepter son rétablissement en 2000) dispose que « le Président du Faso est élu pour cinq (05) ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible une fois (souligné par nous) ».

Il faut rappeler que notre Constitution a été votée le 2 juin 1991 par référendum, dans un contexte international marqué par la fin de la guerre froide et où l’aide internationale était conditionnée désormais par l’acceptation des règles de la démocratie. Le 11 juin 1991, la Constitution, adoptée par 93% des votants, était promulguée par décret présidentiel, consacrant ainsi le retour du Burkina Faso à un régime constitutionnel. L’Etat de droit subrogeait l’Etat d’exception en consacrant :

- le multipartisme (Article 13 de la Constitution), - la nature républicaine de l’Etat (Article 31),

- la prohibition du pourvoir personnel (Article 168),

- et l’alternance (Article 37).

Monsieur le Président,

Cette dernière disposition découle clairement en effet de l’article 37 de la Constitution. Là dessus, de grands constitutionnalistes spécialistes et de nombreux observateurs, tant nationaux qu’internationaux, sont formels : avec la fin de votre actuel deuxième mandat présidentiel, vous ne pouvez briguer de troisième (3e) mandat, sous peine de violer grossièrement la Constitution qui fait de vous, dans vos fonctions actuelles, son premier défenseur.

Peut-être que les clameurs de vos multiples « marcheurs » et la tentation d’imiter d’autres Présidents africains qui veulent s’éterniser au pouvoir obscurcissent votre jugement et vous conduisent à vouloir à tout prix être candidat, malgré la Constitution. Peut-être même trouverez-vous des prétendus « experts » juristes, plus courtisans qu’experts, pour exploiter de manière honteuse et malhonnête les insuffisances juridiques qui pourraient exister dans cette Constitution, afin de « justifier » votre troisième candidature. Mais vous et vos « experts » aurez beau faire, vous n’arriverez pas à tromper les citoyens sur ce point.

Si vous persistez à suivre les clameurs de vos courtisans pour briguer un 3e mandat, nous vous invitons à regarder en face et sans complaisance le bilan de vos dix-huit ans de pouvoir comme Président du Faso. C’est un bilan que vous ne pourrez améliorer, avec un ou avec deux mandats supplémentaires. Il signe vos propres limites et celles de vos collaborateurs permanents.

1 - Un bilan social et économique désastreux

Monsieur le Président,

Le bilan économique de vos dix-huit ans de pouvoir constitue pour la majorité du peuple burkinabé un désastre. La libéralisation et les privatisations sauvages des entreprises publiques et stratégiques ont transféré aux mains de multinationales étrangères et de quelques hommes locaux proches du pouvoir l’ essentiel du patrimoine national.

L’échec du PAS et aujourd’hui des stratégies de réduction de la pauvreté, concoctées en marge des pauvres, a conduit à une accélération de la pauvreté, avec une proportion de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté qui est passé de 44% en 1994 à près de 47% en 2002, malgré les sommes faramineuses injectées sous forme d’appui budgétaire.

La progression du chômage, l’explosion de la corruption et la baisse continue du pouvoir d’achat des travailleurs ont conduit à un marasme total.

Beaucoup de gens imputent, sans doute avec raison, le caractère florissant du secteur immobilier burkinabè, aux effets dans notre pays du blanchiment d’argent sale. Comment comprendre en effet que, classé 173e sur 175 par le PNUD sur la base du calcul de l’indice de développement humain durable, notre pays puisse se classer dans le même temps comme le 16e mondial du point de vue des dépôts à l’extérieur, lesquels avoisineraient 1 300 milliards de FCFA ?

Ce bilan social et économique explique facilement que notre peuple manque cruellement de perspectives pour son développement. Un tel bilan devrait logiquement vous conduire, pour peu que vous soyez sensible aux souffrances de votre peuple, à céder votre place à quelqu’un d’autre qui pourrait essayer une autre politique plus soucieuse des intérêts de l’ensemble des Burkinabè. Si plutôt que de négocier une sortie honorable, vous tenez à un inégal 3e mandat, c’est que vous tenez à enfoncer votre pays dans la misère qui sans nul doute engendrera troubles et révoltes sociales.

2 - Un bilan moral et éthique honteux

Monsieur le Président,

Au cours des dix-huit années de votre pouvoir, la majorité politique se vante d’une relative stabilité des institutions républicaines. Cependant, c’est au cours de ces années que le Burkina Faso a enregistré les crimes économiques et de sang les plus nombreux et les plus effroyables de son histoire moderne. Il a vu aussi se creuser et s’approfondir un grand fossé entre une minorité de riches surgis comme par génération spontanée, et une majorité de pauvres chaque jour plus pauvres.

Votre long passage, le plus long de tous les chefs d’Etat que notre pays a connus, a malheureusement eu pour résultats :

- l’absence de justice sociale se traduisant par l’inégalité dans la répartition des ressources nationales et des revenus en même temps qu’une concentration de plus en plus croissante des richesses entre les mains d’une minorité :

- la paupérisation croissante des populations malgré des indicateurs macro-économiques relativement satisfaisants ;

- les nombreuses violations des libertés individuelles et collectives, à commencer par le droit à la vie et à la dignité humaine ;

- l’absence de confiance de la population envers l’institution judiciaire, caractérisée comme une justice à deux vitesses et par l’inégalité des citoyens devant la loi ;

- l’impunité des crimes politiques de sang, l’impunité des crimes économiques ;

- le manque de démocratie réelle, avec en outre des ingérences grossières du gouvernement dans les affaires intérieures des partis ;

- la politisation outrancière de l’administration, de l’armée, de la justice, des opérateurs économiques ;

- les dérives dans la gestion du pouvoir d’Etat se traduisant par le clientélisme (trafic d’influence et achat des consciences), le favoritisme, le népotisme et l’arrogance de certains acteurs politiques ;

- l’absence de transparence dans la gestion de la chose publique, à commencer par les élections ;

- l’affairisme des responsables politiques à travers la corruption, les détournements et l’enrichissement illicite ;

- etc.

C’est un triste bilan que personne d’autre que vous, pas même l’un ou l’autre de vos courtisans qui vous pressent de vous présenter pour un 3e mandat anticonstitutionnel, ne peut assumer.

3 - Une politique extérieure aventuriste, mettant en danger la sécurité des Burkinabè

Monsieur le Président,

Votre politique extérieure est aujourd’hui identifiée avec tous les troubles qui ont ensanglanté la sous-région ouest africaine, et même au-delà, jusqu’en Angola. Il est manifeste que le maintien de votre présence à la tête de l’Etat burkinabè est devenu un obstacle majeur à toute véritable réconciliation dans la sous-région. C’est en représailles à votre politique contraire à la politique de bon voisinage et de fraternité que les Burkinabè, à l’extérieur connaissent les problèmes qui sont devenus si graves ces dernières années. Même l’insécurité à l’intérieur du Burkina est une conséquence des troubles qui sévissent dans plusieurs pays voisins et dont les armes alimentent les bandits qui braquent les voyageurs sur nos routes.

Ne vous laissez pas tromper par les apparents bons rapports que vous entretenez avec certains de vos collègues : ils ne rêvent que du jour où vous libérerez votre pays de votre présence considérée en fait par eux comme un danger permanent aux frontières de leur pays.

Monsieur le Président,

Comme nous l’écrivions déjà, l’histoire de l’humanité en général et celle de l’Afrique en particulier illustrent à souhait les désastres de l’obstination d’hommes d’Etat à vouloir transformer une démocratie en monarchie ou en dictature. Votre candidature éventuelle pour un 3e mandat viserait une monarchisation du pouvoir et procédera de la dictature dont les signes avant-coureurs sont déjà présents : c’est notamment la remise en cause des acquis politiques suivants qui ont permis une avancée du processus démocratique :

- la révision unilatérale du code électoral,

- les préparatifs pour des fraudes massives aux prochaines élections,

- la monopolisation des médias d’Etat,

- l’exploitation et l’instrumentalisation du peuple à travers des marches largement financées,

- l’utilisation de l’administration à des fins politiciennes,

- etc.

Vous mettez tout en œuvre pour rester éternellement au pouvoir et pour vous donner les moyens pour cela, y compris les plus illégaux.

C’est pourquoi les partis politiques de l’opposition s’étaient engagés à combattre par les moyens constitutionnels et légaux votre candidature éventuelle pour un troisième mandat. Le groupe Alternance 2005 est resté fidèle à cet engagement. Il s’oppose fermement à toute violation de la Constitution et réaffirme en conséquence son rejet catégorique de votre éventuelle candidature, en violation de la Constitution notamment en son article 37.

Monsieur le Président,

Nous vous invitons à faire appel à ce qui vous reste de considération pour le peuple burkinabè et pour la Constitution burkinabè sur laquelle tout le peuple s’est accordé, pour ne pas franchir le pas qui ferait de vous un parjure de votre serment d’investiture.

Vous souhaitant bonne réception de la présente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre très haute considération et de notre grande vigilance.

Ouagadougou, le 15 juin 2005


Pour le groupe Alternance 2005

Le Comité de suivi

Issa TIENDREBEOGO

Secrétaire général du GDP

Me Hermann YAMEOGO

Président de l’UNDD

Philippe OUEDRAOGO

Secrétaire général du PAI

Me Bénéwendé S. SANKARA

Président de l’UNIR/MS

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