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Reprise des policiers et réouverture de l’IDS : la grâce présidentielle résoud-t-elle tout ?

Publié le mercredi 13 avril 2005 à 07h27min

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Ainsi, Blaise Compaoré, en sa qualité de président du Faso, a décidé de faire bénéficier d’une de ses prérogatives aux stagiaires de l’Institut des sciences et de l’Ecole nationale de police : la grâce présidentielle. Les causes des débrayages de ces futurs agents de l’Etat ont-elles été identifiées et traitées comme il se doit ? On a des raisons d’en douter.

N’empêche, la décision prise par le chef de l’Etat de gracier les frondeurs de l’IDS et de l’ENP ne peut être interprétée que comme un geste de magnanimité digne de l’institution qu’il incarne :

D’abord parce qu’en tant qu’incarnation et expression de la volonté générale du peuple burkinabè, il doit être sensible aux mouvements de l’opinion publique relatifs à la manière dont il gère les affaires de l’Etat.

Dans ce sens, il nous est revenu que les intéressés, les responsables religieux et coutumiers, des leaders d’organisation de la société civile, des dirigeants de partis politiques (dont le Congrès pour la démocratie et le progrès) et des citoyens lambda sont intervenus pour que le gouvernement reconsidère sa position vis-à-vis de ces pauvres stagiaires. Apprécions donc à sa juste valeur l’écoute dont Blaise Compaoré a fait preuve.

Ensuite, il cloue au pilori les extrémistes de tout acabit de son régime et ses adversaires politiques : les premiers cultivent le jusqu’au-boutisme, qui en tant que courtisan, qui par orgueil pathologique, tandis que les seconds voient dans de telles mesures gouvernementales des occasions pour se refaire une santé au sein de l’opinion ; car dénoncer ce qui peut apparaître comme un musèlement et une répression des pauvres stagiaires attire naturellement de la sympathie parmi les citoyens.

Enfin, de notre point de vue, celui qui est fort (et surtout quand il est fort du fait de ses alter ego) doit savoir et pouvoir tolérer et pardonner. Dans des sociétés où la religion occupe une place importante, on ne peut manquer d’établir un parallèle avec les Saintes-Ecritures : à travers des formes différentes, les trois grandes religions révélées que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam affirment que Dieu, esprit, a créé le genre humain à son image.

Or Dieu est toujours amour, parfois (au nom de cet amour) sévère, mais toujours miséricorde (pour ceux qui se repentent). Alors pourquoi Blaise Compaoré, qui n’est qu’un "premier parmi des égaux" (primus interpares) ne pardonnerait-il pas ?

Les stagiaires étaient-ils dans leur bon droit ?

Pour autant, cela signifie-t-il que les débrayeurs avaient raison ? Maintenant que la décision de les reprendre fait son petit bonhomme de chemin, on peut, au regard des informations dont nous disposons, soutenir la thèse selon laquelle ce beau monde avait tort sur toute la ligne, et dans le principe et dans la forme.

Dans le principe, ils n’étaient pas défendables, car étant inscrits dans des écoles professionnelles ils sont soit des élèves fonctionnaires, soit des fonctionnaires élèves et ne peuvent donc pas jouir du droit de grève ou de manifestation sur la voie publique comme les fonctionnaires titulaires. Du reste, ce n’est pas un hasard si les syndicats ne cherchent pas à recruter dans les centres de formation professionnelle.

Par ailleurs, si les agents de l’Etat qui sont à leur première année de service ne peuvent pas faire grève du fait qu’ils sont considérés comme des stagiaires, il n’est point difficile de comprendre que les stagiaires de l’ENP et de l’IDS sont allés très (sinon trop) loin dans leurs actions revendicatives.

Dans la forme, ils ont également péché par un excès de confiance en eux-mêmes qui s’est révélé être l’expression d’une double ignorance : ignorance et des textes et de leur propre ignorance. Tant et si bien que les voies du dialogue et du compromis étaient considérées dans certains milieux comme du "dialoguisme" et de la compromission.

Certes, les responsables actuels n’ont pas toujours compris que les appels à la négociation des syndicats et de certaines couches sociales ne sont pas synonymes de couardise. C’est qu’il faut épuiser les voies de résolution des conflits à l’amiable avant d’envisager le bras de fer à visage découvert et de façon frontale. Mais, à ce que nous sachions, des discussions étaient en cours pour ce qui est de la police.

Quant aux stagiaires de l’IDS, ce serait en toute connaissance de cause que la majorité a décidé de persister dans l’observance de la grève. Comme si démocratie rimait avec insubordination et anarchie.

C’est pourquoi, les frondeurs ont été grâciés ; la grâce étant une prérogative absolument discrétionnaire d’un chef d’Etat, lui permettant de dispenser un condamné de l’exécution partielle ou totale de sa peine ou de réduire et parfois d’effacer la sanction infligée à un citoyen, cela signifie bien que pour Blaise Compaoré, les stagiaires avaient belle et bien tort. Ce n’est donc pas un désaveu à l’endroit de qui que ce soit même si Palguim Sambaré, alors directeur général de la police nationale, n’est plus à son poste.

Tous les problèmes sont-ils pour autant résolus ?

La réouverture de l’IDS a résolu le problème de l’existence d’un centre de formation des enseignants du secondaire dans les disciplines dites scientifiques.

La réadmission des stagiaires de l’IDS et de l’ENP a également résolu un problème social et politique dans la mesure où elle sauve des centaines de citoyens qui étaient à nouveau menacés par le chômage alors qu’ils croyaient avoir échappé à ce fléau des temps modernes.

Pour le côté politique, la réadmission des stagiaires coupe l’herbe sous les pieds des milieux du pouvoir restés nostalgiques des méthodes punitives expéditives de l’Etat d’exception et prive les adversaires de tout bord du gouvernement de pain bénit.

Toutefois, les problèmes qui ont été à la base des mouvements des stagiaires semblent rester entiers. Or, les mêmes causes dans les mêmes conditions de temps et de lieu produisent les mêmes effets quand bien même les stagiaires, avec ce qui a failli leur arriver, réfléchiront par deux fois avant de récidiver.

Et c’est là que le bât peut blesser, car habités par la peur de se faire virer une bonne fois pour toutes en cas de récidive, ils peuvent choisir de ruminer leur peine, mais cela ne signifie nullement que leur mécontentement ne se manifestera pas tôt ou tard et d’une manière ou d’une autre : dans l’éducation des enfants ou dans l’accomplissement des tâches relevant de la sécurité des populations. Mais avant tout cela la non-résolution des problèmes peut affecter la qualité de la formation des intéressés.

Nous entendons déjà certains citoyens arguer que l’Etat a très peu de ressources, qu’il est sollicité de partout, que les problèmes des enseignants et des forces de sécurité ne sont rien devant les provisions dont manquent certaines populations des zones rurales.

Cette objection, tout en étant vraie, n’évacue pas pour autant les préoccupations dont nous parlons, car on ne peut pas attendre de nourrir ceux qui sont à cours de céréales ou d’atteindre l’autosuffisance alimentaire avant d’envoyer les enfants à l’école ou de combattre le banditisme.

Bien des fois, l’éducation des enfants et la sécurité aident à augmenter la productivité agricole et à permettre aux zones excédentaires d’acheminer en toute quiétude leurs excédents vers les régions déficitaires.

Par ailleurs, il convient de noter que dans nombre de cas, ce que demandent les auteurs des revendications au gouvernement, c’est d’abord l’écoute et l’attention et ensuite des réactions et des propos qui respectent leur dignité d’hommes et de femmes citoyens. Et là il faut avoir le courage d’affirmer que ça n’a pas toujours été le cas. Alors, Blaise Compaoré et les siens doivent encore faire des efforts.

Z. K.
L’Observateur

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