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Mali 2015. Modibo Keïta à la primature pour éviter de faire de l’ombre à IBK (1/3)

Publié le jeudi 15 janvier 2015 à 18h30min

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Depuis son accession à la présidence de la République du Mali, le 4 septembre 2013, Ibrahim Boubacar Keita aura eu bien du mal à convaincre de sa compétence à la tête de l’Etat. Non pas qu’on puisse le dire incompétent ; ni plus ni moins que ses prédécesseurs. Mais manifestement, il n’a jamais été totalement conscient qu’il était le président d’un Etat en miettes et qu’il convenait d’être autre chose qu’un « président normal ». Alors qu’il est au pouvoir depuis moins de dix-huit mois, il a déjà usé deux premiers ministres et vient d’en nommer un troisième dont nul ne sait s’il tiendra la distance.

Le premier Premier ministre, Oumar Tatam Ly, avait été nommé dès le jeudi 5 septembre 2013. Il était un quasi inconnu dans la sphère politique malienne mais avait une filiation et un parcours technocratique (c’est un banquier central) qui plaidait en sa faveur compte tenu de l’état de délabrement économique et social du Mali. Dans son discours de Nouvel An 2013/2014, IBK pouvait se réjouir de ce qui avait été fait en six mois : il avait été élu à la présidence de la République, avait prêté serment, nommé un premier ministre, formé un gouvernement, voyagé un peu partout et son parti avait remporté les législatives. Il était encore, disait-il, dans « la première phase » de son action : « redressement » et « normalisation ». Et pour la mise en œuvre de cette phase, il n’avait pas manqué de rendre hommage à son premier ministre et à son équipe.

Oumar Tatam Ly était présenté comme « un homme discret, loyal, travailleur et compétent ». Ce qui laissait entendre, en ce soir du 31 décembre 2013, qu’il serait reconduit dans ses fonctions lors de la formation du prochain gouvernement chargé de mettre en place la « seconde phase » qui devait débuter en 2014 : « une phase plus axée sur le redressement et le développement économique, pour le bonheur des Maliens », et visant à relever « quatre défis » : transition démocratique ; transition démographique ; transition économique ; transition culturelle. IBK prônait « un Etat fort, un Etat juste, qui exalte le mérite et sanctionne la faute », une « démocratie sincère et durable » et décrétera 2014 « année de la lutte contre la corruption ».

Cependant, le samedi 5 avril 2014, à 22 h, le secrétaire général de la présidence de la République du Mali annoncera, lors d’un flash spécial, la démission du premier ministre. Le communiqué officiel précisera : « Le président de la République, chef de l’Etat, a mis fin aux fonctions de M. Oumar Tatam Ly, Premier ministre, sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement de la République ». Un communiqué ambigu quant à l’initiative de la démission. Cependant, dans Jeune Afrique (11-17 mai 2014), à la question : « Votre ancien Premier ministre, Oumar Tatam Ly, a rendu son tablier début avril après six mois d’exercice, en diffusant une lettre de démission critique à l’égard de votre gouvernance. C’est un coup dur ? », IBK répondra : « En politique, il faut s’attendre à tout. Nous sortions des législatives et un remaniement du gouvernement s’imposait. Les vues du Premier ministre et celles du chef de l’Etat ne se sont pas accordées sur les choix à opérer. Or il n’y a pas deux élus, mais un seul. Il a donc fallu en tirer les conclusions. La page est tournée. Le Mali continue d’avancer ».
D’avancer, oui, mais à cloche-pied. Le 5 avril 2014, Moussa Mara a pris la suite d’Oumar Tatam Ly. Sans être plus connu que son prédécesseur mais en étant tout son contraire.

Ministre de l’Urbanisme et de la Politique de la ville, en dix-septième position seulement, dans le gouvernement d’Oumar Tatam Ly, Moussa Mara avait été candidat au premier tour de la présidentielle du 28 juillet 2013 au titre de sa formation politique : Yéléma. Il n’avait recueilli que 1,5 % des suffrages. Autant dire que sa campagne était passée inaperçue. Mais il s’agissait d’être présent au premier tour pour basculer dans le camp du vainqueur annoncé du deuxième tour. Ce que Moussa Mara réussira parfaitement : le 5 septembre 2013, il entrait au gouvernement ; sept mois plus tard, il était promu premier ministre. IBK dira à Jeune Afrique (11 mai 2014) au sujet de cette nomination : « Je n’ai pas eu d’états d’âme. Dès réception de la lettre de démission de M. Tatam Ly, ce choix s’est imposé comme une évidence. Je suis Moussa Mara depuis ses débuts en politique et je l’ai toujours tenu en haute estime, même quand il me combattait. Je suis ainsi fait. Le Premier ministre est un homme solide, travailleur, compétent. Je veux croire que, cette fois, mon choix sera le bon » (ce qui laissait par ailleurs entendre que ce n’était pas le cas avec Oumar Tatam Ly).

Ce ne sera pas le bon choix. Moussa Mara, quelques semaines après sa nomination, va penser pouvoir parader à Kidal. Sa visite sera perçue comme une provocation. Les événements du 17/18 mai 2014 vont y provoquer la riposte puis la déroute des FAMa et va obliger Moussa Diarra à revenir, dans la plus mauvaise des postures, à la table des négociations pour ces « pourparlers inclusifs » inscrits dans l’accord préliminaire de Ouagadougou auxquels il ne voulait pas se soumettre. Dès lors les jours de Moussa Mara seront comptés ; d’autant plus que, dans le même temps, la crédibilité d’IBK va être remise en question et que les scandales financiers et autres vont faire la « une » de l’actualité malienne. Neuf mois plus tard, Moussa Mara est « out ».

« Rien n’a été fait dans un dessein délibérément attentatoire à l’intérêt national » a dit IBK lors de son message à la Nation 2014/2015, évoquant d’emblée « l’épreuve » qu’aura été, en 2014, « la gouvernance de nos ressources ». Autre « épreuve » : les « incidents de Kidal ». Autant dire que le sort de Moussa Mara était scellé. Pas un mot du président de la République pour son premier ministre dans ce message du Nouvel An. A sa lecture, on se pose même la question de savoir s’il y a un chef de gouvernement dès lors qu’IBK évoque, systématiquement, « mon gouvernement ». Il est vrai que ce discours n’est qu’un inventaire de réalisations économiques et sociales, de projets à entreprendre, et que l’action politique en est totalement absente. Un discours qui laisse penser que le Mali est en panne sèche : « Beaucoup a été fait, mais c’est comme si tout reste à faire car nous sommes un pays pauvre ». Mais pas corrompu ! IBK met les « faiblesses qui ont marqué l’action publique en 2014 » sur le compte des « codes des marchés publics » ; et alors qu’il avait érigé l’année 2014 en année de lutte contre la corruption, il n’évoque plus que « la lutte contre la déperdition des ressources ».

Si la politique aura été totalement absente de ce discours, la diplomatie n’y aura pas eu sa part. « Profonde gratitude » à la Force Barkhane et à la Minusma, sans plus de commentaires. Seuls Mohamed Ould Abdel Aziz, président de la République islamique de Mauritanie et président en exercice de l’UA, et Abdelaziz Bouteflika sont cités, l’un pour son intervention lors de « l’affaire de Kidal », l’autre pour avoir mis en œuvre le « processus d’Alger » en vue de la résolution de la crise malo-malienne. Sur ce dossier, IBK réitère sa position : « L’offre de décentralisation […] constitue la meilleure réponse aux demandes légitimes de nos concitoyens, qu’ils soient du Nord ou du Sud du pays ». On notera cependant que dans ce message, il a rendu hommage « à tous les acteurs impliqués dans le processus d’Alger » pour les « résultats auxquels ils ont abouti ».

Quelques jours plus tard, au lendemain de « la trêve des confiseurs », le jeudi 8 janvier 2015, Moussa Mara donnera sa démission et Modibo Keïta sera aussitôt nommé. Il était jusqu’à présent, et depuis le 23 avril 2014, Haut représentant du chef de l’Etat malien pour le dialogue inclusif inter-malien. A 72 ans, il est l’aîné du chef de l’Etat de près de deux ans et demi et disqualifié pour la prochaine présidentielle ; ce qui n’était pas le cas de ses prédécesseurs ! Ce qui ne chagrinera pas IBK.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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