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Laurent Gbagbo au "Figaro" : « La guerre peut reprendre à tout moment »

Publié le mardi 2 décembre 2003 à 10h01min

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LE FIGARO. - Comment expliquez-vous le mouvement d’insubordination d’unités de l’armée ivoirienne ce week-end ?

Laurent GBAGBO. - Le déroulement est compliqué, mais la chose est simple. Les Ivoiriens sont fatigués. Les soldats qui sont au front n’ont pas été relevés depuis quinze mois. Dans l’armée française, les relèves ont lieu tous les quatre mois, mais nous sommes en sous-effectif.

Les soldats en ont marre, d’autant qu’ils ne font pas la guerre. Il y a chez eux une lassitude réelle, qui est aussi celle de tout le peuple ivoirien.

D’où leur souhait de reprendre les combats ?

Oui. Et c’est pour cela que, dans le fond, on ne peut pas leur en vouloir : tout le monde aspire à en finir. La perspective de passer une deuxième période de fêtes dans cette situation-là est difficile à supporter pour tous les Ivoiriens. Il faut en finir avec cette situation de guerre. Moi, j’y vais par la diplomatie, mais eux (les soldats) disent : « Ecoutez, nous sommes suffisamment équipés. Vous nous avez armés, on va aller se battre pour en finir avec cette situation. »

Vous allez retourner jeudi auprès de ces soldats pour leur donner des dates précises, notamment celles du désarmement des rebelles. Que leur direz-vous si les rebelles ne vous répondent pas ?

Les rebelles sont prêts à discuter. Ils se réunissent et me donneront une réponse demain.

Allez-vous accéder à d’autres demandes des soldats, comme procéder à des changements à la tête de l’armée ?

Il ne faut pas confondre deux problèmes. Le premier consiste à finir la guerre. Et cette question n’est pas seulement dans la tête des soldats, c’est toute la Côte d’Ivoire qui se la pose. Cette situation de « ni guerre ni paix » lasse et énerve tout le monde. Je crois que c’est quelque chose d’indispensable à comprendre si l’on veut comprendre la situation actuelle en Côte d’Ivoire. Le problème des nominations est quant à lui administratif. C’est le chef de l’Etat qui nomme aux emplois supérieurs des armées et de la fonction publique, conformément à la Constitution, et je n’entends pas me défaire de ces prérogatives.

Ces militaires demandaient aussi le départ des troupes françaises. Le souhaitez-vous ?

Je comprends le ras-le-bol des jeunes gens. Mais leur problème n’est pas la présence des troupes françaises. Le problème est que les Français se trouvent entre eux et les rebelles. Or ils veulent en finir avec la guerre. C’est moi qui ai demandé aux troupes de l’opération « Licorne » d’être là, et je n’ai pas changé d’avis.

Il y a eu au cours de l’année des moments de tension avec la France. Où en sommes-nous ?

Nous sommes une ancienne colonie française, et entretenons avec la France des rapports anciens et cordiaux. La Côte d’Ivoire a besoin de la France, qui est notre premier fournisseur, notre premier client, mais aussi notre principal soutien diplomatique. Mais la crise actuelle a fait naître quelques brouilles. En septembre 2002, notre analyse de la crise et celle de la France ont été totalement différentes, voire diamétralement opposées. D’abord sur les acteurs politiques ivoiriens la France avait une position erronée. La France a notamment mal interprété la ligne que je défendais. Or, il aurait fallu dès le départ que nos alliés nous aident, avec la brutalité militaire, à stopper dans les quinze premiers jours une rébellion qui n’avait aucune base juridique et qui venait de plus de deux pays étrangers, clairement identifiés aujourd’hui.

Les Français ont de leur côté analysé les événements sous l’angle d’une crise intérieure ivoiro-ivoirienne. Or, si l’on ne s’entend pas sur une analyse, on ne peut pas s’entendre sur les solutions à apporter. Et c’est ce qui a été le ciment de la brouille. Mais le temps a mis a nu la vérité.

Les accords de Marcoussis ne prennent-ils pourtant pas en compte la dimension interne du conflit ?

J’ai toujours dit et continue de dire que Marcoussis est une mauvaise solution. Mais je continue aussi de dire que je vais d’abord appliquer ces accords. Et ensuite seulement j’expliquerai pourquoi ils étaient mauvais. Mais j’applique avec sérieux Marcoussis. Je n’ai pas le choix, car c’est le seul remède que l’on m’a proposé. Et je le prends comme quand j’étais petit et que je prenais de l’huile de ricin : en faisant la grimace.

Une partie des militaires n’estiment-elle pas que les conditions de Marcoussis ont changé et que les Fanci ont à présent les moyens de mettre fin à la rébellion ?

Effectivement, quand on nous a attaqués, l’armée n’était pas du tout équipée. Nous avons fait, depuis, des efforts en nous dotant de quelques avions de chasse, de fusils et de munitions. Maintenant, les jeunes disent : « Nous sommes armés, finissons-en. » Mais je leur dis que, si les conditions militaires ont changé en notre faveur, je suis décidé à remplir tous les accords auxquels la Côte d’Ivoire a souscrit. Je pense aussi à l’après-guerre, où j’aurais besoin de soutien extérieur pour reconstruire la Côte d’Ivoire. Je n’ai pas encore épuisé la solution diplomatique. Seulement, ceux qui sont en face de nous savent à présent que nous avons la capacité de trouver une solution militaire.

Etes-vous prêt à accorder aux ministres des « Forces nouvelles » les garanties qu’ils réclament pour revenir au gouvernement ?

Quelles garanties ? Je n’ai rien à leur accorder. Ils sont chez eux en Côte d’Ivoire. Pour le reste, ils se sont placés eux-mêmes dans la situation où ils se trouvent. Je leur conseille simplement de transformer leur mouvement en parti politique.

Les accords de Marcoussis prévoient aussi une réforme des conditions d’éligibilité et du Code électoral. Etes-vous décidé à faire aboutir ces réformes ?

Je me contenterai de présenter ces textes à l’Assemblée nationale. Et l’on verra alors que ce n’est pas Gbagbo qui ne veut pas de ces réformes.

Accepteriez-vous une réforme de la Constitution permettant à Alassane Ouattara de se présenter ?

Cette question n’a pas de sens. L’une des fautes majeures des observateurs étrangers, et de nos amis français, a été de croire que c’est la classe politique ivoirienne qui a empêché la candidature de Ouattara. Aujourd’hui, j’ai la chance inouïe de pouvoir prouver que c’est bien le peuple ivoirien, qui le montrera par un vote de l’Assemblée ou par référendum.

Etes-vous prêt à prendre des mesures pour contrôler les mouvements de jeunes nationalistes ?

Ces jeunes n’ont jamais détruit la Côte d’Ivoire. Nous avons affaire à une jeunesse dont une grande partie est au chômage. Certains ont pris les armes contre la mère patrie. D’autres manifestent pour leur pays. Je soutiens ces jeunes patriotes. Une conscience nationale est en train de naître.

Condamnez-vous leur hostilité envers les médias étrangers, dont l’une des conséquences a été le meurtre de Jean Hélène ?

Est-ce qu’ils n’ont pas des raisons pour cela ? Par exemple, il est vrai que je n’aime pas RFI. Mais c’est pour une simple raison, c’est parce que RFI ne m’aime pas. Je n’ai pourtant jamais expulsé un journaliste de RFI. Quant à Jean Hélène, il n’est pas mort dans une manifestation de jeunes patriotes. Il a été tué sans qu’il y ait personne d’autre qu’un policier. Nous nous inclinons devant cette mort, et nous avons confié l’affaire à la justice.

Le chef d’état-major ivoirien a annoncé récemment qu’une reprise des combats était possible à tout moment. Faites-vous la même analyse ?

Oui. Aussi longtemps que le désarmement n’aura pas eu lieu, le moindre incident peut dégénérer.

Mais l’insubordination des Fanci ne risque-t-elle pas de dissuader les rebelles de déposer les armes ?

Mais ce sont eux qui nous prennent en otages depuis un an et trois mois ! Et puis ils ont fait pire. Après les accords du 4 juillet, qui ont mis fin aux hostilités, ils ont tué deux soldats français. Il faut se rappeler qu’il y a, d’un côté, une armée régulière et, de l’autre, une rébellion.

Vous devez vous rendre prochainement en visite en France. Que direz-vous au président Chirac ?

Je vais avant tout le remercier de l’appui qu’il nous accorde dans cette crise. Mais je vais aussi lui dire qu’elle n’est pas terminée, que nous avons encore besoin de son soutien.

Propos recueillis à Abidjan par Adrien Jaulmes
[02 décembre 2003]
www.lefigaro.fr

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