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Médias français. Aujourd’hui, l’Afrique « c’est chic » et « c’est clic » (1/3)

Publié le vendredi 28 mars 2014 à 22h05min

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Médias français. Aujourd’hui, l’Afrique « c’est chic » et « c’est clic » (1/3)

« Il y a en nous tous, et depuis longtemps, quelque chose d’africain ». C’est Frantz-Olivier Giesbert (FOG) qui le dit dans l’éditorial de son hebdomadaire Le Point (20 mars 2014). Mais le « nous tous » ne concerne pas les Français mais les collaborateurs de son newsmagazine. Et d’égrener les naissances ou les parcours africains des uns et des autres.

Le Point est tellement africain que son dernier numéro est un « Spécial Afrique ». Qui vise aussi à annoncer la mise en place d’un nouveau site www.lepointafrique.fr, un projet qui aboutit après deux ans de gestation sous la responsabilité de Malick Diawara.

« Un projet stratégique » dit son nouveau patron, Etienne Gernelle (qui a été élevé au Togo) ; l’objectif est de faire du newsmagazine « le journal de référence de la francophonie ». 700 millions de francophones dont 85 % d’Africains en 2050, c’est le marché visé par Le Point qui veut être, en français, ce qu’est The Economist* en anglais.

« La France et une partie de l’Afrique font partie du même pays, celui de la langue française » affirme Giesbert. Le discours des francophones m’exaspère. Et il faut, selon moi, beaucoup de malhonnêteté intellectuelle pour affirmer, comme ils le font, que la RDC est le premier pays francophone dans le monde, devant la France. Combien de Congolais parlent et lisent le français ? Et si on fait le même inventaire dans chacun des pays de la « francophonie », nul doute que les francophones y perdront leur latin.

Peu importe, Giesbert veut surfer sur la francophonie et, plus encore, l’Afrique… francophone, « nos anciennes colonies [qui], bien décidées à faire l’Histoire, ont relevé la tête, information qui a souvent du mal à franchir la Méditerranée ». « Le monde entier est fasciné par le grand réveil africain », poursuit-il. Et il n’y a que les Français pour être, « pour la plupart, dans le déni ». « Ronchons et routiniers, ils restent sur les vieux clichés. Impensé raciste, paresse intellectuelle, ethnocentrisme crasse, Dieu seul sait d’où vient notre myopie devant ce miracle économique alors qu’il est pourtant bien là, devant nous : les dénégations de la droite et de la gauche obtuses n’y changeront rien ».

Surfant sur ce nouveau concept de « Africafrance » qu’Antoine Glaser** s’efforce de vulgariser après avoir, pendant des décennies, vécu sur la dénonciation de la « Françafrique », Giesbert entend démontrer que « les gouvernants africains ont inversé les rapports de dépendance avec nous », qu’ils sont « désormais les vrais maîtres du jeu » et qu’il « serait temps que notre cher et vieux pays daigne s’en rendre compte ». « Le XXIème siècle sera africain » et il s’agit de ne plus « désespérer de l’Afrique », ce qui serait « stupide ». Le Point a donc décidé d’aller voir là-bas ce qui s’y passe pour « faire reculer notre horizon », « élargir notre champ de vision » et « nous injecter à nous tous quelques piqûres d’optimisme sur un continent qui, contrairement au nôtre et malgré ses tragédies, regarde l’avenir avec les yeux de Chimène ».

Le Point nous propose donc une petite soixantaine de pages pour nous convaincre qu’il faut être, désormais, « francophone » et « africain ». L’Afrique, c’est chic ! Mais pas facile de faire du neuf avec du vieux quand on a une vision globale de ce continent. C’est une des aberrations de la démarche : il est « stupide » (pour reprendre le mot de FOG) de penser que les Africains sont « continentaux » alors que les Européens, eux-mêmes (beaucoup plus avancés en matière d’intégration), ne le sont pas.

Qui peut croire que les Français se soucient d’être informés de ce qui se passe dans les pays baltes (membres de l’Union européenne) ou même en Autriche ou en République tchèque ? Qui, en France, mais aussi en Espagne, en Allemagne ou ailleurs au sein de l’UE se souciait de l’Ukraine avant que n’éclatent les récents événements et que la Russie n’entre dans la danse ? Les Sénégalais sont sénégalais, les Burkinabè burkinabè, les Camerounais camerounais… Ils n’ont pas nécessairement le souci de savoir ce qui se passe au Congo Brazza, au Kenya, ou au Botswana. Alors qu’ils peuvent avoir le souci de savoir ce qui se passe en France ou aux Etats-Unis.

Giesbert et Le Point nous proposent une rupture. C’est « le grand réveil » de l’Afrique nous disent-ils, « le décollage que les Européens ne veulent pas voir ». Mais ils ne nous proposent rien d’autre que des sujets mille fois rabâchés par la presse panafricaine. Youssou N’Dour, Koffi Annan, Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre nigériane des Finances, Mohamed el-Kettani, le patron marocain d’Attijariwafa Bank, l’Anglo-Soudanais Mo Ibrahim et quelques autres têtes d’affiche qui sont plus représentatives de la diaspora que du continent. Plus encore, ce numéro fait la part belle au Nigeria, au Botswana, au Kenya, à l’Afrique du Sud… Pas vraiment « francophone » tout cela. Ajoutons que les annonceurs sont ceux que les pourfendeurs de la « Françafrique » ne manquaient pas de stigmatiser autrefois, à commencer par Total. L’éditeur Fayard profite même de l’occasion pour promouvoir le livre de Jean-Yves Ollivier (« Ni vu ni connu. Ma vie de négociant en politique de Chirac et Foccart à Mandela »), archétype du « Françafricain ».

www.lepointafrique.fr, c’est beau et c’est chic. Quasiment glamour. C’est propre et « pro ». Il est vrai que Le Point*** est un newsmagazine qui tient la route (depuis plus de quarante ans) et que Giesbert est un authentique patron de presse (même s’il a toujours ambitionné d’être plus que cela). Qu’il entende bousculer la France et les Français au sujet de « l’Afrique qui gagne » n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose ; même si son discours sur « les lions africains et les autruches françaises [qui] nous infligent le même discours suffisant et affligeant » est quelque peu à côté de la plaque (après tout, les Français payent des impôts sans lesquels ni la Côte d’Ivoire/Licorne, ni le Mali/Serval, ni la Centrafrique/Sangaris… ne seraient aujourd’hui ce qu’ils sont, même si ce point de vue « populiste » n’est pas tiré du meilleur tonneau idéologique).

Reste à savoir quel sera l’impact de cette action au niveau des populations africaines francophones. Puisque c’est là que se trouve le marché (si tant est qu’il y ait un marché) que veut conquérir Le Point. « Nous entendons aussi faire porter notre voix beaucoup plus loin en nous adressant à toute la francophonie » a assuré Giesbert dans l’édito de son « Spécial Afrique ».

* The Economist, hebdomadaire britannique créé en 1843, est considéré comme un journal de référence en matière d’information et d’analyses politiques, économiques, internationales. Engagé résolument en faveur du du libéralisme économique
et politique, il n’hésite pas à prendre partie afin de « soutenir, dans le combat féroce qu’elle a à livrer, l’intelligence débordante, face à une ignorance timorée et sans valeur qui est un obstacle à notre progrès ». Diffusé à plus de 1,1 million d’exemplaire,
The Economist est largement vendu (86 % du tirage) hors de la Grande-Bretagne (dont 40.000 exemplaires en France !). Béchir Ben Yahmed, quand il dirigeait Jeune Afrique, était un fervent admirateur de ce magazine et chaque nouvelle recrue (dès lors qu’il s’agissait d’une « tête d’affiche » de la presse panafricaine) devait subir le test The Economist, lecture et commentaire
d’un article choisi par le boss. La meilleure des démarches était alors d’affirmer avoir déjà lu ce papier, de l’avoir trouvé intéressant (The Economist oblige), de proclamer que vous n’alliez pas chercher vos informations dans les « canards » des autres, fussent-il britanniques, et que d’ailleurs Business Week, édité par le groupe new yorkais McGraw-Hill, avait déjà traité le sujet.

** Antoine Glaser, ancien directeur de La Lettre du Continent, pourfendeur, autrefois, de la « Françafrique » notamment avec celui qui a été longtemps son partenaire, Stephen Smith (on leur doit notamment la série de « Ces messieurs Afrique »), vient
de publier « Africafrance » (éd. Fayard, Paris, 2014).

*** Fondé en 1972, Le Point s’est rapidement imposé comme le nouveau newsmagazine français aux côtés des deux anciens : L’Express (1953) et Le Nouvel Observateur (1964). Il est aujourd’hui (et depuis 1997) la propriété de l’homme d’affaires François Pinault. Frantz-Olivier Giesbert, qui était directeur de rédaction du Nouvel Observateur puis du quotidien Le Figaro, en est devenu le directeur de publication en septembre 2000. Il a annoncé sa démission de la présidence le 18 janvier 2014, cédant la place à Etienne Gernelle qui était, jusque là, directeur de la rédaction.

A suivre
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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