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Niger 2012. Mauvaise conjoncture économique mais opportunité géopolitique et politique pour un bras de fer avec AREVA (1/2)

Publié le mercredi 31 octobre 2012 à 19h58min

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Niger 2012. Mauvaise conjoncture économique mais opportunité géopolitique et politique pour un bras de fer avec AREVA (1/2)

L’Afrique de l’Ouest a connu, au cours des dernières années, des alternances significatives. Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Mali, Niger, Sénégal. Mais il faut reconnaître que ce qui s’est passé à Niamey, au printemps 2011, n’a guère préoccupé les médias. Dommage. Le Niger de Mahamadou Issoufou a émergé des braises d’un régime qui aurait pu être exemplaire – celui de Mamadou Tandja – et qui, hélas, a failli, politiquement, économiquement et socialement.

Depuis dix-huit mois, avec discrétion, Issoufou s’efforce de reconstruire un pays en miettes. Dans un contexte national et régional difficile. Les conditions climatiques (notamment la crue gigantesque du fleuve Niger qui aurait fait plus de 500.000 sinistrés au cours de l’été 2012), les tensions alimentaires, l’insécurité dans le Nord du pays accrue par la mort de Kadhafi, l’insurrection touarègue au Mali, la prise d’otages de cinq Nigériens et d’un Tchadien au cœur du pays voici quelques jours… pèsent sur la vie quotidienne des Nigériens. C’est dans ce contexte que le Niger est revenu à la charge contre AREVA, le groupe minier français qui exploite les principaux sites d’extraction d’uranium du pays. Le gouvernement a ainsi dénoncé un partenariat « très déséquilibré en défaveur du Niger et ce depuis 41 ans d’exploitation de ce minerai » entre le Niger et le numéro un mondial de l’industrie nucléaire.

On l’a oublié mais Issoufou a accédé au pouvoir alors que le Japon vivait un drame historique qui porte désormais un nom associé au nucléaire : Fukushima. Alors qu’avec un baril de pétrole surfant au-dessus des 100 $, l’énergie nucléaire devenait plus rentable qu’elle ne l’avait jamais été, que la perspective portait sur la construction de 450 nouveaux réacteurs dans le monde d’ici 2030 (soit un parc de près de 1.000 réacteurs), l’uranium était devenu un produit « tendance ». Les cours atteignaient 70 $ la livre (après des pics au-delà de 138 $) et les spécialistes tablaient sur une hausse de 32 % en 2011. De quoi faire rêver les pays producteurs ; et particulièrement le Niger. Sauf que Fukushima a remis en question ces perspectives et que les cours, aujourd’hui, se situent aux alentours de 50 $ la livre (ils ont chuté de 24 % depuis le drame japonais). C’est dire que la marge de manœuvre économique et financière d’Issoufou, dans un contexte qui est moins apaisé qu’il ne pouvait l’espérer, est quasi nulle. Lui qui affirmait que « le Niger n’est pas un pays pauvre mais mal géré » se retrouve confronté à la réalité : non seulement le Niger est pauvre mais il est exposé à une insécurité qui va en s’aggravant.

Alors que le doute s’installe, partout dans le monde, sur le bien fondé de l’énergie nucléaire, alors que Luc Oursel a pris la suite, dans des conditions managériales délicates, d’Anne Lauvergeon, qu’AREVA a freiné des quatre fers ses investissements dans le secteur de la prospection et de la production de l’uranium, Issoufou n’est pas dans la meilleure posture pour discuter le prix de l’uranium payé par la France au Niger. Sauf qu’un nouveau président de la République française vient de prendre ses fonctions et que son parti appartient, tout comme celui du président de la République du Niger, à l’Internationale socialiste. Il peut donc penser que Paris écoutera Niamey avec une oreille attentive. D’autant plus attentive que le Niger est devenu, depuis l’occupation du Nord-Mali par la rébellion touarègue puis les « islamistes radicaux », le point faible du « corridor sahélo-saharien ».

Dans un contexte politique et géopolitique délicat, Issoufou a crédibilisé autant qu’il le peut le système politique nigérien. Il a installé, dans la matinée du jeudi 25 octobre 2012, son Conseil de la République. Celui-ci a pour mission de « prévenir et de résoudre les crises institutionnelles et politiques, de manière consensuelle, dans le respect de la Constitution nigérienne ». Y siègent le président de la République, le président de l’Assemblée nationale (Hama Amadou), le Premier ministre (Brigi Rafini), les anciens présidents de la République (Mahamane Ousmane et Mamadou Tandja) et le chef de file de l’opposition (Seyni Oumarou). Autrement dit, si on excepte Rafini, le petit nouveau de la scène politique, et Tandja, le « rescapé », le carré d’as de la présidentielle 2011 : Issoufou (1er), Oumarou (2ème), Amadou (3ème), Ousmane (4ème). Dans le contexte actuel, c’est plutôt bien joué de la part d’Issoufou ; les choses seront plus délicates quand les élections se profileront à l’horizon mais, pour l’instant, cette « union sacrée » qui ne dit pas son nom (ce qui évite bien des désillusions), sans empiéter sur la souveraineté du nouveau régime tend à calmer le jeu politique nigérien.

Et, du même coup, permet à Issoufou de relancer la question de la juste rémunération de l’uranium nigérien. Une question qui est « consensuelle » au Niger puisqu’elle appartient à l’histoire moderne de ce pays. L’exploitation de l’uranium a été assurée, initialement, dans le cadre d’une négociation menée en juillet 1967 entre Charles De Gaulle et Hamani Diori. De président à président. Et comme l’a écrit Jacques Foccart dans son Journal de l’Elysée : « Cela n’a pas été facile ». Diori n’a eu de cesse de faire monter les enchères sans jamais, pour autant, céder sur deux dossiers « gaullistes » : le Biafra (que le Niger n’avait pas reconnu, Niamey étant diplomatiquement proche de Lagos) et l’opposition à Israël au lendemain de la « guerre des six jours ». Diori va obtenir, progressivement, ce qu’il voulait : une « coopération particulière » (« du fait justement de l’uranium » précisera Foccart) et la mise en place d’une commission franco-nigérienne.

L’accès garanti à l’uranium était une nécessité pour Paris engagé dans son programme d’acquisition de la bombe atomique. Foccart dira alors à De Gaulle : « En tout cas, nous devons veiller à ce qu’il n’arrive aucun ennui à Hamani Diori ; moi, je m’en porte garant ». Paris et Niamey vont alors entretenir des relations particulières que le chef d’Etat du Niger va mettre à profit pour s’imposer sur la scène africaine via la Francophonie (sommet fondateur à Niamey : 17-20 février 1969). De Gaulle ayant démissionné, Pompidou prendra sa suite. Et Niamey va faire monter les enchères. Sécheresse, choc pétrolier, tensions régionales (liées au Tchad de Tombalbaye et à la Libye de Kadhafi), autant d’opportunités de faire « monter la mayonnaise ».

Foccart le dira à Pompidou alors que Niamey réclamait un deuxième milliard d’aide contre la sécheresse au lieu d’un seul : « L’uranium, compte tenu de la politique arabe concernant le pétrole, prenait de plus en plus d’importance pour nous et […] il fallait à tout prix protéger le Niger ». C’est une fois encore Hamani Diori qui sera l’instigateur et l’organisateur du premier sommet franco-africain, le mardi 13 novembre 1973, qu’il co-présidera avec Pompidou.

Le « dossier uranium » va refaire surface dans les relations franco-nigériennes en 1974. L’uranium, du fait du premier choc pétrolier, est devenu un produit phare pour l’industrie nucléaire française et grâce à la gestion de ce dossier, Foccart, par ailleurs très décrié depuis la fin des « années De Gaulle », en fera l’outil de son maintien à l’Elysée. La question du « prix de l’uranium » va devenir son cheval de bataille : elle lui permettra de se rendre indispensable à Paris et à Niamey. Sauf que Pompidou va mourir le 2 avril 1974 et que Hamani Diori sera destitué le 15 avril 1974 alors que la France est entrée dans un « intérim » au cours duquel le président du Sénat, Alain Poher, se retrouvera à l’Elysée.

Quand les chocs pétroliers des années 1970 auront été absorbés par les économies « capitalistes » et que le pétrole et le gaz seront redevenus des énergies bon marché, l’uranium cessera d’être un produit stratégique, d’autant que la fin de la « guerre froide » calmera les ambitions nucléaires des grandes puissances. Les cours de l’uranium vont stagner pendant plusieurs décennies aux alentours de 10/12 $ la livre jusqu’à ce que la demande de pétrole et de gaz explose suite à la mondialisation et que le nucléaire civil revienne sur le devant de la scène énergétique.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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