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François Lonsény Fall et la promesse de la « renaissance » de la diplomatie guinéenne (1/3)

Publié le lundi 22 octobre 2012 à 19h39min

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François Lonsény Fall et la promesse de la « renaissance » de la diplomatie guinéenne (1/3)

Sa seule nomination est l’expression d’un changement. Tout au moins dans la forme en attendant le fond. Quand Alpha Condé avait accédé à la présidence de la République de Guinée, le 21 décembre 2010, il avait confié le ministère des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger au Dr. Edouard Gnakoye Lama, un médecin qui n’était connu que de sa famille et de son village. C’était alors sans importance. u Forum.

Condé entendait garder la main sur les relations internationales de son pays et s’il avait nommé un « Forestier » à la tête de la diplomatie, celui-ci était « marqué » par deux Malinké, l’un au secrétariat général et l’autre comme chef de cabinet. C’est aussi un Malinké qui se voyait confier le ministère de la Coopération internationale. Au cours des années passées, Gnakoye Lama n’aura donc guère fait parler de lui.

Condé, quelque peu grisé par une victoire inespérée, allait jouer les commis-voyageurs là où il y avait des contrats à signer. François Soudan, dans Jeune Afrique (8 juillet 2012), dira « qu’à force de vouloir être le président de tout et de partout, [il] avait fini par ne plus habiter la fonction, tout en faisant son job et celui des autres, parfois jusqu’à l’excès ». Or, à 74 ans, les excès peuvent conduire au désastre. Afrique, Amérique, Europe, Asie, Pays du Golfe…, Condé a beaucoup voyagé en l’espace de vingt mois sans jamais « présenter la facture » de ses déplacements à l’Etat guinéen (c’est lui qui le dit à Jeune Afrique – cf. supra) ; mais sans dire pour autant qui paye et pourquoi.

Cette situation exceptionnelle ne pouvait durer. Le mélange des genres n’est jamais une bonne chose ; ou, plus exactement, c’est toujours l’occasion d’évoquer les rumeurs de corruption, de malversation, de copinage pas très clair et de contrats moins clairs encore*. D’autant que la Guinée est toujours en état « d’exception » : les élections législatives n’ont toujours pas été organisées et si, au début de l’été, Condé les promettaient « bien sûr » pour la fin de l’année 2012, il va à coup sûr rater cette échéance comme celles de 2010 et de 2011(les législatives devaient se tenir dans un délai de six mois après l’investiture du chef de l’Etat, soit au plus tard en juin 2011). Les conditions d’organisation font débat.

Condé a dit à Jeune Afrique (cf. supra) qu’il « n’a rien à [y] perdre » : « Nous avons en Guinée un régime présidentiel, pas un régime parlementaire. C’est moi qui nomme le gouvernement, et celui-ci n’est pas responsable devant le Parlement » (curieuse conception de la démocratie de la part d’un « opposant historique », j’imagine mal un président US, soumis également à un régime présidentiel, tenir les mêmes propos). Pourtant, traumatisé par son score au premier tour de la présidentielle (à peine plus de 18 % des voix contre 44 % à son adversaire qu’il battra cependant au second tour), il a imposé un changement d’opérateur, le français Sagem (accusé d’avoir sur-inscrit les Peuls de Moyenne-Guinée et sous-inscrit les Malinké de Haute-Guinée à l’occasion de la présidentielle 2010) étant remplacé, dans le cadre d’un marché de gré-à-gré par le sud-africain Waymark dont les experts de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ont souligné les insuffisances. Depuis, le président de la CENI, Loucény Camara, a été contraint à la démission mais sans que la « nouvelle CENI » ne voit le jour. La balle reste dans le camp d’Alhassane Condé, ministre de l’Administration du territoire et des Affaires politiques.

C’est dans ce contexte politique particulièrement délicat que Condé a choisi, à l’occasion d’un remaniement ministériel, de remettre sur le devant de la scène une personnalité guinéenne qui a une réelle dimension internationale. Remaniement partiel (annoncé dans la soirée du vendredi 5 octobre 2012) qui est le premier opéré depuis l’investiture de Condé le 21 décembre 2010. Six nouveaux ministres sur 35 et, notamment, le départ des officiers généraux proches du général Sékouba Konaté qui avait assuré la transition. Exit donc les militaires** et nomination comme ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger, de François Lonsény Fall, Moustapha Koutoubou Sanoh conservant le portefeuille de la coopération internationale tandis que Rougui Barry est ministre déléguée chargée des Guinéens de l’étranger.

Fall est une « vieille » tête d’affiche politique. Mais pas un nouveau venu sur l’actuelle scène politique. Condé en avait fait son secrétaire général à la présidence avec le titre, déjà, de ministre d’Etat. Membre du cabinet du « professeur » Condé, aux côtés notamment d’Alpha Ibrahima Keïra, le conseiller diplomatique du chef de l’Etat, Fall avait rejoint l’Alliance Arc-en-Ciel au second tour de la présidentielle après n’avoir obtenu que 0,46 % des voix au premier tour sous l’étiquette du Front uni pour la démocratie et le changement (FUDEC), qui a depuis janvier 2012 fusionné avec le Rassemblement pour le peuple de Guinée (RPG) de Condé. Fall se trouve donc désormais être un des cinq ministres d’Etat du gouvernement dirigé par Mohamed Saïd Fofana. Mais aucun d’entre eux, pas même le premier ministre, n’a l’envergure de Fall qui fait partie du Top 5 médiatico-politique guinéen (les quatre autres étant Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Lansana Kouyaté).

Fall se décrit (dans Matalana de juin 2010, le magazine de Rachid N’Diaye, aujourd’hui conseiller en communication de Condé) comme « un patriote, un démocrate, un homme de grande conviction et un fervent militant pour le vrai changement en Guinée ». Il revendique un « amour tyrannique pour la perfection » et se reconnait comme qualités : « l’expérience, la compétence, la probité morale, la détermination, le respect des autres et le refus de la compromission ». A 63 ans (il est né le 21 avril 1949), ce natif de Dabola, sur les rives de la rivière Tinkisso, affluent en rive gauche du fleuve Niger, au cœur de la Guinée, entre pays Fouta et Mandingue, est le fils d’un surveillant des travaux publics. Sa mère, Hadja Saran Komah, est la descendante d’un érudit musulman venu du Mali, Lonsény Komah, qui fera souche à Kankan, en Haute-Guinée. Son grand-père paternel, Amadou Fall, était arrivé du Sénégal à la fin de la première décennie du XXème siècle et s’est illustré, à Kankan, dans la construction métallique, la chaudronnerie et la charpenterie. Il a mené toutes ses études au pays, à Kankan puis à Conakry (Lycée du 2 août et université Gamal Abdel Nasser).

Juriste (il est titulaire d’une maîtrise en droit), il s’est formé, ultérieurement, en matière de relations internationales, dans le cadre de l’Institut de Florence (Italie), affirmant avoir eu, dès le lycée, une vocation de diplomate inspirée par Diallo Telli (diplomate guinéen, premier secrétaire général de l’OUA, bête noire de Sékou Touré qui parviendra à le faire arrêter dans le cadre d’un pseudo « complot peul » et mourir de la « diète noire » au camp Boiro en 1976) et Abdelaziz Bouteflika (actuel président de la République algérienne et emblématique ministre des Affaires étrangères).

* Au printemps 2012, le Sunday Times a mis en cause la présidence de la République de Guinée dans la signature d’un contrat minier avec l’homme d’affaires sud-africain Walter Hennig. Celui-ci, proche des barons de l’ANC, a signé en avril 2011 un contrat de prêt de 15 ans à la Guinée d’un montant de 17 millions d’euros. En cas de non-remboursement, Palladino Capital, une société de la nébuleuse Hennig, deviendrait propriétaire de 30 % du capital de la Société guinéenne de patrimoine minier (Soguipami), partenaire de tous les projets miniers en Guinée, ce qui représente un patrimoine de plus de 8 milliards d’euros. Sous la tutelle de George Soros, le milliardaire US à qui Alpha Condé a confié la supervision de la politique minière de la Guinée, d’autres opérations de ce type ont été initiées avec les grands groupes miniers mondiaux.

** Les trois généraux exclus du gouvernement sont Mamadouba Toto Camara (ministre d’Etat, ministre de la Sécurité et de la Protection civile), Mamadou Korba Diallo (ministre de l’Elevage) et Mathurin Bangoura (ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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