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France : Plus de 190.000 électeurs en Afrique pour élire deux députés au titre des « Français de l’étranger ».

Publié le jeudi 31 mai 2012 à 19h26min

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C’est l’innovation des législatives 2012 en France. Onze députés vont siéger à l’Assemblée nationale au titre des « Français établis hors de France ». Les onze circonscriptions couvrent toute la planète et représentent un total de 1.075.744 électeurs inscrits. Les circonscriptions 9 et 10 concernent l’Afrique.

98.716 électeurs inscrits dans la 9ème circonscription (Afrique du Nord sauf Egypte + Afrique de l’Ouest sauf Ghana, Togo, Bénin et Nigeria) et 92.413 électeurs inscrits dans la 10ème circonscription (tout le reste de l’Afrique + Madagascar et les îles africaines de l’océan Indien + une partie du Moyen-Orient). Chacune de ces circonscriptions a sa tête d’affiche politique qui semble bien placée pour l’emporter : le socialiste Pouria Amirshahi dans la 9ème et l’UMP Alain Marsaud dans la 10ème. Au second tour de la présidentielle 2012, François Hollande avait été largement vainqueur dans la 9ème circonscription (près de 62 % des suffrages exprimés) tandis que Nicolas Sarkozy avait dominé dans la 10ème circonscription (plus de 55 % des suffrages exprimés). A noter le décalage de date entre le vote en France (10 et 17 juin) et le vote à l’étranger (3 et 17 juin) pour des questions de logistique.

On pourra s’étonner que les « Français établis hors de France » puisse être représentés par des Français établis en France (ce qui a obligé certains candidats, notamment ceux des circonscriptions étendues géographiquement et comprenant peu d’électeurs, à des déplacements titanesques : la 11ème circonscription compte moins de 80.000 électeurs mais couvre un territoire allant de la Russie à l’Océanie en passant par le continent asiatique !). Marsaud, candidat UMP dans la 10ème circonscription qui couvre 49 pays d’Afrique, du Proche et du Moyen-Orient, l’explique par la géographie : les députés siègent à Paris et il est plus facile, en ce qui le concerne, d’aller de Paris au Cap que de Lomé à Brazzaville. Malgré la difficulté de la tâche, l’opération a suscité l’enthousiasme des candidats : ils sont 178 au total soit une moyenne de 16 par circonscription. L’occasion, pour quelques uns, de s’affirmer ou de refaire surface.

Parmi ceux qui veulent refaire surface figure Alain Marsaud. Ce « magistrat dans l’âme », procureur et juge d’instruction, né le 8 mars 1949 à Limoges, dans le département de la Haute-Vienne, que l’on dit « féru de rugby », a émergé quand la France a été frappée par une vague d’attentats en 1985-1986 ; il comptait alors parmi les juges antiterroristes du parquet de Paris : il a créé et dirigé le service central de lutte antiterroriste sous la férule de Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur pendant la première cohabitation, et a eu en charge les dossiers d’Action directe (Jean-Marie Rouillan et Nathalie Ménigon).

Conseiller du président du Sénat, Alain Poher, pour les affaires de sécurité intérieure et extérieure de 1989 à 1992, il a été élu député RPR de la Haute-Vienne de 1993 à 1997, conseiller général de Limoges de 1993 à 2001 et conseiller municipal d’opposition de 1995 à 2001. Il sera élu à nouveau député de la Haute-Vienne en 2002, sous l’étiquette UMP, sera secrétaire de la commission des lois de l’Assemblée nationale, membre de la commission nationale de la déontologie et de la sécurité, présidera le groupe d’études parlementaires sur la sécurité et la défense civiles et préconisera, dans une note remise à Dominique de Villepin alors Premier ministre, un institut de formation au contre-terrorisme. En 2007, il a été battu aux législatives par la socialiste Monique Boulestin, conseillère municipale de Limoges (1996-2011). Et donc disponible pour tenter sa chance ailleurs… !

Formé au sein du clan de Charles Pasqua (qui avait promis de « terroriser les terroristes »), proche de Nicolas Sarkozy quand celui-ci était ministre de l’Intérieur, Alain Marsaud va surfer sur le… terrorisme. Il dénoncera « un glissement évident du terrorisme importé vers un terrorisme national, destiné à déstabiliser les Etats occidentaux et, à terme – ne nous leurrons pas -, de développer une stratégie de prise du pouvoir ». Il stigmatisera ces « imans plus ou moins autoproclamés commettant plus ou moins volontairement des infractions mineures afin de se faire incarcérer. Et qui, ensuite, entament tout un travail de recrutement auprès de jeunes détenus en quête de rédemption » (Le Figaro – 21 juillet 2005). Il dira encore : « Il n’est pas certain que le terrorisme soit seulement l’enfant de la misère. Il est plus sûrement dû au rejet global de notre modèle occidental, par une partie de la planète, qui entend bien y substituer le sien » (Armées d’aujourd’hui – juin 2006).

Marsaud sera confronté à une vingtaine d’autres candidatures dont celle de Jean-Daniel Chaoui, investi par le PS. Enseignant et formateur, installé aujourd’hui à Madagascar après avoir vécu et travaillé dans bien d’autres pays africains de la 10ème circonscription depuis vingt-cinq ans, Chaoui est actif au sein de la communauté des « Français de l’étranger » (depuis 2009, il est l’élu de l’AFE). La 10ème circonscription compte aussi, parmi les candidats « indépendants », Jean-Pierre Pont, personnalité du monde l’édition et de la publicité sur le continent (on lui doit notamment Afrique Elite et l’« inflight magazine » de plusieurs compagnies aériennes). Pont milite activement contre « le parachutage » de Marsaud qu’il considère comme « inadmissible » compte tenu d’une réputation qu’il prétend parfois sulfureuse. C’est que Marsaud, bien que « magistrat dans l’âme », a été aussi un très proche collaborateur (directeur général adjoint) de Jean-Marie Messier quand celui-ci a repris la Compagnie générale des eaux (CGE) pour en faire Vivendi. Messier et Marsaud étaient, l’un et l’autre, des hommes liges d’Edouard Balladur (Marsaud a découvert le Moyen-Orient quand il collaborait avec la CGE). Ce qui a valu à Marsaud de perdre son mandat de député en 1995 et de connaître des déboires au sein de la magistrature qui ne lui accorde pas beaucoup d’estime (et c’est un euphémisme).

Les choses sont sans doute plus simples pour Pouria Amirshahi, candidat du PS dans la 9ème circonscription. Afrique du Nord (sans l’Egypte) + Afrique de l’Ouest (sans le Ghana, le Togo, le Bénin, le Nigeria), la zone est plus homogène et essentiellement francophone. Et l’Afrique du Nord se trouve de l’autre côté de la Méditerranée. Né le 27 mars 1972 à Shemiran, en Iran, c’est à l’âge de cinq ans qu’il s’installera en France avec ses parents (sa mère était une des conseillères de Shapour Bakhtiar, un « dissident » qui sera le dernier premier ministre du shah et mourra assassiné non loin de Paris après la chute de celui-ci). Elève au lycée Buffon à Paris, Amirshahi va très rapidement entrer dans le combat politique à l’occasion des manifestations contre le projet de loi Devaquet. Bachelier en 1989, il va rejoindre le Centre Tolbiac de l’université Paris I-Panthéon Sorbonne et militer au sein de l’UNEF-ID qu’il va présider de 1994 à 1998 après avoir appartenu à la Tendance Indépendance et Action (ce que l’on a appelé le « texte rouge » qui prônait l’indépendance politique du syndicat et son recentrage sur l’action syndicale stricto sensu) qui donnera naissance à la Tendance Indépendance et Démocratie (TID). Après avoir quitté l’UNEF et tenté de redresser la MNEF, la mutuelle étudiante, il se consacrera à l’action politique au sein du PS dont il deviendra rapidement secrétaire national aux droits de l’homme puis, à compter du 3 mai 2010, à la coopération, à la francophonie, à l’aide au développement et aux droits de l’homme. Secrétaire fédéral de la fédération socialiste de la Charente, il a eu des relations tendues avec Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, se refusant à une alliance avec le centre lors des régionales de mars 2010.

Au total, un parcours militant qui s’inscrit dans l’air du temps au sein du PS où le technocratisme n’est plus à l’ordre du jour. Amirshahi va être confronté, à droite, à la candidature de Khadija Doukali Tahiri, femme de tête et femme d’affaires franco-marocaine qui s’est engagée en politique lors de la campagne de Sarkozy pour la présidentielle 2007.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatque

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