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Guillaume Soro : "Le Burkina est une victime de la crise ivoirienne..."

Publié le jeudi 28 octobre 2004 à 06h59min

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19 septembre 2002-25 octobre 2004, voilà plus de 2 ans que se déroule la trame de la crise ivoirienne. Où en est-on et où va-t-on, à l’heure où le processus de retour de la paix en Côte d’Ivoire semble en panne, tandis que les uns renforcent leur puissance militaire et les autres, leur refus de désarmer ?

En exclusivité, le secrétaire général des Forces nouvelles fait le point de la crise que connaît son pays.L’homme dont les forces contrôlent 60 % du territoire ivoirien parle également de ses rapports avec le Burkina, la France, Laurent Gbagbo, Blé Goudé, IB, Blaise Compaoré. Et appelle « la communauté internationale à prendre ses responsabilités » vis-à-vis des acteurs de la crise ivoirienne...

(S). : Participerez-vous au conseil des ministres ivoirien convoqué pour le 29 octobre prochain, à l’effet de relancer le processus de paix en Côte d’Ivoire ?

Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles (G.S.) : Nous avons effectivement été informés qu’à l’issue d’une rencontre avec le Premier ministre, il a été décidé de la tenue d’un conseil des ministres pour adopter l’ensemble des textes de Marcoussis. Par cet acte, le chef de l’Etat de Côte d’Ivoire a voulu, nous imaginons, montrer sa détermination à faire en sorte que les forces politiques ivoiriennes s’engagent en faveur de l’adoption effective de ces lois. L’une d’elles concerne la communication audiovisuelle. Mais, comme vous le constatez, je vais en mission en France pour le compte des Forces nouvelles. Je ne pourrai pas assister à ce conseil des ministres du 29 octobre 2004.

En dehors du fait que je vais en mission, il faut savoir que ces dernières semaines, il y a un regain de tension à Abidjan au point que nous ne nous y sentons pas en sécurité. En raison de cela, j’ai déjà pris attache avec le Premier ministre Diarra et le ministre Issa Diabaté de l’Administration du territoire qui assure mon intérim, afin de leur transmettre notre lecture des dernières évolutions de l’actualité politique ivoirienne.

S. : Et pourtant, c’est celui-là même qui se prépare à introduire un texte à l’Assemblée nationale, sur la commission électorale indépendante, qui va à l’encontre de vos intérêts.

G.S. : Ecoutez, dans le cas de la Côte d’Ivoire où les Forces nouvelles contrôlent 60% du territoire, il est inadmissible qu’elles ne figurent pas à part égale avec tous les partis politiques à la Commission électorale indépendante. Les Forces nouvelles en tout cas, continuent de penser, d’affirmer que la loi sur la Commission électorale indépendante doit être votée conformément à l’esprit et à la lettre des accords de Linas-Marcoussis. Dans cet esprit, les Forces nouvelles doivent avoir leurs six représentants dans la Commission électorale indépendante.

S. : En fin de compte, les Forces nouvelles ne forment-elles pas un seul mouvement avec trois têtes cagoulées ?

G.S. : Mais, écoutez, c’est comme si vous me dites que les partis coalisés dans le G7 ne font qu’un seul parti en Côte d’Ivoire. Pourtant, vous savez très bien que le G7 est une alliance des forces politiques favorables à l’application de Marcoussis où figurent des partis comme le PDCI, le RDR et d’autres partis politiques qui ont leur identité et leur spécificité. Pour nous, c’est absolument un faux débat, c’est de la diversion.

S. : Vous n’êtes tout de même pas une force politique légitimée par le suffrage populaire !

G.S. : Oui, bien sûr. Mais sachez que depuis la signature des accords de Linas-Marcoussis, les Forces nouvelles ont une reconnaissance officielle internationale. Elles bénéficient de l’onction de la Communauté internationale et d’un statut légal. Donc, c’est impropre, injuste de dire que ce ne sont pas des mouvements légaux. De toute façon, nous pouvons répondre à rebours que les Forces nouvelles contrôlent 60 % du territoire ivoirien.

S. : Mais dans l’illégalité !

G.S. : C’est une situation de fait. Les Forces nouvelles contrôlent 60% du territoire. Et il ne peut pas y avoir de paix, de réunification dans ce pays si les Forces nouvelles ne sont pas associées à toutes les instances de gestion de l’Etat. Mieux, nous disons qu’en RDC, des rébellions occupent la vice-présidence. Donc, on ne peut pas taxer celles-ci d’illégales. Il s’agit de faire un choix. Ou alors on est pour la paix et la réunification en Côte d’Ivoire et à partir de là, on accepte de jouer le jeu de la clarté, de la transparence. Ou alors, on s’arc-boute à des prétextes, et on continue de connaître une partition de fait.

S. : Il se trouve qu’un certain nombre de partis semblent d’accord pour qu’on demande aux Forces nouvelles d’accepter qu’on leur attribue trois portefeuilles au sein de la Commission électorale et non six.

G.S. : Le seul consensus en Côte d’Ivoire, c’est Marcoussis. C’est l’accord de Linas-Marcoussis que nous avons signé. Donc, il ne s’agit pas de faire autour du consensus, un autre consensus. Il n’est pas question de cela. Nous disons que Marcoussis a recommandé que les Forces nouvelles soient représentées à la Commission électorale indépendante au même titre que toutes les autres forces politiques. De quel droit pourriez-vous nous dire que le FPI mérite aujourd’hui davantage d’être représenté dans cette Commission quand on sait que du point de vue de la légitimité, ce parti est minoritaire en Côte d’Ivoire. Nous rappelons que les Forces nouvelles contrôlent 60% du territoire. De ce point de vue, nous avons un poids politique important qu’il ne faut pas négliger. A la limite, nous aurions pu dire qu’il faut que nous soyions représenté dans la Commission au prorata du territoire que nous contrôlons.

S. : Pourtant, vous avez accepté à un moment donné, de céder le ministère de la Sécurité et celui de la Défense. Pourquoi refuser aujourd’hui de faire de nouvelles concessions ?

G.S. : Dans le jeu des négociations, il y a le compromis. Nous l’avons effectivement fait par souci de flexibilité, de tolérance, parce que nous voulons aller à la paix, par esprit de réconciliation. C’est vrai que nous avons fait des concessions dans le passé. Quand la guerre a éclaté en Côte d’Ivoire, il était indéniable que les Forces nouvelles avaient la supériorité militaire sur le terrain. Nous serions allés à la capitale si les troupes françaises n’avaient pas stoppé l’avancée de notre mouvement vers Abidjan. A partir de là, nos revendications étaient très claires, le départ immédiat et inconditionnel du Président de la République.

S. : Cela n’aurait-il pas été de la surenchère ?

G.S. : Nous ne sommes pas du même avis que vous. M. Jean Bertrand Aristide bien que président élu de Haïti a quand même quitté le pouvoir sous la contestation d’un mouvement armé. En réalité, c’est un véritable deal politique que nous avons passé à Marcoussis. Le maintien du Président de la République contre la mise en place d’un gouvernement de réconciliation nationale dirigé par un Premier ministre à qui on devait remettre les prérogatives du Président de la République. De sorte que le gouvernement soit en mesure de faire des réformes politiques et de conduire la Côte d’Ivoire vers la réconciliation et la réunification nationales.

Nous avons joué notre part de prise de responsabilité dans le processus de recherche absolue de la paix. C’est pourquoi, nous ne comprenons pas qu’aujourd’hui, le régime Gbagbo qui pourtant a signé de par la main du président du FPI les accords, Premier ministre de Côte d’Ivoire à l’époque, tente de les renier. Et c’est ça le problème de la Côte d’Ivoire : non-respect des engagements pris et le non-respect de la parole donnée. De tergiversation en tergiversation, de reniement en reniement, on tente de rendre caducs les accords et de compromettre le processus de réconciliation nationale.

C’est pourquoi, nous pensons que la communauté internationale a un rôle à jouer dans la recherche d’une résolution de la crise ivoirienne, parce qu’elle est garante de la bonne application des accords de Marcoussis. Elle devra à un moment donné, prendre ses responsabilités et trancher le débat. Nous estimons que tant que les lois ne sont pas votées, il est impossible de désarmer. Nous avons encore nos armes, si ces lois ne sont pas votées, nous ne pouvons pas les rendre.

S. : Pourtant, l’Union européenne, des pays et les Nations unies semblent vous y inviter ?

G.S. : Nous savons que vous faites référence au communiqué du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Union européenne nous invitant à aller au désarmement sans condition. Pour nous, la situation est simple : si nous désarmons nos forces de sécurité dans les conditions actuelles, les députés du FPI ne voterons pas les lois que réclame la majorité des Ivoiriens... Les Forces nouvelles n’auront pas de raison de continuer à garder leurs armes si les lois sont votées.

Nous estimons que la déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Union européenne vise à inviter toutes les parties à appliquer de façon rigoureuse, les différents accords. Et le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, ne dit pas autre chose dans son dernier communiqué. Si les réformes politiques sont adoptées, aussitôt, les Forces nouvelles engageront avec les Forces armées de Côte d’Ivoire (les FANCI), le processus du désarmement. Il ne tient qu’au président Laurent Gbagbo d’agir dans le sens du vote des lois.

S. : La communauté internationale entend pourtant exercer des pressions sur les Forces nouvelles pour non seulement vous demander d’accepter le début des études pour la réhabilitation des sites de regroupement et de faire de nouvelles concessions pour relancer le processus de paix.

G.S. : Nous pensons que les Forces nouvelles n’ont plus de concession à faire. Nous avons tout concédé. Les Forces nouvelles ont joué leur rôle. Aujourd’hui, il est quasiment impossible pour elles d’aller vers d’autres sacrifices, dès lors que nous constatons qu’il n’y a même pas de bonne foi de la part du régime à faire voter les lois devant mettre tous les Ivoiriens sur le même pied d’égalité. Nous avons vu le Président de la République s’impliquer dans le désarmement. Il a encouragé les militaires, il les a rencontrés à Yamoussoukro, les a invités à désarmer, à engager le processus du désarmement. Mais nous n’avons pas vu la même détermination du chef de l’Etat à engager des discussions pour faire voter les lois à l’Assemblée nationale.

Nous avons le sentiment que l’inertie où le silence du chef de l’Etat tend à encourager les députés dans leur défiance et dans leur reniement de la parole donnée. Nous avons la conviction qu’il faut que les acteurs politiques ivoiriens soient animés de bonne foi. Le blocage est à l’Assemblée nationale. Il tient aux députés de donner le discours qu’il faut pour encourager les militaires. Ils (les militaires) l’ont clairement dit dans leurs déclarations : ils sont arrivés à leur limite. Le problème est essentiellement politique. Et il appartient au politique de le résoudre.

S. : Votre n°2, Dakouri Tabley, qui est basé à Abidjan, a fait état de rumeurs visant à la réédition du scénario des 20 et 21 juin 2004, où vos positions ont connu des attaques simultanées. Ces affirmations ne sont-elles pas en fait une méthode de diversions supplémentaires pour permettre aux Forces nouvelles de refuser d’aller au désarmement ? Sont-elles réelles, ces rumeurs de reprise de la guerre ?

G.S. : Les Forces nouvelles n’ont pas pour habitude de s’incruster dans la manigance politicienne. C’est quand même solennellement que le président du FPI, M. Affi N’guessan a dit que le parti donnait mandat au chef de l’Etat pour engager tous les moyens militaires afin de libérer la zone Nord de la Côte d’Ivoire. A partir de là, ce n’est ni plus ni moins qu’une déclaration de guerre qui est faite aux Forces nouvelles.

Le chef de l’Etat a renchéri lors d’une interview en disant que dans quelques jours, il se donnait les moyens de réunifier le pays. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il est évident que l’option militaire est de mise au sein du parti au pouvoir. Dès lors, comment voulez-vous que nous puissions être dans un environnement serein, favorable à un début de désarmement. Le désarmement ne peut être engagé que si la guerre est finie. Au port d’Abidjan, des bateaux continuent de débarquer des armes. Ce n’est certainement pas pour aller à la chasse à la biche. Le régime de monsieur Laurent Gbagbo est en train de tout mettre en œuvre pour libérer les zones Nord de la Côte d’ivoire, que nous contrôlons. Dès lors, il n’y a pas un environnement serein pour parler de désarmement. D’autant plus que nous savons qu’avec des éléments de notre propre camp, une stratégie de subversion est en train d’être concoctée dans l’optique de mener une offensive militaire contre nos positions pour récupérer les zones du Nord.

S. : Quels sont ces éléments de votre propre camp qui concoctent cette stratégie au profit du président Laurent Koudou Gbagbo ?

G.S. : Nous souhaitons ne pas rentrer dans les détails de cette affaire, pour des raisons de sécurité.

S. : A l’heure où l’armée ivoirienne vient d’acquérir des armes de guerre performantes, ne craignez-vous pas d’être contraints un jour de fuir la Côte d’ivoire, si vous ne vous mettez pas dès maintenant de l’eau dans votre vin ?

G.S : Fuir la Côte d’Ivoire ? Nous avons une armée qui se donne les moyens de relever le défi de la guerre. Ne vous mettez pas en tête que monsieur Laurent Gbagbo viendra combattre des femmelettes dans les zones que nous contrôlons. Nous nous donnons les moyens de la défense de l’intégrité de nos territoires. Il n’y a pas de raison que les Forces nouvelles quittent leur territoire. Dans nos zones, les populations sont en parfaite harmonie avec les Forces nouvelles. Nous sommes sereins et gardons l’arme au poing, prêts à défendre nos territoires.

S. : Etes-vous d’accord au moins que le processus de paix est désormais en panne, du fait des acteurs politiques ivoiriens ?

G.S : Nous constatons effectivement que le processus de paix en Côte d’Ivoire est dans l’impasse. Il y a un blocage parfait. Les lois ne sont pas encore adoptées et elles ne sont pas en voie de l’être…

S. : Dans cette situation, la reprise de la guerre est-elle inévitable en Côte d’Ivoire ?

G.S : Nous disons bien sûr que le retour de la guerre peut être évité si les députés votent les lois. De toute façon, les Forces nouvelles sont dans leurs zones. Depuis deux ans, nous administrons nos zones. Nous sommes sereins. Nous espérons qu’un jour, la volonté de se réconcilier habitera « le Sud ». Et alors nous serons prêts à aller à la réconciliation.

S. : Comment interprétez-vous l’action du Premier ministre, Elimane Seydou Diarra, taxé de caresser dans le sens du poil et les Forces nouvelles et les partisans du président ivoirien ?

G.S : Le rôle de Premier ministre est difficile, nous imaginons. En tant que Premier ministre de consensus, il a le devoir de trouver les voies et moyens pour renouer les fils du dialogue qui se sont rompus, relancer le processus qui est dans l’impasse. Nous pensons que son discours tendait naturellement à trouver des voies de la relance du processus de paix. C’est évidemment un rôle pénible. C’est le Premier ministre de consensus, inamovible jusqu’aux élections prochaines. A partir de là, nous considérons qu’il doit prendre de nouvelles initiatives courageuses.

S. : Qu’est-ce qui justifie votre présence à Ouagadougou, pendant que la tension est vive en Côte d’Ivoire ?

G.S : Nous vous avions dit que nous étions en transit pour aller à Paris. L’aéroport international de Bouaké n’est pas ouvert ; donc, il nous faut prendre l’avion à Ouagadougou. Jusqu’à preuve du contraire, nous supposons que le Burkina n’est pas un pays qui nous est interdit. D’ailleurs, c’est un Etat qui respecte la libre circulation des personnes et des biens. Nous circulons librement, autant à Bamako, à Dakar qu’à Ouagadougou.

S. : Vous êtes ministre de la République de Côte d’Ivoire et vous savez bien qu’il y a un aéroport international à Abidjan ?

G.S : Je suis d’accord avec vous, mais comme vous le savez, le pays demeure divisé. Et il peut y avoir des questions difficiles de sécurité pour nous.

S. : Le Burkina est accusé d’abriter les rebelles et d’être en porte-à-faux avec les règles de bon voisinage vis-à-vis de la Côte d’Ivoire ; ne serait-ce pas avec raison que ces accusations sont faites ?

G.S : Si nous comprenons bien, vous faites allusion à la récente déclaration de monsieur Hermann Yaméogo. Nous avouons être surpris parce que nous considérons que dans la crise ivoirienne, le Burkina est bien une victime. Il n’y avait pas de rébellion en 1995 quand des Burkinabè étaient massacrés dans les plantations à Tabou, égorgés sur la base de la xénophobie dans notre pays. Il n’y avait pas non plus de rébellion en 1997 quand des Burkinabè ont été torturés, spoliés de leurs biens en Côte d’Ivoire.

Aujourd’hui, on ne peut pas dire que le Burkina Faso enfreint les règles de bon voisinage. Le Burkina Faso a d’abord été, de notre avis, une victime de la crise. Et quand elle a éclaté le 19 septembre 2002, c’est par centaines de milliers que les Burkinabè ont dû quitter la Côte d’Ivoire pour venir dans leur pays. Pour certains, c’était la première fois qu’ils mettaient les pieds sur les terres de leurs parents.

Nous sommes citoyen ivoirien et ministre d’Etat. A ce titre, nous refusons qu’on continue de nous qualifier de rebelles. C’est déjà une injure à mon pays que d’appeler un ministre de la République, rebelle. Nous ne pouvons pas concevoir qu’il y ait justement des nationaux burkinabè qui vont soutenir un régime qui a fait de son programme de gouvernement, la chasse aux étrangers, particulièrement aux Burkinabè. C’est même trahir l’âme de tous ceux qui sont morts en Côte d’Ivoire par la bêtise humaine, des jeunes patriotes aveuglés par une idéologie xénophobe.

Nous avouons être particulièrement déçu de M. Hermann Yaméogo, qui est le fils de M. Maurice Yaméogo, l’ancien président. Nous avons encore souvenance que lorsque M. Maurice Yaméogo a été chassé du pouvoir en Haute-Volta, c’est en Côte d’Ivoire que sa famille a trouvé refuge. Est-ce que le Burkina accusait Félix Houphouët-Boigny d’abriter des rebelles ? Nous nous rappelons que la Côte d’Ivoire a donné couvert et gîte à la famille de M. Maurice Yaméogo. S’il ne peut pas être reconnaissant à notre pays de lui avoir permis, avec ses frères, de se faire une carrière professionnelle réussie, qu’il n’aille pas à contre-courant de l’intérêt national burkinabè.

Ce sont des dizaines de Burkinabè qui ont été massacrés. Vous pourriez mener une enquête dans nos zones. Combien de Burkinabè ont fui les plantations de cacao pour se réfugier dans la zone que nous contrôlons... Si pour des raisons alimentaires, Hermann Yaméogo feint d’oublier que des dizaines de Burkinabè meurent chaque jour en Côte d’Ivoire par le seul fait d’une politique xénophobe meurtrière, nous considérons que c’est suffisamment grave !

S. : Que dites-vous de la rencontre qui aurait regroupé à Conakry, des Mauritaniens, des Burkinabè et des Ivoiriens ?

G.S. : Pour nous, M. Laurent Gbagbo est en train de créer un axe anti-Compaoré. La Mauritanie, nous le savons, depuis 2002, est un allié sûr de Laurent Gbagbo. C’est dans ce contexte que nous avons lu dans la presse, un courrier que le président Gbagbo a envoyé à son homologue mauritanien pour situer les enjeux de ces rencontres. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’organiser un front anti-Blaise Compaoré qui visiblement, les gêne.

En tout état de cause, les Forces nouvelles considèrent que ces réunions de Conakry, Nouakchott et encore d’Abidjan n’ont d’autres objectifs que de privilégier le règlement militaire du conflit ivoirien. Nous savons que des mouvements de troupes s’opèrent dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire à la frontière guinéenne. Nous en sommes informés et nous ne manquons pas d’être vigilants.

S. : Mais au fond, est-ce que des Mauritaniens ne sont pas entraînés au métier des armes dans les zones que vous contrôlez, aux fins d’exécuter un coup d’Etat dans leur pays, avec la bénédiction du Burkina et de la Libye ?

G.S. : (Rires). Nous n’avons pas encore fini avec le conflit ivoirien... Nous n’avons pas de temps pour entraîner d’autres personnes. Nous voyons difficilement des Mauritaniens prospérer dans notre région où foisonnent beaucoup de moustiques.

Mais enfin, nous pensons qu’il s’agit pour Gbagbo et ses alliés, de trouver des prétextes pour mener la guerre. Ce qu’ils ignorent, c’est que le déclenchement des hostilités à la frontière Ouest ou à l’intérieur des zones des Forces nouvelles va déclencher un conflit d’une très grande envergure qui enflammera toute la sous-région.

C’est pourquoi, nous considérons que l’acte d’Hermann Yaméogo qui tend à favoriser la reprise du conflit est d’autant plus grave que c’est toute la sous-région qui pourrait s’enflammer.

S. : Hermann Yaméogo n’est-il pas en odeur de sainteté en Côte d’Ivoire et en Mauritanie parce que le président du Faso serait votre parrain ?

G.S. : Le président Compaoré ne s’est jamais proclamé parrain des Forces nouvelles. Nous n’avons pas non plus tenu une assemblée pour le désigner parrain des Forces nouvelles. Il se trouve malheureusement que le Burkina Faso ne peut pas être médiateur dans la crise ivoirienne. Il y a deux millions de Burkinabè en Côte d’Ivoire qui sont spoliés de leur terre, massacrés. A partir de là, le Burkina Faso est une victime. C’est de cela qu’il s’agit.

Le régime de M. Laurent Gbagbo est un régime minoritaire qui a été combattu par les Ivoiriens. Ce n’est pas un Burkinabè qui dirige les Forces nouvelles. Les chefs militaires des Forces nouvelles sont connus. Il n’y a pas de Burkinabè là-dedans. Nous sommes allés à Marcoussis pour discuter des problèmes de la Côte d’Ivoire. Aucun représentant du FPI n’a pris la parole pour dire que le problème de la Côte d’Ivoire, c’est le Burkina. Le Burkina Faso n’est pas cité dans Marcoussis. Pour que le problème soit résolu en Côte D’Ivoire, il faut appliquer Marcoussis, c’est tout. Il ne s’agit pas de parler de parrainage ou non. Les attaques du 19 septembre ne sont pas parties de la frontière du Burkina Faso. Les Ivoiriens se sont réveillés à Abidjan qui est à 1000 km de Ouagadougou, ce jour là, avec le crépitement des kalachnikovs...

S. : Vous bénéficiez tout de même de la bienveillance du Burkina ?

G.S. : Dans quelle mesure ? Nous pensons que le Burkina Faso est un pays démocratique qui veille au respect de la libre circulation des personnes et des biens. On nous a vu autant à Dakar avec le président Wade, qu’à Lomé avec le président Eyadéma, qu’à Bamako avec le président Amadou Toumani Touré. Nous croyons que ce n’est pas une particularité. Ce serait dommage justement que le Burkina foule aux pieds les conventions inter-africaines sur la circulation des personnes et des biens.

Jusqu’à présent, nous sommes ministre de la République de Côte d’Ivoire. A ce titre, quand nous venons ici, il est du devoir du Burkina Faso de nous offrir des facilités eu égard au passeport diplomatique que nous détenons. Nous ne sommes pas l’objet d’un mandat d’arrêt. Nous ne voyons pas pourquoi le Burkina Faso nous empêcherait de rentrer dans ce pays autant que le Mali ne peut pas nous empêcher d’aller à Bamako.

S. : Il semble pourtant que c’est à Ouagadougou que vous avez juré sur le Coran de détrôner solidairement Laurent Gbagbo de son fauteuil.

G.S. : Ce sont des ragots de bas étage. Nous sommes chrétien. Pourquoi jurions-nous sur le Coran plutôt que sur la Bible ? Non et non ! Nous pensons que c’est plus sérieux que cela. La crise ivoirienne est bien connue. Il s’agit d’une crise identitaire, du fait que le régime minoritaire du FPI et une certaine classe politique ont décidé de prendre le concept de l’ivoirité pour l’introduire dans la constitution en écartant des candidats gênants à l’élection présidentielle. Ceci a contribué à déstabiliser la Côte d’Ivoire. C’est connu de tout le monde.

S. : Le mode de combat que vous avez choisi a entraîné une catastrophe pour les droits humains en Côte d’Ivoire.

G.S. : Justement, la violation récurrente des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire et surtout l’impunité qui fait ses beaux jours dans notre pays demeurent les causes de la guerre. Avec l’élection de 2000 qui a vu l’arrivée de M. Laurent Gbagbo au pouvoir, il y a eu un charnier. Les coupables de ce charnier n’ont pas fait l’objet d’un jugement comme l’a réclamé la population. Il y a eu un simulacre, une mascarade de jugement qui n’a rien à voir avec la réalité des faits, avec le droit qui aurait dû être dit. C’est le problème des droits de l’Homme qui a amené la crise. Des militaires ont été torturés, assassinés. Des populations civiles ont été exécutées sommairement.

S. : Les 60 % du territoire ivoirien que vous contrôlez ne semblent pour autant pas échapper aux violations des droits humains.

G.S. : Si vous faites référence aux attaques des 20 et 21 juin derniers à Korhogo et à Bouaké, nous précisons qu’effectivement nous avons été l’objet d’attaque d’éléments de M. Laurent Gbagbo et de certaines personnes. Ils ont attaqué Bouaké et Korhogo. Il y a eu des morts jusqu’à ce qu’une commission d’enquête vienne situer les responsabilités dans ces tueries. Nous continuons de penser qu’il n’est pas juste d’indexer les Forces nouvelles. En lieu et place de verser dans les polémiques, nous avons demandé qu’une commission d’enquête internationale situe les responsabilités. A partir de là, nous prendrons des mesures pour que l’impunité ne soit pas de mise chez nous.

S. : Rappelez-vous ce que d’aucuns ont appelé le charnier des gendarmes de Bouaké ?

G.S. : Nous imaginons que vous faites référence aux 80 gendarmes. Vous savez, la Côte d’Ivoire était en guerre. Et des gendarmes sont morts sur le champ des hostilités. Il n’y a pas d’amalgame à faire. Effectivement, il y a eu des combats violents à l’intérieur de la ville de Bouaké avec beaucoup de morts. Il y a eu des gendarmes loyalistes tués, nous avons enregistré aussi des combattants qui sont morts. Pour des questions de salubrité publique, et surtout pour la sécurité sanitaire des populations, des corps ont été ramassés et ont été ensevelis sous la supervision et en présence des organisations internationales comme la Croix-rouge à Bouaké. Il ne faut donc pas confondre cette affaire à bien de charniers qui ont été découverts, après que des citoyens ont été kidnappés et exécutés sommairement.

S. : Avec un tel environnement en Côte d’Ivoire, pensez-vous que la présidentielle de 2005 sera possible ?

G.S. : Nous continuons de croire qu’il faut des élections démocratiques et transparentes en 2005. A l’occasion des différents sommets consacrés à la question ivoirienne, nous avons demandé à la communauté internationale de « prendre ses responsabilités ». En tout état de cause, nous pensons que le régime du FPI a défié la communauté internationale depuis la signature de Marcoussis à Paris.

En dehors du gouvernement de réconciliation nationale qui a été formé et qui a connu bien des péripéties dans son fonctionnement, aucune loi essentielle n’a été votée. Depuis deux ans, nous tergiversons. Marcoussis n’est pas appliqué. Et la communauté internationale ne se donne pas les moyens de la bonne application de cet accord. Elle est donc interpelée !

S. : Quel est l’avenir politique de la classe politique actuelle en Côte d’Ivoire dans ce contexte de quasi-manque de confiance des uns envers les autres ?

G.S. : Pour l’instant, nous continuons de penser qu’il faut se battre pour que la Côte d’Ivoire aille à la paix et demeure indivisible. C’est le combat que nous menons. Nous avons espoir que les différents garants des accords de Linas-Marcoussis se donneront les moyens de pression nécessaires pour amener les acteurs politiques au respect de la parole donnée et de leur signature.

S. : Dans ce contexte, comment imaginez-vous votre propre avenir politique et celle des Forces nouvelles ?

G.S. : L’avenir politique se construit dans le combat. Pour l’instant, notre échéance, c’est d’abord de réussir à réunifier la Côte d’Ivoire. A partir de là, chacun aura son champ et son jeu. L’avenir politique de la Côte d’Ivoire se définira dans le G7, dans l’alliance qu’il y a aujourd’hui contre le FPI. C’est dans le cadre du G7 que les Forces politiques pourront définir un futur, un avenir pour leurs formations politiques. Nous espérons que le G7 va résister au temps pour les élections démocratiques d’octobre 2005 et qu’il continuera d’être une réalité après les élections. C’est le plus important pour nous.

S. : Le G7 répond-t-il réellement à des ambitions pour un retour de la paix en Côte-d’Ivoire ?

G.S. : Le G7 mettra en place une plate-forme qui va aller au-delà des élections d’octobre 2005. Cela suppose que le G7 resteraunipour les élections et le demeurera après. Maintenant, nous n’avons pas encore discuté dans le détail, des élections 2005. Pour l’instant, nous sommes en train de nous battre pour que l’accord qui doit permettre les élections soit appliqué. D’ailleurs, dès que le G7 se réunit, il parle d’une même voix. C’est une réalité, c’est une chance pour la Côte d’Ivoire.

S. : Avez-vous confiance aux hommes politiques et aux partis qui forment le G7 ?

G.S. : Absolument. Autrement, nous n’y serions pas.

S. : Que vous évoque la place de la France, de l’Afrique de l’Ouest, du Burkina, des Nations unies, de Laurent Gbagbo, de Blé Goudé, du sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit IB, de l’argent, du Front populaire ivoirien et de Blaise Compaoré dans la crise ivoirienne ?

G.S. : Au niveau de la France, un monsieur comme Dominique De Villepin a été un ministre engagé, déterminé qui, véritablement, s’est mis au-devant de la crise ivoirienne et qui a voulu trouver une solution... Nous pensons que ce monsieur a été sincère et déterminé. Malheureusement, notre impression est qu’aujourd’hui, la France après avoir pris autant d’engagements, d’abord par l’interposition, ensuite par Marcoussis, nous donne l’impression de vouloir sortir d’un bourbier qu’elle a pourtant contribué à renforcer.

Nous avons le sentiment que la France veut mettre l’ONU au- devant de la crise ivoirienne, alors que c’est l’engagement de la Grande Bretagne qui a donné une impulsion sérieuse au processus de paix en Sierra Leone. Mais, la France semble tergiverser comme si elle n’avait pas de plan précis pour une solution de paix en Côte d’Ivoire. C’est dommage.

S. : Et l’Afrique de l’Ouest ?

G.S. : Nous pensons que l’Afrique a montré une très grande solidarité avec la Côte d’Ivoire. Rarement des conflits ont pu mobiliser autant de chefs d’Etat. La satisfaction que nous avons, c’est que l’ensemble des chefs d’Etat a cerné et maîtrisé le problème ivoirien. Quand on voit leur engagement à Accra III, c’est « vivant » et c’est une « réalité ». Nous pensons que les Africains ont réussi à tropicaliser l’accord de Linas-Marcoussis en signant Accra III. Vous savez que tous les chefs d’Etat ont signé Accra III près des signatures des acteurs politiques ivoiriens. Cela dénote d’un réel intérêt à la question ivoirienne. C’est à saluer. Rarement des conflits ont autant mobilisé de chefs d’Etat, ce qui est une chance pour la Côte d’Ivoire.

S. : ... les Nations unies ?

G.S. : Les Nations unies... Disons que les Nations unies ont endossé l’accord de Linas-Marcoussis. Ce n’était pas évident que Marcoussis recueille leur adhésion. Même aujourd’hui, l’honneur du secrétaire général des Nations unies est en jeu dans la crise ivoirienne. Kofi Annan s’est impliqué personnellement dans la signature de Accra III. Et on avait espéré que le FPI par égard et par nationalisme panafricain, aurait appliqué cet accord eu égard à la personnalité de Kofi Annan. Mais force est de constater qu’il n’en est rien.

S. : ...le Burkina Faso...

G.S. : Nous pensons que les Ivoiriens doivent un devoir de pardon à l’endroit du Burkina Faso, un pays frère. Vous savez dans les années 30, le Burkina selon la bonne volonté du colonisateur, s’est trouvé quelquefois partagé en trois parties au profit de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Niger. Ceci parce que le colonisateur avait besoin de main-d’œuvre. A partir de là, nous pensons qu’aujourd’hui, traiter les Burkinabè de la sorte en Côte d’Ivoire est inacceptable. Les frontières dont nous avons hérité sont artificielles, imposées par un colon assis à Berlin. Celles-ci ont divisé des peuples sans tenir compte de leurs traditions, de leurs langues. Pour nous, dans la crise ivoirienne, le Burkina Faso est plutôt une victime.

S. : …Laurent Koudou Gbagbo...

G.S. : C’est le chef de l’Etat de Côte d’Ivoire. Nous pensons qu’il a manqué son mandat présidentiel. L’histoire de la Côte d’Ivoire et de la sous-région retiendra que c’est avec Laurent Gbagbo que la Côte d’ivoire a connu la guerre. C’est un mandat totalement usé. Il n’a pas réussi à donner une image reluisante de lui. Nous avons connu Laurent Gbagbo comme opposant historique dans notre pays mais qui a, malheureusement, été un piètre chef d’Etat.

S. : ... le leader du mouvement estudiantin, Blé Goudé alors ?

G.S. : (Rires). Nous pensons qu’il faut plutôt avoir de la pitié pour lui. C’est un jeune homme totalement égaré. On ne peut que mettre sur le compte d’une jeunesse juvénile, tout le mal qu’il a commis en Côte d’Ivoire.

S. : ... le sergent-chef Ibrahim Coulibaly...

G.S. : (Rires). Nous n’avons pas pour habitude de parler de quelqu’un avec qui, à un moment donné, nous avons pu partager des valeurs. Nous trouvons dommage qu’il ait pu trahir ses camarades de combat, ses amis.

S. : ... l’argent ?

G.S. : L’argent ? Nous pensons que l’argent doit servir à aider. Mais on ne doit pas en faire un culte.

S. : ... le Front populaire ivoirien ?

G.S. : C’est le parti de M. Laurent Gbagbo qui, visiblement, donne aujourd’hui le sentiment de prendre les Ivoiriens en otage. Un parti minoritaire qui est obligé de se fasciser.

S. : Et Blaise Compaoré...?

G.S. : (Grands rires...). Nous sommes en train de faire la présente interview dans son pays et vous voulez que nous parlions de lui... Blaise Compaoré, nous pensons qu’il est un aîné, un grand frère...

Interview réalisée par Ibrahiman SAKANDE (ibra.sak@caramail.com)
Sidwaya

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