LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Tiébilé Dramé, l’émissaire malien, prend ses habitudes à Nouakchott, au contact des « rebelles » du MNLA (1/2)

Publié le jeudi 19 avril 2012 à 11h11min

PARTAGER :                          

J’étais à Ouaga quand mon interlocuteur, un cadre malien mais Touareg d’origine qui avait choisi de se mettre en « sécurité » dans la capitale burkinabè, m’avait affirmé que ceux des siens qui avaient opté pour la solution négociée dans la crise entre Bamako et la « rébellion touarègue » avaient rejoint le Burkina Faso tandis que ceux qui entendaient entretenir la flamme de cette même « rébellion » étaient installés désormais en Mauritanie.

Alors que le président du Faso s’attelait, avec son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, à remettre en place, dans la capitale malienne, un régime aux allures « démocratiques », plus apte à avoir une crédibilité nationale et internationale qu’une junte de « bras cassés », c’est du côté de Nouakchott que les négociations sont conduites entre le MNLA et les émissaires du président par intérim, Dioncounda Traoré.

Ces négociations deviennent un enjeu politique pour ceux qui, au Mali, ambitionnent d’avoir un destin national : ramener la paix, réunifier le Mali et éradiquer les mouvements terroristes ce serait, à coup sûr, engranger non seulement beaucoup d’argent pendant la négociation (le Qatar est, financièrement, le patron des médiations en territoire mauritanien) mais aussi devenir un héros national, nouveau Babemba défendant Sikasso contre l’assaut des « Blancs ». Sans oublier, bien sûr, que les « Occidentaux » sont morts de trouille à l’idée qu’un « nouvel Afghanistan » puisse émerger aux portes de l’Europe. Une menace que ne cesse de brandir les Mauritaniens qui entendent bien que l’on ferme les yeux sur le mode de production politique en vigueur à Nouakchott et que l’on ouvre les coffres-forts. Et, à l’occasion de cette affaire, le chef de l’Etat mauritanien, le général putschiste Mohamed Ould Abdel Aziz, aimerait bien casser les reins de sa bête noire, Moustapha Chafi, parfait connaisseur des hommes qui sèment la pagaille dans le corridor sahélo-saharien, de Nouakchott jusqu’aux confins du Niger. Chafi, je le rappelle, est un des conseillers de Blaise Compaoré et a mené plusieurs missions au Mali avec Djibrill Y. Bassolé, le ministre des Affaires étrangères burkinabè.

Moustapha Diko, le directeur de cabinet du président malien, accompagne donc, désormais, Tiébilé Dramé, l’émissaire de Bamako. Dès le 4 mars 2012, Tiébilé Dramé s’était rendu à Nouakchott, auprès du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir. Depuis, il a pris ses habitudes dans la capitale de la République islamique de Mauritanie. Ce n’est pas, loin de là, un nouveau venu sur la scène diplomatique africaine. Il a été ministre des Affaires étrangères et des Maliens de l’extérieur dans le gouvernement de transition du lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré à compter du 27 décembre 1991 (il prenait la suite du chef d’escadron Souleymane Sidibé) et conservera ce portefeuille jusqu’à l’accession au pouvoir d’Alpha Oumar Konaré, au printemps 1992.

Tiébilé Dramé est né le 9 juin 1955, à Nioro, à la frontière entre le Mali et la Mauritanie, au Nord-Ouest de Bamako. Après ses études à l’Ecole normale supérieure de Bamako, il obtiendra un DEA Histoire de l’Afrique à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. De 1977 à 1980, il aura été un des cadres dirigeants de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM), s’opposera au régime de Moussa Traoré et sera emprisonné à plusieurs reprises. C’est ce qui le décidera à s’exiler en Europe où il travaillera pour Amnesty International (1988-1991) avant de rejoindre le gouvernement d’ATT pendant la période de transition.

Ayant quitté le gouvernement, il reprendra du service à Londres au sein d’Amnesty International. En décembre 1994, il avait conduit une mission au Nigeria, à Lagos, Abuja et Port-Harcourt, afin de comprendre la situation qui régnait en pays ogoni où la répression gouvernementale aboutira à la pendaison (10 novembre 1995) de Ken Saro-Wiwa et de huit autres militants Ogoni. « Un meurtre légal », écrira-t-il (Jeune Afrique du 7 décembre 1995). Il se rendra aussi en Haïti et au Burundi, toujours au bord au génocide, en 1995, mais cette fois pour le compte d’une mission d’observation des droits de l’homme des Nations unies. C’est cette même année qu’il va rompre politiquement avec le Congrès national d’initiative démocratique (CNID) dont le leader, l’avocat Mountaga Tall (candidat contre Alpha Oumar Konaré à la présidentielle), était qualifié « d’autocrate » par certains adhérents. Il va alors participer à la fondation du Parti pour la renaissance nationale (Parena) dont il sera promu secrétaire général. Rapidement, le Parena va se rapprocher de l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA), le parti présidentiel, dans le cadre de la Convergence nationale pour la démocratie et le progrès (CNDP). Le 25 juillet 1996, un remaniement ministériel limité permettra l’entrée au gouvernement (dont Ibrahim Boubacar Keïta est Premier ministre depuis le 4 février 1994) du président du Parena, Yoro Diakité, nommé ministre d’Etat, en charge de l’Intégration africaine, et de Tiébilé Dramé, ministre des Zones arides et semi-arides.

Une activité gouvernementale de courte durée. 1997 est une année électorale, présidentielle et législatives. Deux consultations qui vont se dérouler dans la plus totale confusion, entrainant leur boycott par la majeure partie de l’opposition. Tiébilé Dramé sera un des 8 députés élus sous l’étiquette du Parena (il l’est bien sûr chez lui à Nioro ; le Parena est la deuxième formation politique à l’Assemblée nationale mais loin de l’Adema qui compte 128 députés tandis que six partis se partagent les onze autres sièges). Il prendra la présidence du Parena en 1999 et sera élu président du comité interparlementaire de l’UEMOA en 2001. Il va alors se présenter à la présidentielle de juin 2002 à laquelle Konaré n’est pas candidat conformément à la Constitution. Tiébilé arrivera en quatrième position avec 4,02 %, derrière ATT, Soumaïla Cissé, Ibrahim Boubacar Keïta mais devant son ancien mentor, l’avocat Mountaga Tall. L’élection d’ATT à la présidence de la République va susciter un mouvement politique consensuel et aux législatives le Parena rejoindra la Convergence pour l’alternance et le changement, un conglomérat de partis qui avait soutenu la candidature d’ATT au second tour.

Le jeudi 3 mars 2005, Tiébilé Dramé va épouser Kadiatou Konaré, de vingt ans sa cadette. Directrice-fondatrice de Cauris Editions, elle est la fille (unique - le couple a, par ailleurs, trois garçons) d’Adame Ba Konaré (très en pointe pour dénoncer le « discours de Dakar » de Nicolas Sarkozy) et d’Alpha Oumar Konaré. Tiébilé Dramé est aussi, cette année-là, président du Comité préparatoire du XXIIIème sommet Afrique-France (3-4 décembre 2005), une mission qui lui a été confiée au printemps 2003 et qui lui vaudra d’être élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur par le président Jacques Chirac le 14 juillet 2006. Cette mission lui vaudra également de se retrouver dans le collimateur de la justice pour la gestion des fonds mis à la disposition du comité d’organisation ; ce n’est que plus de trois ans plus tard, début 2010, que la justice classera sans suite la procédure d’enquête de la brigade économique et financière de Bamako. Ce qui ne l’empêchera pas d’être investi par le Parena pour être son candidat à la présidentielle 2007 avec un programme intitulé « Les Grands chantiers de la renaissance » qui fixera douze priorités. Il arrivera cette fois en troisième position, derrière ATT (qui l’emporte dès le premier tour) et Ibrahim Boubacar Keïta, mais avec un score plus faible qu’en 2002 : 3,04 %.

En 2009, il sera médiateur nommé par le secrétaire général des Nations unies pour Madagascar et, en 2011, il sera particulièrement actif dans les négociations avec le Conseil national de transition (CNT) libyen. Et chacun pensera que, sillonnant ainsi l’Afrique et l’Europe, il préparait activement sa candidature à la présidentielle 2012. Mais l’évolution de la situation dans le « corridor sahélo-saharien » et l’implosion brutale du Mali vont changer la donne. Sa priorité, désormais, c’est la recherche d’une solution à la « crise malo-malienne » !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique