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Sécurité des Etst-Unis : Pourquoi l’Amérique ne doit pas réélire Bush

Publié le jeudi 21 octobre 2004 à 07h16min

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Je n’ai jamais été très impliqué dans la politique politicienne mais nous vivons des moments extraordinaires. Le président George W. Bush met en péril la sécurité des Etats-Unis et du monde entier, tout en sapant les valeurs américaines. Je suis diabolisé dans sa campagne électorale parce que je m’oppose à lui.

Le président Bush s’est présenté en 2000 avec un programme qui promettait une politique étrangère « humble ». S’il est réélu, sa doctrine de l’action militaire préventive -et l’invasion de l’Irak- n’en sera que plus appuyée et le monde entier devra en subir les conséquences. En répudiant les politiques de M. Bush par la voix des urnes, l’Amérique aura à nouveau la possibilité de reconquérir le respect et le soutien du reste du monde.

Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 appelaient une réponse vigoureuse. Mais elles ont aussi mené à la mise en suspens du processus critique si essentiel à la démocratie : l’examen accompli et équitable de tous les problèmes. M. Bush a fait taire toute critique en la déclarant antipatriotique. Dans les 18 mois qui suivirent le 11 septembre, il a réussi à supprimer toute voix dissidente. C’est ainsi qu’il a mené l’Amérique dans la mauvaise direction.

En fait, M. Bush est tombé dans le jeu d’Ossama Ben Laden. L’invasion de l’Afghanistan était justifiée : Ben Laden y vivait et Al-Qaida y tenait ses camps d’entraînement militaire. L’invasion de l’Irak ne l’était pas. C’est un cadeau involontaire de M. Bush à Ben Laden.
Immédiatement après le 11 septembre, le monde entier a spontanément fait preuve d’une très grande solidarité avec l’Amérique. Cela a maintenant fait place partout au ressentiment. Il y a aujourd’hui bien plus de personnes prêtes à risquer leur vie pour tuer des Américains qu’il n’y en avait le 11 septembre 2001.

M. Bush aime à insister sur le fait que les terroristes haïssent les Américains pour ce qu’ils sont, un peuple épris de liberté, et non pas ce qu’ils font. Cependant, la guerre et l’occupation font des victimes innocentes. Nous comptons les houses mortuaires des soldats américains, plus de 1 000, en Irak. Le reste du monde dans son ensemble compte aussi le nombre d’Irakiens qui chaque jour se font tuer, nombre peut-être 20 fois supérieur.

"Une guerre fondée sur des idées fausses"

Par ailleurs, les actes de torture auxquels furent soumis les détenus de la prison d’Abou Graïb n’étaient pas le résultat des agissements d’une poignée de mauvais éléments. Cela faisait partie d’un système de gestion des prisonniers mis en place par le secrétaire de la Défense, Donald Rumsfeld. Dans le monde entier, l’opinion publique a condamné l’Amérique et nos soldats en Irak en payent le prix.

M. Bush a convaincu le peuple qu’il est le meilleur défenseur de la sécurité américaine en jouant sur les peurs générées par les attaques du 11 septembre. Face au danger, les peuples se rallient à leur drapeau et M. Bush a exploité ce sentiment en entretenant la menace du danger. Sa campagne électorale part du principe que personne ne se soucie vraiment de la vérité et que tout le monde est prêt à tout croire si cela est répété assez souvent. Si nous nous laissons prendre à ce jeu, alors il y a quelque chose qui ne va plus chez les Américains.

Ainsi, quelque 40 % des Américains croient encore que Saddam Hussein était impliqué dans les attentats du 11 septembre, même si la Commission sur le 11 septembre -instituée par M. Bush et présidée par un membre du parti républicain-a établi avec certitude qu’une telle connexion n’existait pas. J’ai envie de hurler : « Américains, réveillez-vous ! Ne voyez-vous pas qu’on vous trompe ? »

La guerre d’Irak est fondée sur des idées fausses du début jusqu’à la fin, si elle ne finit jamais. C’est une guerre menée par choix et non pas par nécessité. En outre, l’Amérique est partie en guerre sur de faux prétextes. Les armes de destruction massive n’ont jamais été trouvées pas plus que ne furent établis les liens avec Al-Qaida. M. Bush a alors déclaré que l’Amérique était partie en guerre pour libérer l’Irak. Mais la démocratie ne peut pas s’imposer par la force.

Saddam Hussein était un tyran et les Irakiens -et le monde entier-peuvent se réjouir d’en être débarrassés. Cependant, l’Amérique avait obligation de maintenir la loi et l’ordre et au lieu de cela, nous avons assisté sans rien faire au pillage de Bagdad et d’autres villes. Si nous étions vraiment attachés au bien-être du peuple irakien, nous aurions déployé plus de troupes dans le cadre des forces d’occupation. Nous aurions fourni une certaine protection à tous les ministères, musées et hôpitaux et pas seulement au ministère du Pétrole.

Pire encore, quand les soldats américains ont été confrontés à la résistance, ils ont employé des méthodes -envahir les habitations, maltraiter les prisonniers-qui aliénèrent et humilièrent les populations, générant le ressentiment et la rage.

"Qui les a plongé dans ce chaos ?"

Les volte-face et les faux pas du gouvernement de M. Bush sont légion. Après avoir dissolu l’armée irakienne dans un premier temps, l’Amérique a ensuite essayé de la reconstituer. Après avoir essayé d’éliminer le parti Baas dans un premier temps, l’Amérique s’est ensuite tournée vers ce parti pour se faire aider. Quand les forces insurgées sont devenues réfractaires, l’Amérique a installé un gouvernement irakien. L’homme choisi pour le diriger était un protégé de la CIA avec la réputation d’homme fort, ce qui est loin d’être très démocratique.

En dépit des efforts de campagne de M. Bush pour contrôler tout cela, la situation en Irak est désespérée. Une grande partie de la région occidentale du pays a été cédée aux insurgés et la perspective d’organiser des élections libres et démocratiques en janvier est en net recul, la guerre civile menace.

La guerre de M. Bush en Irak a fait un tort incalculable à l’Amérique également, affaiblissant son pouvoir militaire et sapant le moral des forces armées. Avant la guerre, l’Amérique pouvait engager une force militaire incroyable. Ce n’est plus le cas. L’Afghanistan échappe à tout contrôle. La Corée du Nord, l’Iran, le Pakistan et d’autres pays s’engagent dans des programmes nucléaires avec une énergie renouvelée.

Le gouvernement de M. Bush peut être critiqué pour bien d’autres politiques mais aucune n’est aussi importante que l’Irak. La guerre a coûté près de 200 milliards USD et la facture continuera de s’allonger, car il fut bien plus facile d’entrer en Irak qu’il ne le sera d’en sortir. M. Bush a mis John Kerry au défi d’expliquer comment il s’y prendrait pour agir différemment. M. Kerry a répondu qu’il aurait agi différemment et qu’il sera en meilleure position pour mettre fin à cette situation. Toutefois, cela ne sera pas facile pour lui non plus parce que l’Amérique est prise dans un bourbier.

Les meilleurs experts en affaires militaires et diplomatiques ont prévenu M. Bush avec l’énergie du désespoir contre toute invasion de l’Irak. Il les a ignorés. Il a étouffé toute démarche critique en arguant du fait que toute critique du chef des armées mettait les troupes américaines en danger. Cependant, c’est la guerre de M. Bush et il devra en répondre. Les Américains devraient prendre du recul et se demander le temps d’un instant : qui les a plongés dans ce chaos ?

Et cet instant de réflexion devrait faire naître une autre question : la démarche texane arrogante de M. Bush le qualifie-t-il pour rester à la tête des armées américaines ?

Par George Soros,

Le président du Soros Fund Management et du Conseil d’administration de l’Open Society Foundation.

(Project Syndicate, octobre 2004.)

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