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Kerry face à Bush : La "même chose". En "mieux’’.

Publié le vendredi 15 octobre 2004 à 09h41min

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Il y a de quoi se faire du souci de ce côté-ci de l’Atlantique quand on observe ce qui se passe de l’autre côté. Tout cela est plutôt affligeant. La médiatisation de l’élection présidentielle US, la nécessité pour les hommes politiques de participer à des débats qui tiennent plus du Reality Show que du forum, les obligent à faire de l’audience TV pour faire de l’audience électorale. Triste.

Je suis heureux de n’être pas un électeur américain quand je regarde la photo publiée aujourd’hui en page III du supplément du quotidien Le Monde (daté Samedi 2 octobre 2004) consacré au débat Bush-Kerry : Bush, sa femme et ses deux filles, Kerry et son épouse, avec des comportements stéréotypés et des sourires de pure convenance - une façon d’être à laquelle, d’ailleurs, Teresa Heinz Kerry ne se plie pas ; mais il est vrai qu’elle est à la tête d’une colossale fortune (les conserves Heinz) qui lui permet de prendre du recul. Avoir le choix entre Bush et Kerry, c’est le "choix de Sophie". Dramatique !

Le premier débat organisé à l’université de Miami (Floride), le jeudi 30 septembre 2004, entre John Kerry, sénateur démocrate du Massachusetts, fils d’un diplomate, et George Bush, 43ème président des Etats-Unis, fils d’un président des Etats-Unis, portait sur la politique étrangère. Et si la Floride a été très récemment dévastée par les multiples cyclones et autres tempêtes qui ont abordées ses côtes, la politique étrangère US ne se porte pas mieux. Aux Etats-Unis, le débat politique est au ras des pâquerettes.

Cela peut se comprendre en matière de politique intérieure ; cela ne manque pas de choquer en matière de politique étrangère. Achevant actuellement la lecture (laborieuse) du "pavé" que Bill Clinton a consacré à sa vie (et plus encore aux détails de sa vie) et, en parallèle, le dernier ouvrage de Dominique de Villepin, le Requin et la mouette, je ne cesse de m’étonner du décalage entre les approches française et américaine des questions politiques. Certes, de Villepin, adepte de la flamboyance littéraire, est assez atypique au sein de la classe politique française.

Mais Bill Clinton n’est pas George Bush. Cependant la permanence de Dieu, de la religion, de la famille et de l’Amérique stricto sensu dans une absence de réflexion générale est plutôt pesante. La tactique électorale l’emporte sur les convictions profondes. Si tant est qu’on puisse ambitionner d’être président des Etats-Unis en ayant des convictions profondes ! En son temps, je n’étais pas fan de Papa Bush ; mais à écouter son fils argumenter, j’en viens à lui trouver bien des qualités intellectuelles (j’ai déjà eu l’occasion de le dire mais il n’est pas inutile de relire le livre qu’il a cosigné avec Brent Scowcroft A la Maison Blanche. 4 ans pour changer le monde publié en janvier 1999 par Odile Jacob également éditrice de Ma vie de Bill Clinton)

Voilà donc Bush et Kerry qui s’affrontent sur le volet "politique étrangère" de la campagne présidentielle 2004. Politique étrangère, c’est beaucoup dire. Les deux hommes, se refusant à donner raison à Léon Trotsky ("La politique étrangère est toujours et partout la continuation de la politique intérieure, car elle est celle de la même classe dominante et poursuit les mêmes
fins "), limitent leur intervention à l’impact sur la politique intérieure de la politique extérieure de l’Amérique. Ne voulant pas comprendre que l’une (la politique étrangère) procède de l’autre (la politique intérieure). C’est dire que le seul aspect de la politique étrangère US pris en compte est l’invasion de l’Irak par les Bush-Men !

C’est dire que les relations transatlantiques, l’élargissement de l’Union européenne, l’évolution de l’Amérique latine (avec, notamment, l’expérience brésilienne), la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale, la question des prix du pétrole, la situation au Moyen-Orient et la crise palestinienne, l’émergence de nouvelles puissances mondiales, le débat sur la réforme des Nations unies, la dramatique situation de l’Afrique noire, l’environnement mondial, etc... ne sont pas abordés dans un débat entre celui qui est le chef de l’Etat américain et celui qui voudrait l’être. Quant à la question irakienne, elle n’est prise en compte que dans sa dimension US. L’Irak et les irakiens importent peu ; ce qui importe c’est l’Amérique en Irak.

C’est préoccupant car Kerry le dit : "L’Amérique est plus sûre et plus forte si nous sommes les leaders du monde et si nous dirigeons des alliances fortes ". "W" nous l’avait déjà dit ; Kerry nous le confirme (mais il ne faut pas s’en étonner : c’était une constante aussi chez Clinton qui ne cesse d’affirmer que l’Amérique a vocation à diriger le monde). Mais peut-on diriger le monde en développant une vision des relations internationales qui fait de Kerry et de Bush les caricatures de leurs marionnettes des Guignols de l’info ?

Quelle sera la politique étrangère de Kerry quand il sera à la Maison Blanche ? Il fera la même chose que "W" ; mais "en mieux". Il a un "meilleur plan" ; il fera un "meilleur travail" ; il pourra "mieux organiser", "mieux préparer", etc... Kerry l’a affirmé : "Le plan du président [...] tient en trois mots.. "la même chose" [...] Mon plan est meilleur". Kerry nous explique que Bush "a fait une colossale erreur de jugement" : la guerre contre le terrorisme devait se mener en Afghanistan et non pas en Irak ; l’objectif, c’est Oussama Ben Laden.

L’armée US devait donc intervenir massivement à Tora Bora et les Bush-Men ne devaient pas s’appuyer, pour cela, sur les chefs de guerre afghans. "C’est une faute" de l’avoir fait, dit-il. "L’Irak n’est même pas le point central de la guerre contre le terrorisme, a-t-il déclaré. Le centre de cette guerre est en Afghanistan. L’Afghanistan où il y a plus de morts américains cette année que l’année précédente,. où la production d’opium représente 75 % de la production mondiale,. où l’opium représente 40 à 60 % de l’économie du pays,. où les élections ont été reportées à trois reprises ".

Après avoir privilégié l’assaut contre Saddam Hussein en Irak plutôt que contre Ben Laden en Afghanistan, les Bush-Men sont responsables, également, d’avoir ’lait éclater les alliances dans le monde ". Résultat : "aujourd’hui, nous supportons 90 % des pertes humaines et 90 % des coûts en Irak". Et, tout naturellement, Kerry prendra à témoin Papa Bush pour montrer que "W" n’est ni "malin", ni "intelligent" dans sa guerre contre le terrorisme. Kerry explique : "Vous savez, le père du président n’est pas arrivé à Bagdad, il n’a pas dépassé Bassora et, comme il l’a écrit dans son livre [A la Maison Blanche, cf. supra.

Papa Bush écrivait alors : "Toute occupation de l’Irak aurait eu instantanément pour effet de faire voler notre coalition en éclats et de dresser le monde arabe contre nous en permettant à un tyran renversé de se muer en un héros contemporain de la cause arabe.. non seulement cela nous aurait conduits à violer la loi internationale représentée par les résolutions du Conseil de sécurité, mais la tâche qu’il nous aurait fallu alors assigner à nos jeunes soldats (la recherche vouée à l’échec d’un dictateur solidement retranché) les aurait condamnés à livrer cette forme de guerre ingagnable que constitue la guérilla urbaine" - Papa Bush devrait prêter ses livres à son fils !], c’est parce qu’il savait qu’il n y avait pas de stratégie de sortie viable. Il avait déclaré que nos troupes seraient des occupants dans un pays hostile, et c’est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Cela est ressenti comme une sorte d’occupation américaine ".

Que préconise donc Kerry pour sortir de cette impasse ? "Faire mieux que cela" répond-il.
Faire mieux c’est "gagner cette bataille [maintenant que] nos troupes [...] sont là-bas. Nous devons réussir, nous ne pouvons quitter l’Irak sur un échec ". Et pour parvenir à gagner il faut reconstituer une coalition avec les pays qui "ont aussi des intérêts dans cette lutte.. les pays arabes pour éviter une guerre civile,. les pays européens pour éviter le chaos à leur porte ". Et après ? "Je ferai la chasse aux terroristes, je les tuerai, où qu’ils soient".

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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