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FINANCEMENTS OCCULTES EN FRANCE : Les mallettes de l’irresponsabilité

Publié le mardi 13 septembre 2011 à 03h10min

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C’est un secret de Polichinelle. Il est de notoriété publique que les chefs d’Etat africains, notamment ceux du pré carré français, entretiennent avec les dirigeants de l’ex-métropole, des relations qui ne brillent pas par leur transparence. Les récentes déclarations de l’avocat Robert Bourgi, consideré comme un proche du président français, Nicolas Sarkozy, viennent renforcer ce sentiment. Il accuse l’ex-président français, Jacques Chirac et son Premier ministre, Dominique de Villepin, d’avoir bénéficié de financements occultes en provenance d’Afrique. Et, de citer nommément certains chefs d’Etat africains, « bailleurs de fonds » de ces dirigeants français.

Certes, on ne peut pas faire abstraction du contexte dans lequel Bourgi parle : procès des emplois fictifs de la mairie de Paris où Chirac est accusé, sortie prochaine du livre de Pierre Péant intitulé « La République des mallettes » où les financements occultes reçus par les dirigeants français, y compris Sarkozy, sont dénoncés, bataille pour la prochaine présidentielle en France et séjour du président burkinabè en France. S’agit-il là d’un sincère mea culpa ou de simples manœuvres politiciennes ? Il y a peut-être un peu des deux. En effet, on peut penser qu’en faisant ces révélations tout en prenant le soin de mentionner qu’avec Sarkozy, ces financements n’ont plus droit de cité, Bourgi prêche pour son mentor qui n’est pourtant pas sans reproche.

Qu’à cela ne tienne, on ne peut s’empêcher de croire qu’il y a un fond de vérité dans ce qu’il dit. Beaucoup d’épisodes dans les relations franco-africaines laissent penser cela. On se souvient en effet de Giscard d’Estaing avec les diamants de Bokassa et plus récemment, du fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI) avec la mallette d’argent remise par le président sénégalais Wade, de l’affaire Elf, etc. Quant aux dénégations des principaux intéressés et surtout des autorités burkinabè, sénégalaises et gabonaises, elles peinent à convaincre vraiment et font sourire plus d’un. Ce, d’autant plus que, Mamadou Koulibaly, l’un des piliers de l’ex-parti au pouvoir en Côte d’Ivoire, a eu, en ce qui concerne son pays, l’honnêteté de reconnaître que son régime a versé une certaine somme aux dirigeants français en 2002.

Il est facile d’imaginer que ces pratiques touchent la plupart des pays africains francophones. Selon toute vraisemblance, certains dirigeants africains du pré carré français ont rivalisé d’ardeur -chacun voulant probablement être le meilleur contributeur- et d’ingéniosité pour faire la transaction avec le plus de discrétion possible. Par de telles pratiques, on s’en doute, les chefs d’Etat, visent à rentrer dans les bonnes grâces du locataire de l’Elysée, comme un enfant qui offre son bonbon contre la protection d’une personne plus puissante. Sauf que dans le cas présent, le bonbon n’appartient pas à l’enfant seul. Ce sont les fonds du contribuable qui sont ainsi dilapidés.

Les dirigeants français, bénéficiaires des dons des présidents africains, sont sans conteste, condamnables. Leur attitude ressemble fort à une levée d’impôts. Ils préfèrent avoir dans leurs ex-colonies, des dictateurs -pour peu qu’ils leur soient dociles et payent leurs dûs- que des patriotes sincères, défenseurs des intérêts de leurs populations. En agissant de la sorte, les dirigeants français participent à la mise en place des mécanismes d’évasion des ressources du continent. Ils sont coresponsables du sous-développement des pays exploités et de la misère subséquente des populations. Pour les dirigeants africains, ces accusations qui sont certes difficiles à prouver, n’en sont pas moins accablantes. Ils sont nombreux qui sont prêts à payer pour perdurer au pouvoir, être protégés, cités en exemple par les puissants du monde même quand, à cause des travers de leur dictature, leurs populations croupissent dans la misère.

Ils ont assez d’argent pour financer les campagnes des dirigeants français alors même que leurs pays respectifs tendent la sébile et attendent que la même France et les autres partenaires veuillent bien, dans leur magnanimité, leur accorder des prêts et aides, souvent "toxiques". En se comportant ainsi, ces dirigeants infantilisent leurs pays vis-à-vis de la France. Ils œuvrent à les maintenir sous domination française. L’essentiel, apparemment, étant de vivre les délices d’un règne sans fin ni partage. Si cette attitude n’est pas de l’irresponsabilité, elle y ressemble fort. Cette générosité déplacée cache mal un vrai problème de gouvernance et de souveraineté des Etats africains concernés. Il ne faut pas se voiler la face. La corruption et la mauvaise gestion des biens publics sont ancrées dans les systèmes de gouvernance sous nos tropiques.

De même, le destin des peuples colonisés d’Afrique se décide encore, pour une large part, à l’Elysée. Une des preuves éloquentes de cette soumission est le rattachement du franc CFA à la banque de France. Ces révélations de Robert Bourgi qui viennent après celles faites sur la négociation, pour le moins déplacée, de Karim Wade d’une intervention militaire française au Sénégal lors des émeutes, et celles de Wikileaks, ont toutefois un mérite : il y aura désormais beaucoup plus de mal à agir incognito, que ce soit du côté des "bailleurs de fonds" africains que de leurs "heureux bénéficiaires" de l’Elysée. Les auteurs de détournements de fonds, car c’est bien d’eux qu’il s’agit, ont intérêt à s’en convaincre. On imagine que les révélations de Bourgi auront un certain écho dans le landerneau politique français. Mais, les Africains doivent comprendre qu’ils sont les vrais perdants dans cette histoire. Il est temps qu’ils fassent preuve de maturité et prennent à bras-le-corps leurs responsabilités.

L’obligation de rendre compte, inhérente à toute gouvernance démocratique, doit cesser d’être un simple discours. La balle est, pour cet aggiornamento, dans le camp de la société civile africaine. Elle doit sortir de sa torpeur et prendre le relais, pour demander des explications à tous les gouvernants. Pour cela, une sacrée dose de courage lui sera fort utile. Car, dans l’ensemble, le contribuable africain, par ignorance ou par négligence coupable, ne se préoccupe pas de savoir ce qu’on fait de son argent. Probable conséquence de cette attitude, il y a encore beaucoup d’opacité dans la gestion de la chose publique sur le continent. Le chantier est immense. Pour que cesse la circulation de ces mallettes occultes, il faut une vigilance permanente des populations.

"Le Pays"

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