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Côte d’ivoire- ADO-BÉDIÉ : Le mariage de la carpe et du lapin

Publié le lundi 27 septembre 2004 à 07h59min

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Ouattara, Bédié et Cie

Seules les montagnes ne se croisent pas. Avec cette citation, on peut illustrer la rencontre entre Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara.

Ainsi donc, les deux ennemis héréditaires, formés dans le moule de l’houphouëtisme, semblent décidés à enterrer la hache de guerre. Henri Konan Bédié et Madame ont en effet reçu à dîner, dans leur appartement parisien, l’ancien Premier ministre et son épouse le 23 septembre.

Un dîner familial pour se réconcilier, dit-on. Sans blague ! Il n’y a que dans les télé novelas brésiliennes que l’on se réconcilie entre un dîner et un apéritif. Cette expression « familiale » est d’un laconisme amusant quand on connaît l’inimitié qui existait dans ce couple mal assorti, et qui s’est exacerbé après la mort d’Houphouët, le père spirituel de tous.

En décembre 93, Félix Houphouët Boigny meurt de sa maladie. La guerre des dauphins commence. Pour l’occupation du fauteuil présidentiel, deux héritiers se regardaient depuis en chiens de faïence : le Premier ministre, Alassane Dramane Ouattara, et le Président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié. Lequel Bédié avait l’article 11 de la Constitution avec lui. En cas de vacance du pouvoir, c’était lui, l’occupant du perchoir, qui devait assurer l’intérim. Il ne se fit donc pas prier pour terminer le mandat inachevé du père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire alors que l’autre voulait lui couper l’herbe sous les pieds.

L’enfant terrible de Daoukro, Baoulé de la communauté des Akans comme Houphouët et doté de la même voix nasillarde, décida de faire d’Ado son affaire, et nomma Daniel Kablan Duncan au poste de Premier ministre. Fâché, Alassane créa le RDR, le Rassemblement démocratique des républicains. En novembre 94, il y eut adoption d’un code électoral où il est stipulé que, pour être candidat à la présidentielle ivoirienne, il faut être Ivoirien de naissance, né de parents eux-mêmes Ivoiriens.

Le concept de l’ivoirité, qui allait faire de grosses vagues au bord de la lagune Ebrié, était né. Ado ne put se présenter à l’élection présidentielle de 95, et son alliance avec celui qui s’illustrera plus tard comme le plus célèbre des boulangers d’Afrique, ne porta pas fruit non plus. Plus tard, un mandat d’arrêt sera lancé contre le géniteur du RDR pour faux et usage de faux, les autorités ivoiriennes lui déniant même le droit d’user de sa pièce d’identité. S’en sont suivies de multiples arrestations au sein de ses partisans.

Le summum du ridicule fut atteint quand des sbires du pouvoir en place allèrent jusqu’à « cuisiner » la maman d’Ado afin de se convaincre que son fils est réellement sorti de son ventre. Pitoyable. Ils auraient pu continuer de jouer à « qui est le plus digne fils ? » si, le 23 décembre 99, un père Noël à l’africaine n’était venu renvoyer ces deux enfants gâtés du « vieux » à leurs chères études politiques. C’était le premier coup d’Etat dans le parcours pas du tout mouvementé de ce pays jusque-là.

Ironie de l’histoire, Bédié l’éjecté, qui se targuait d’être l’enfant de pure souche ivoirienne, négocia son départ et se trouva d’abord une terre d’asile au Togo. Le "balayeur" également prit goût à la chose. Il balaya si bien la maison qu’il fit le vide autour de lui, ce qui permit au socialiste de Gbagbo de le rouler dans la farine pour arriver au pouvoir, après des élections bien controversées et surtout un bain de sang sans précédent dans l’Eburnie. Toutes ces péripéties politiques n’ont pas porté chance à Bédié et pas davantage à Ado. Aujourd’hui, les ennemis d’hier semblent subitement réaliser qu’ils peuvent avoir un destin commun. Cela a commencé le 21 septembre dernier, dans les locaux de l’UNESCO.

Les deux lauréats du prix Houphouët pour la paix, le cardinal Roger Etchegaray, et l’imam principal de Zagreb, Mustapha Ceric, ont ainsi été, à leur insu, les artisans de cette rencontre : Henri Konan Bédié a en effet profité de cette tribune pour parler de la paix et de la tolérance en faisant une allusion directe aux difficultés que traverse la Côte d’Ivoire. Il est même allé plus loin en prenant l’Assemblée comme témoin d’ un véritable engagement « pour une union fraternelle » entre lui et l’ancien Premier ministre. On était bien devant la tribune de l’UNESCO !

Les applaudissements de la salle ont été reçus comme un encouragement. Cela a poussé les deux leaders politiques à convenir rapidement de la date d’une autre rencontre. Et comme il faut battre le fer pendant qu’il est chaud … Mais ce mariage de la carpe et du lapin, c’est-à-dire contre nature au regard de l’incompatibilité historique des mariés, pourra-il porter fruits ? Cette alliance pourra difficilement survivre au grand fossé d’incompréhension qui existe entre les deux leaders politiques.

Certes, ils se sont tous abreuvés aux sources spirituelles de l’houphouëtisme, mais ce qui les sépare est plus grand que ce qui les unit, quand bien même ils ont depuis quelque temps un ennemi commun à abattre et à qui ils doivent ces retrouvailles circonstancielles. On le sait, cette stratégie entre dans le cadre de la prochaine présidentielle en Côte d’Ivoire, mais le problème est ailleurs. Le grand préalable à cette élection, c’est le fameux DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion).

Mais des rebelles ou de Gbagbo, lequel est fou pour se laisser désarmer le premier ? Ce n’est surtout pas ce dernier, qui doit toujours garder une bonne provision de sacs de farine. Le premier à le faire ne deviendrait-il pas Lucky Luke sans son pistolet ? Et puis soyons sérieux ! En neuf mois, on ne prépare pas une élection. D’ailleurs, de la population ivoirienne aujourd’hui, on peut dire que chat échaudé craint l’eau froide. N’a-t-elle pas désormais besoin d’un homme neuf pour la gouverner ? Cette union Ado-Bédié pour créer une « UMP bis » est donc comme une tempête dans un verre d’eau. Elle est venue en retard d’une époque.

Certes, les deux hommes ont décidé de mettre balle à terre, conjoncture oblige, mais si Ado peut pardonner, peut-il oublier aussi facilement que c’est Bédié qui a créé de toutes pièces ses problèmes et, par ricochet, ceux de la Côte d’Ivoire ? Autant dire que la mort de cette alliance serait vite programmée dès lors que les raisons qui l’ont fait naître n’existeront plus.

Issa K. Barry,
Observateur Paalga

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