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Le « printemps africain » de Alpha Condé pourrait être mis à mal par quelques gelées tardives (2/3)

Publié le mardi 29 mars 2011 à 02h49min

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Alors que Alpha Condé est à Paris pour nous expliquer que « nous vivons un printemps africain » depuis son élection à la présidence de la République de Guinée, la presse française ne s’intéresse qu’à la collusion entre le chef de l’Etat et Vincent Bolloré. « Le groupe Bolloré utilise-t-il les activités de communication de sa filiale Euro RSCG pour consolider ses positions de gestionnaire de 13 ports africains ? La question est posée à l’occasion de la réception à l’Elysée, mercredi 23 mars, d’Alpha Condé, premier président de Guinée-Conakry élu démocratiquement en novembre 2010 », écrit Philipe Bernard dans Le Monde (daté du jeudi 24 mars 2011).

Olivier Baratelli, l’avocat du groupe Bolloré qui s’est illustré par ses plaidoiries lors des procès en diffamation que son client à intenté à des journalistes français ces dernières années, s’enflamme : « Il est inadmissible de croire qu’un groupe comme Bolloré ait pu corrompre un chef d’Etat étranger ». Collusion n’est peut-être que « soupçon de corruption » (pour reprendre le titre de Libération du 18 mars 2011) mais qui peut nier l’évidence : en ayant contribué à porter au pouvoir Condé, le groupe Bolloré semble être parvenu à s’approprier la gestion du port de Conakry. « Un arrangement, un échange de service », commente l’ancien ministre (de droite) de la Coopération, Pierre-André Wiltzer (conseiller du groupe NCT Necotrans).

C’est Euro-RSCG, filiale du groupe Havas, propriété de Bolloré, qui a organisé la communication de Condé. C’est par ailleurs Jean Picollec qui a édité le livre d’entretiens de Condé (« Un Africain engagé ») rédigé par Jean Bothorel. Bothorel a été l’auteur de la « biographie autorisée » de Vincent Bolloré (« Vincent Bolloré, une histoire de famille ») publiée chez Picollec en juin 2007 après que Sarkozy ait navigué au large des côtes maltaises sur le Paloma, le yacht de Bolloré ; ce qui n’avait pas manqué de faire mauvaise impression et ne faisait qu’annoncer la couleur « bling-bling » du régime.

Il s’agissait dans cette bio de Vincent Bolloré de souligner que « Vincent lui-même, s’il est proche de Nicolas Sarkozy, il l’est tout autant de Michel Rocard ou de Bernard Kouchner » ; ce qui, quand on connaît l’un et l’autre, ne saurait vraiment étonner tant ils sont, eux aussi, les illustrations de la collusion entre les décideurs politiques et les opérateurs économiques. Cela apporte de l’eau au moulin de NCT Necotrans : Kouchner est en ce moment un visiteur fréquent à Conakry pour la négociation de quelques contrats dans le domaine de la santé et, selon Le Nouvel Observateur, séjournerait alors au sein de la base Bolloré !

Quant à Picollec, Vincent Bolloré lui confiera la direction des éditions de La Table Ronde, fondée par l’oncle de Bolloré : Gwenn-Aël Bolloré (quelque peu dépouillé, légalement, par ses deux neveux, Michel-Yves et Vincent Bolloré, cf. LDD Spécial Week-End 016/Samedi 26-dimanche 27 janvier 2002). Bothorel, le biographe de Vincent Bolloré, qui se présente comme journaliste et écrivain (il a effectivement une bonne vingtaine d’ouvrages à son actif), prônait dans les affaires africaines, voici quelques années, une « diplomatie des bons offices » ; « une diplomatie de conciliation, de médiation, soucieuse de la souveraineté des uns et des autres.

Une diplomatie aux antipodes du « droit d’ingérence », ce concept flou, dont on ne cesse de mesurer les limites en Afghanistan, par exemple » (Le Monde daté du 26 juin 2009).

La visite officielle à Paris de Alpha Condé se résume donc, essentiellement, dans la presse française à cette « affaire Getma-Bolloré » et à la « polémique qui enfle » selon Laurent Larcher dans La Croix (25 mars 2011). Condé a donc fait l’impasse sur les entretiens avec les journalistes et c’est Dominique Lafont, le directeur général de Bolloré Africa Logistics, qui a dû s’y coller : Un long entretien, ce matin (vendredi 24 mars 2011), dans Les Echos avec Antoine Boudet, pour expliquer ce qui s’est passé en 2008 lorsque NTC Necotrans a obtenu la concession du port de Conakry. Lafont parle comme un ministre de l’Economie et des Finances de la Guinée : « Le pays sort de cinquante années extrêmement troublées.

Il est financièrement pris à la gorge et le président Alpha Condé élu démocratiquement doit aller vite, malgré un manque de ressources criantes […] Nous espérons à cet égard qu’à l’occasion de la visite officielle du président à Paris, l’Agence française de développement pourra soutenir ce projet [il s’agit de draguer à une profondeur de 14 mètres le chenal du port de Conakry] ». Bolloré peut virer ses gars de chez Euro RSCG, spécialistes de la « com », Lafont, désormais, sait faire tous les boulots ! Au passage, rappelons que le patron de l’AFD n’est autre que Dov Zerah (cf. LDD AFD 001/Vendredi 21 mai 2010) dont la gestion est contestée : « nominations suspectes, proximité avec l’Elysée, dégradation de l’image de la coopération… » titrait Libération récemment (jeudi 10 mars 2011) la longue enquête de Christian Losson.

Le problème avec les présidents « socialos » (en Afrique comme ailleurs), c’est qu’ils ont mis leur idéologie dans la poche sans doute sous un gros paquet de pognon. Au sujet de « l’affaire Getma-Bolloré », la presse fait son boulot ; elle informe. Mais Condé se sent plus mal traité comme président de la République que comme « opposant historique ». Et son premier ministre, Mohamed Saïd Fofana, qui ne connaît pas le poids des mots, peut bien dénoncer une « campagne de presse insidieuse », personne ne peut oublier qu’il a été secrétaire général de la Chambre nationale de commerce et d’industrie de Guinée, directeur national du commerce extérieur et de la compétitivité, directeur du service de coordination et de suivi de la gestion des projets du ministère du Commerce, de l’Industrie et des PME (poste qu’il occupait avant sa nomination à la primature) et… membre du comité d’administration du Port autonome de Conakry.

Qu’il me pardonne, mais en matière de gestion économique sous la férule de dictateurs, Fofana, dit « Fofana-Chambre-de-Commerce », ce n’est pas Blanche-Neige. Et Richard Talbot, le patron de NCT Necrotrans a, dans une « lettre ouverte » en date du 22 mars 2011 répondu point par point aux allégations de Fofana dans son discours de politique générale (19 mars 2011). C’est bien de vouloir faire un grand ménage ; encore faut-il regarder à qui on confie le balai.

« Une campagne de presse insidieuse », cela signifie que les journalistes cherchent à « tromper » les lecteurs. Or, c’est, simplement, rechercher de la cohérence dans les propos tenus par les responsables politiques. C’est vrai en matière de business comme en matière diplomatique. Exemple : question de Etienne Mougeotte et Pierre Prier dans Le Figaro (23 mars 2011) : « Le départ de Mouammar Kadhafi ne serait-il pas une bonne chose pour l’Afrique ? ». Une question soft ; rien « d’insidieux » Réponse de Condé : « Je n’ai pas à porter de jugement sur un dirigeant ». O.K. ! Sauf que le premier déplacement officiel de Condé, au lendemain de sa prestation de serment, a été pour la Libye de Kadhafi. C’était une promesse que « l’opposant historique » avait faite au « guide de la révolution » (en fait le premier déplacement de Condé a été pour le « facilitateur » dans le dossier guinéen : Blaise Compaoré, à Ouagadougou).

A Tripoli, Condé va visiter le Musée de la résistance à l’agression américano-atlantique (construit après l’attaque aérienne de la Libye décidée en 1986 par Ronald Reagan). Livre d’or de la visite ; dédicace de Condé : « La vérité, le courage et l’assiduité triomphent toujours. Ceci doit inspirer les prochaines générations. Le guide a pu résister face à l’agression et ceux qui l’ont menée et autres ont montré qu’ils sont prêts à tout pour détruire. Mais grâce à Dieu, le plus haut, la victoire a été possible ».

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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