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LA NOUVELLE DU VENDREDI : Au nom du sang

Publié le vendredi 14 janvier 2011 à 00h07min

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Au moulin, on en parlait, les quolibets étaient décochés à la pauvrette, celle dont les tendresses et les effluves ne suffisaient pas à maintenir le mari au lit la nuit venue. Car, à la chaleur de sa femme, l’homme préférait rêvasser dans l’étable, aux côtés de ses vaches : le coeur rejoignait la fortune. Dans l’étable, Paul contemplait sa fortune. Rien d’autre ! Il évaluait et réévaluait sa fortune selon le cours du bétail au marché local. La veille, il faisait un calcul que des impondérables du marché avaient tout de suite rendu irréalistes. Il sortait alors mesurer de nouveau ses chances pour le lendemain. C’est ainsi que l’éventualité de les mener au marché de Kan où les vaches se négocient au prix fort lui remontait le moral. Aussi, reportait-il volontiers le jour de la vente.

A la buvette du syrien Bachour, Paul offrait volontiers de la bière à qui se donnait l’esprit de vanter ses vaches dont la rondeur devenait injurieuse aux yeux de l’agent technique d’élevage. Car celui-là, depuis cinq ans, expérimentait vainement une nouvelle technique d’élevage. Et l’homme de se targuer d’être méprisé par un fonctionnaire formé pour réussir en élevage ! "Ouuuh ! Wouiiihi !!!" Les cris d’orfraie venant du coté de l’étable de Paul fendirent la quiétude de la nuit et brisèrent le sommeil. Il fallait oublier l’orgueil de l’homme, pardonner ses arrogances et ces propos tendancieux.

De même l’on fit comme si le grand éleveur ne se pâmait pas insidieusement de la pauvreté légendaire de certains voisins. Comme unies par un malheur collectif, des silhouettes jaillirent de leurs loges ; qui avec une lampe-torche, qui armé d’une machette, accourant vers la source des cris. Si bien que cinq minutes après, l’étable de Paul était dotée d’une seconde clôture faite d’hommes sidérés, venus au secours de l’homme qu’ils crurent d’abord blessé par une bête. Le cas échéant, nonobstant son caractère déplorable, n’étonnerait personne dans ce village où les "agir" de celui-là inspiraient depuis longtemps les cantatrices. Au point qu’il passait pour être un personnage assez illustratif pour désigner d’une manière générale la cupidité et l’orgueil. La disparition des vaches autant que les cris qui précédèrent le douloureux constat consterna badauds et secouristes rassemblés en un mur compact autour de Paul. Plutôt infantilisé dans une posture de femme enceinte, le puissant homme assis au centre de l’étable vide dodelinait de la tête en se lamentant. Quand on entreprit de lui ôter cette image humiliante, il accepta de se tenir sur ses jambes, sans pour autant s’empêcher de gémir.

Des voix autoritaires enjoignirent les enfants de regagner le fond de leurs cases. Quant à Fati l’épouse de l’infortuné et à leur enfant Djibi, garçonnet de dix ans, ils s’étaient laissés un peu tôt conduire dans une cour voisine où des femmes s’affairaient à les tranquilliser. Cette nuit-là, le ciel affichait un voile ténébreux piqué de quelques minuscules lampions. A mesure que l’heure avançait, les voix s’estompaient. Un homme attendait que cessât de brailler le transistor de l’instituteur, le couche-tard du village. Il jurait de lancer à l’éducateur quelque maléfice si d’aventure l’indiscrétion de ses tâches nocturnes persistait. On écarta le morceau de palissade qui barrait la porte d’entrée de la case. Et une grosse main entraîna Kader dehors. L’enfant comprenant le dessein de cette présence par cette heure tardive de la nuit, la suivit timidement jusque au pied du neem qui domine le centre de la courette à équidistance de l’habitation de ses parents et de la sienne. "Le moment est favorable, lui chuchota-t-elle. Il n’y a plus de risque." Elle poursuivit ensuite en lui proposant un produit contenu dans un noeud de tissu : "Voilà un petit quelque chose qui te mettra à l’abri des dangers et des soupçons.

Reçois, en outre, mes bénédictions." Alors, à l’instar d’un initié dont les gestes savants s’amorcent et s’organisent mécaniquement, l’enfant s’abaissa religieusement - sans mot dire -, de sorte à présenter le plat de sa nuque. L’homme mûr y cracha par trois fois ; bénédiction tout de symbole dans une société à évolution rétive qui refuse de s’irriguer d’eaux nouvelles. Cela va de soi quand au sein de la communauté le culte du syncrétisme et des assimilations diverses prend le pas sur le choix engagé. Aussi, le catéchiste assistait-il au rituel de la sortie des initiés, tandis que le pasteur était l’ami du féticheur et que l’iman siégeait au tribunal coutumier. Celui-là particulièrement mettait un point d’honneur à tenir l’opinion au courant des actes de charité qu’il posait à l’endroit des pauvres. Une fois le seuil de la concession franchi, Kader s’avança jusqu’à l’étable avec toute la prudence nécessaire. Il en écarta soigneusement une à une les pièces de bois dont l’ensemble constituait parfaitement un obstacle contre les velléités d’évasion des locataires. Son regard boucla à peine le tour aussitôt entamé qu’il distingua dans la pénombre les précieuses bosses. Paniquées, celles-ci se réfugièrent dans un angle tandis que d’un pas rassuré l’enfant s’avançait.

Parvenu à leur hauteur, il tapota une première dont la docilité ne surprit point, tant elle fut aveuglée par une poudre de perlimpinpin que le visiteur de l’étable dissipa en entrant. Une autre, et une autre encore, sujette au pouvoir de la tape, ajouté par la poudre mystérieuse. A croire que l’étable fut évacuée et les environs désertés le temps de ciller l’oeil ! Après quoi, commença le voyage à travers la brousse, qui s’ouvre là-bas sur les premières cases de Kan. Une fois cette importante étape franchie, la suite consisterait en un simple tour au marché à bétail. Mais les choses prirent une allure aussi brutale qu’impromptue, tranchant net avec les prévisions. En effet, le convoi allait bon train quand apparut en face, une lueur inquiétante. Au fait, elle farfouillait la nature, zébrant les ténèbres épaississantes. Pour se placer hors d’atteinte, le voyageur obliqua et accéléra le pas devant un troupeau courant après lui comme tracté avec des cordes invisibles. C’est alors que la situation se précisa car des voix se firent entendre en ces endroits objets de superstitions et d’histoires dramatiques.

Il sentit alors au-dessus de lui comme la menace d’un monstre. Surtout quand le faisceau balaya l’alentour, troua les frondaisons, puis revint s’abattre sur le troupeau. Au risque de se déchirer la peau, Kader se recroquevilla dans les hautes herbes. Les bêtes se couchèrent d’autant, sans tromper la vigilance du faisceau gendarme. Malédiction, soupira l’enfant ! tandis que s’emballaient et s’amplifiaient des voix rudes, vite aidées par une peur panique qui le garrotta ferme. Lorsque les premiers badauds les accueillirent à l’entrée du village, ils proférèrent les menaces les plus cruelles au voleur que les gaillards qui le ramenaient sur leurs épaules refusèrent de qualifier comme tel. La prise fut conduite chez Moussa où un comité de crise renforcé de femmes et d’enfants attendait le retour des gaillards lancés sur les traces de celui qu’on eut soupçonné le moins possible. Le fils de l’imam en personne !

- Il nous a obligés à le ficeler et le traîner contre pierres et souches, dit le porteur en guise d’excuse pour les attaches de corde et les lacérations qui zébraient le corps de l’enfant. Le père, visiblement consterné, se garda de prendre la parole, comme sa sagesse et son ascendance sociale lui en conféraient le droit. En revanche, il la passa d’un coup d’oeil à Dieudonné le catéchiste. "A-t-il fait des aveux ? Demanda celui-ci.
- Rien, répondirent les badauds.
- Kader, tu nous surprends trop, continua-t-il à l’endroit de l’enfant. Avoue-nous qui t’a inspiré cet acte qui, à présent, nous bouleverse tous.
- …. Libéré de ses liens et assis les jambes en rond à même le sol, l’enfant resta muet, entourant en revanche d’un regard dédaigneux un fer rouge qui ne saurait lui arracher le nom de son père. Au nom du sang.

Aimé A. H. BEOGO E-mail : aimerbeogo@yahoo.fr

FIN

Le Pays

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