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SCRUTIN A UN TOUR EN RD CONGO : Vers un recul démocratique

Publié le mercredi 5 janvier 2011 à 03h33min

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Au nombre de la dizaine de pays africains qui connaîtront des élections en 2011, il y a la République Démocratique du Congo (RDC). Dans ce pays, il est prévu une élection présidentielle en novembre. A 10 mois de ce rendez-vous crucial, les grandes manœuvres ont déjà commencé. Dans le dernier trimestre de 2010, c’est l’opposition qui a donné le ton en commençant à fourbir ses armes. Faisant sien l’adage selon lequel « qui veut voyager loin ménage sa monture », l’opposant historique Etienne Tshisekedi est rentré de son long séjour bruxellois pour se faire investir candidat de son parti, malgré son âge jugé avancé (77 ans) à l’élection de novembre 2011. A sa suite, c’est Vital Kamerhe, ancien allié du président actuellement au pouvoir, Joseph Kabila, qui est sorti du bois pour annoncer sa candidature.

En ce début d’année, c’est au tour du parti au pouvoir et de ses satellites de s’agiter autrement pour cette même présidentielle. En effet, au lieu d’annoncer une ou des candidatures, la mouvance présidentielle propose plutôt un changement des règles du jeu. Elle propose une révision du mode de scrutin pour ramener l’élection présidentielle de deux tours à un. Principaux arguments avancés par les révisionnistes : le coût élevé de l’élection à deux tours et l’exacerbation des tensions sociales consécutives au second tour en Afrique.

Tout cela est bien beau mais cache en réalité une peur bleue du pouvoir actuel face à la mise en ballotage, dans le meilleur des cas, de son candidat non encore déclaré, Joseph Kabila, par un certain Vital Kamerhe. Pour éviter ce scénario catastrophe, rien qu’une élection à un tour au cours de laquelle tout sera mis en œuvre pour que le candidat sortant passe haut la main, quel que soit son score, étant donné que, de plus en plus, il n’est pas donné à tous les présidents sortants de réaliser, dans leur pays, des scores "à hauteur d’homme" c’est-à-dire à la soviétique. Il s’en trouve même dont les nuits sont hantées par le syndrome ivoirien avec un président sortant qui ne s’imaginait pas un seul instant qu’il ne raflerait pas la mise au premier tour et, à plus forte raison, mordre la poussière face à un adversaire qu’il ne veut même pas voir en peinture.

Quitte à opérer un recul démocratique, ils sont nombreux les chefs d’Etat africains qui ne voudront pas vivre une telle situation. Et c’est ce qui va se passer en RD Congo avec ce projet de révision du mode de scrutin soumis au pouvoir législatif qui, à moins d’un coup de théâtre, n’osera jamais aller à l’encontre de la volonté des puissants du jour. Malgré les protestations de l’opposition, cette révision sera adoptée tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat où le pouvoir est majoritaire. Certes, cette modification pourrait amener les opposants à s’unir pour présenter, de ce fait, un candidat unique. Mais rien ne garantit qu’ils remporteraient le scrutin face au challenger du pouvoir qui usera de tous les moyens pour y rester.

En dehors de ces considérations, il faut dire que c’est une gifle que l’on s’apprête à administrer à la démocratie en RD Congo à partir du moment où l’on ne pensait pas que plus de 20 ans après le discours de La Baule, on en serait encore à remettre en cause les scrutins à deux tours. Ce mode de scrutin fait tellement le charme des joutes électorales que son instauration est réclamée à cor et à cri dans des pays qui ont très tôt opté pour des élections présidentielles à un tour.

Tout se passe comme si après la limitation des mandats présidentiels dont le verrou a sauté (ou est en train de l’être) dans beaucoup de pays africains, c’est le tour des scrutins présidentiels à deux tours qui est dans le collimateur de ceux qui détestent l’alternance au pouvoir. Pour faire passer la pilule comme dans le cas de la non-limitation des mandats présidentiels, les intellectuels ou prétendus tels qui sont au service des princes n’hésitent pas à embrouiller les citoyens avec des arguments fallacieux. Dans le cas de la RD Congo, l’évocation du coût exorbitant de l’élection à deux tours prête à sourire pour deux raisons.

La première raison est que l’Etat congolais, sauf omission de notre part, n’a jamais supporté entièrement le coût des différents scrutins organisés jusque-là. Ceux-ci ont été financés en grande partie par la communauté internationale comme c’est d’ailleurs le cas dans bien des pays africains. Pourtant, si la gouvernance était irréprochable, s’il n’y avait pas l’instabilité chronique, le pays pourrait bien financer tout seul ses élections à partir des revenus issus de l’exploitation des richesses naturelles. Hélas, ce n’est pas le cas et la RD Congo est bien obligée de compter sur la générosité internationale pour que le peuple puisse se donner librement ses dirigeants.

La deuxième est que la démocratie a un coût qu’il faut absolument supporter. C’est vouloir une chose et son contraire que de prélexter le coût des élections pour ramener la présidentielle à un seul tour. Si on pousse loin le raisonnement, on ne devrait pas être étonné qu’un pays africain renonce totalement aux élections pour leur coût exorbitant. De réforme en réforme, cela pourrait bien arriver un jour si l’on n’y prend garde. Dans leur volonté d’adaptation, de tropicalisation de la démocratie, bien des chefs d’Etat ou leur entourage ne manquent pas d’imagination.

Séni DABO

Le Pays

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