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Pyhan Idrissa Damoué : 11 postes en 36 ans de service

Publié le jeudi 16 décembre 2010 à 01h51min

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Conducteur des travaux agricoles, admis à la retraite en 1982, il est chevalier de l’Ordre du mérite voltaïque depuis 1962. Pyhan Idrissa Damoué, celui-là qui a introduit la pastèque au Burkina en 1966, a occupé 11 postes en 36 ans de service. Titulaire du Certificat d’études primaires élémentaires en 1941, il est recruté moniteur d’agriculture en 1944. Aimant le travail bien fait, il a connu une évolution professionnelle rapide. En 1957, il est élu conseiller territorial de la circonscription de Dédougou, puis député en décembre 1958.

Durant 2 heures 50mn, sans désemparer, il a répondu à toutes nos questions : Sa vie scolaire, ses pérégrinations après le Certificat d’études primaires élémentaires dont le retour ‘’manqué’’ dans son village natal, ses activités politiques et surtout son accointance avec Nazi Boni, leader du Parti pour le rassemblement africain (PRA) dont il fut député. C’est de justesse qu’il a échappé à l’accident dans lequel Nazi Boni a trouvé la mort le 16 mai 1963. Voici le témoignage d’un octogénaire.

Qui est Pyhan Damoué ?

Je suis né en 1923 à Oury, j’ai été recruté à l’école de Boromo en septembre 1935. Je suis donc parti grand à l’école. C’était l’école rurale qui venait d’ouvrir ses portes. Ensuite, j’ai rejoint l’école régionale de Dédougou où j’ai fait le cours moyen. C’est là que j’ai obtenu le Certificat d’études primaires élémentaires portant le n° 312 de la Côte d’Ivoire. Notre examen s’est passé à Ouagadougou en 1941 et non à Dédougou. Je n’ai pas fait d’études supérieures.

Qu’est-ce qui vous a véritablement marqué durant vos années d’école primaire ?

Nous avions un instituteur, il ne se décarcassait pas trop. Si bien qu’il reprenait tout simplement, les mêmes leçons de l’année passée, surtout pour les redoublants. Par exemple en sciences naturelles, il disait ceci : « le corps de l’homme se développe quand il est jeune. Il s’use par le travail pour remplacer les matériaux usés et fournir tout ce qui est nécessaire à son développement. L’homme se nourrit, il introduit dans son corps des substances solides ou liquides appelés aliments, c’est la nutrition ».

Relatez-nous comment se passait l’examen du Certificat d’études primaires élémentaires à votre époque ?

L’examen se passait à Ouagadougou où nous nous sommes rendus par camion, 11 jours avant. C’était en décembre 1941, à cette époque, la « Transa » était la seule compagnie de transport qui acheminait les fonctionnaires et autres. Au retour, nous avions emprunté un autre camion qui est parti de Ouagadougou à partir de 7 heures du matin. Nous sommes arrivés à Dédougou vers 9 heures du soir. Quand ce camion montait une colline, nous prenions plaisir à rentrer en brousse cueillir des cure-dents et on rattrapait le véhicule qui allait à pas de tortue,

Comment se déroulait concrètement l’examen ?

L’examen s’est déroulé à l’école centre de Ouagadougou. Souro Sanou y était le directeur. Aujourd’hui décédé, il a laissé un très bon souvenir dans le milieu intellectuel de la capitale. Nous étions 86 candidats venus de différentes écoles. Dédougou en comptait 11. Si mes souvenirs sont bons, sur les 86 élèves, 50 ont échoué. Nous étions soumis à un système d’éliminatoires. Aussitôt après la première épreuve qui était la dictée, la classe s’est clairsemée. Tous ceux qui avaient fait un certain nombre de fautes étaient aussitôt éliminés. Ce fut la même chose après l’épreuve de calcul. Ainsi de suite pour finir, nous n’étions que 36 admis.

Comment s’est effectué votre accueil sur place à Ouagadougou ?

Nous étions logés chez le Baloum-Naaba. Je ne me rappelle plus très bien le nom mais, je crois que c’était un certain Naaba Tinga. C’était le père d’un certain Joseph qui était infirmier vétérinaire. Il nous a hébergés pendant plus de quinze jours. Il nous a nourris gratuitement durant tout le temps passé. Il devrait être un ami du directeur de notre école. Nous étions nourris au tô chaud de petit mil. En dehors de cela quand on sentait la faim, on allait payer de la galette. Chacun de nous avait des cauris reçus des parents.

Vous avez exercé les fonctions d’agent d’agriculture. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Après le certificat, j’avais choisi de rester dans mon village auprès de mon père. Malheureusement, la pression administrative de l’époque ne m’a pas permis de demeurer à Oury. Aussi, j’ai été obligé de partir rester à Boromo chez mes logeurs et là, j’ai été recruté à la Société de prévoyance sociale. J’avais pour chef un certain Kanidao Tiaho. Un homme fameux, bien connu dans la région pour ses pratiques barbares. A cet égard, il n’a pas laissé un bon souvenir. Entre- temps, j’ai pu prendre part à un concours d’entrée à l’école d’agriculture de Bingerville où j’ai suivi une formation de deux ans et je suis sorti moniteur d’agriculture. J’ai fait 36 ans de service avec 11 postes d’affectation.

Certes, vous avez fait carrière dans l’agriculture, mais nous croyons savoir qu’avant, vous aviez occupés d’autrse fonctions, lesquelles ?

Il s’agit de la Société de prévoyance sociale où j’ai été recruté en 1942 en qualité d’encadreur. J’ai connu pas mal de déboires dans cette société où j’ai été affecté à Pâ sur l’axe Ouagadougou-Bobo-Dioulasso, j’y ai trouvé deux greniers pleins de mil. L’un, destiné à la commercialisation et l’autre, à la soudure. C’est-à-dire que si le temps devenu dur, on approvisionnait la population avec son contenu.

Chaque fois qu’un commerçant a besoin de vivres, il passe d’abord chez le commandant, payer la quantité désirée, prend un reçu et vient me présenter les papiers, avant de prendre livraison de la marchandise. Au bout de quelques temps, les 32 tonnes ont été épuisées.

Mais, j’ai constaté qu’il y avait trois tonnes supplémentaires. J’ai alors écrit à mon chef pour le lui signifier. Il me répondit rapidement en m’intimant l’ordre de garder ces trois tonnes et qu’il viendra les chercher plus tard. Puis un certain matin, un commerçant du nom de Mamadou Kourouma arrive avec des sacs et un mot me demandant de lui vendre ce mil.

Ce qui fut fait et j’ai encaissé l’argent. Il y avait un ancien militaire parmi les gens, qui m’ont aidé à sortir le mil du grenier. Celui-ci est allé à Dédougou voir Paul Le Roy, un administrateur très sévère mais très droit, pour lui raconter ce qui s’est passé. Celui-ci m’envoie aussitôt une note dont je me rappelle encore le libellé : « le moniteur Damoué Pynan doit se rendre à Pâ le 3 septembre pour m’y attendre ».

A la date indiquée, je me rends à Pâ. Sur le site, quand bien même, l’eau montait jusqu’à la ceinture, j’ai couru montrer les limites attribuées au chef du village et à sa famille, c’était 0,75 hectare. Il avait trois bras valides. Puis il demande au chef, quelles sont les limites de la parcelle qui vous a été attribuée par le moniteur ? Lui aussi va montrer les mêmes limites.

Maintenant, dit-il, allons au campement voir le problème du mil. Là, je sortis mon carnet de bons. Ensemble, le point fut fait. A la fin, je lui dis : Puis, ayant bien compris qu’il y avait calomnie quant au problème des rizières, il dit à l’intention des plaignants : « quand le riz sera récolté, il ne faut pas qu’un seul grain se perde. Faites battre la quantité récoltée, mettez cela dans des sacs et vous me les envoyez. Je vais nourrir les prisonniers car, ce n’est ni le chef, ni les paysans qui ont cultivé les champs, c’est peut-être des diables. Et comme le diable ne mange pas le riz, les prisonniers, eux, vont manger ». C’est ainsi que justice fut rendue.

Moniteur d’agriculture, comment êtes-vous devenu conducteur des travaux agricoles ?

Tout est parti d’une tournée en 1943 de Paul Le Roy sous la supervision de son chef hiérarchique, un certain Gamot, commandant du cercle de Koudougou. Car entre-temps, Boromo relevait du cercle de Koudougou, en lieu et place de Dédougou. Au nombre des membres de la délégation, il y avait Jean Catinel qui avait la charge de former les moniteurs à Saria.

A leur arrivée à Bagassi, Paul Le Roy se précipite sur moi, me salue chaleureusement et me présente en disant à Catinel : « voici un excellent agent ». Le directeur de Saria s’approche et demande : « M. Damoué, en quelle année avez-vous été formé à Saria ? » Je lui répondis que moi je ne connaissais pas Saria. Tout étonné, il dit : « vous n’avez pas fait Saria, comment parvenez-vous à travailler si bien ? » Je lui dis que j’ai été recruté juste après l’école régionale de Dédougou.

Puis, il poursuit en me demandant si je ne voulais pas essayer le concours des agents de l’agriculture ? Ce à quoi j’ai répondu « Oui, je suis prêt ». C’était le 5 novembre et vers le 27 déjà, on me convoqua à Koudougou pour le concours. Moi, je n’ai pas fait de « j’ai l’honneur ». C’est Catinel qui a fait tout sur télégramme et on m’a autorisé à prendre part au concours de recrutement où j’ai été admis 3ème de la Côte d’Ivoire. Mais, quand je devais partir, Paul Le Roy s’y oppose, arguant que j’allais souffrir pour rien ? Pour lui, je ne pouvais pas suivre avec succès la formation. Et pour me retenir, il me propose une amélioration de traitement salarial de 75 francs par mois à 750 francs/mois. En plus, il me proposa un vélo, un moyen de déplacement que je n’avais pas. Mais, je suis resté de marbre devant tout cela et lui ai tout simplement dit « mon commandant, je veux partir ».

Le regretté Palé Palenfo, qui était lui aussi administrateur ayant suivi l’entretien, m’a confié après qu’il tremblait dans sa veste de peur que Le Roy parvienne à me convaincre. Quant à moi, à tout instant de l’entretien, je craignais d’être frappé, si bien que je me faisais tout petit, en répondant aux questions les bras croisés. Mais j’ai tenu bon pour finir par lui dire « Mon commandant , je veux partir » Avant de partir, il m’a invité à réfléchir bien et que de retour de Gaoua où se poursuivait la tournée, il prendra ma dernière décision. Dès qu’il partit, on prépara ma feuille de route, je fuis le 4 février 1944. C’est comme cela que j’ai quitté Boromo. Au terme des deux années de formation, j’ai eu mon Certificat d’aptitude professionnelle d’agriculture (CAPA).

Ainsi, vous avez vu évoluer votre traitement salarial ?

Oui ! Quand j’étais moniteur de la société de prévoyance, j’étais payé à 75 F par mois. Intégré à l’agriculture et avant que je n’aille à l’école d’agriculture de Bingerville, je percevais 360 F par mois en tant que débutant. Ce traitement s’est progressivement amélioré jusqu’au moment où j’’ai été intégré dans le corps des conducteurs d’agriculture avec 14 000 F et quelques par mois.

En trente six ans de service, vous avez fait 11 postes, qu’est-ce qui explique cela ?

A l’issue de la formation, j’ai été affecté à Kaya. De là, j’ai été détaché pour le projet de la culture cotonnière. Nous étions 29 agents, au démarrage de ce projet qu’on appelait Compagnie française du développement du textile (CFDT). Moi, je fus affecté à Balavé (Nouna). Mes rapports passaient par le cercle avant d’être transmis à mon chef à Bobo-Dioulasso. Il y avait Maurice Yaméogo et Bernard Boni. Ces rapports étaient tellement consistants que chaque fois qu’ils arrivaient, ils prenaient plaisir à les lire et à les comparer à ceux de mon patron. Maurice étant quelqu’un qui n’avait pas peur, il rentrait voir le commandant et lui dit à peu près ceci : « voyez-vous l’injustice de l’administration ; c’est celui-ci qui mérite d’être chef mais c’est plutôt l’inverse ».

Mes rapports étaient alors attendus avec intérêt. Le commandant en prenait connaissance puis les transmettait à qui de droit. La chance venant, un jour un télégramme arrive de Dakar demandant de faire avancer les meilleurs éléments de chaque corps. C’est ainsi que j’ai été intégré dans le corps des conducteurs de travaux agricoles parmi des agents largement plus âgés que moi. Par la suite, j’ai été affecté à Nouna, puis à Djonkongo. De là, on avait voulu m’envoyer à Kongoussi malheureusement, j’ai été mordu par un serpent. Après c’est à Dédougou que je fus muté. Là, j’ai appris que mon père était très malade et je suis venu l’amener là-bas. Ayant constaté la gravité de sa maladie, j’ai insisté auprès de mon patron pour être affecté à Boromo. C’est ainsi que je suis revenu à Boromo avec mon père et il y est décédé.

Donc vous avez vécu la seconde guerre mondiale ?

Je m’en souviens comme si c’était hier, surtout du contenu de l’affiche du gouverneur de Côte d’Ivoire, Henry Crossicia diffusé le 3 septembre 1939 pour informer les populations de la colonie (NDLR, il récite par cœur) : « la guerre est déclarée, la France, indivisible dans toutes ses parties d’Europe et d’Outre-mer, et étroitement unie à l’Empire britannique, s’est élevée aujourd’hui encore contre la brutale hégémonie allemande. La valeur de nos Armées, la puissance de notre industrie, la sympathie vivante de l’univers est un encouragement sur la victoire finale. Laquelle doit y concourir en faisant un sacrifice total de sa vie et de son bien. La conduite glorieuse des fils de ce pays pendant la dernière guerre est un gage certain de notre victoire. Vive la France, vive la Côte d’Ivoire, vive le Gouverneur Henry Crossicia »

Il nous est revenu que c’est par vous que la pastèque est venue au Burkina. Vous le confirmez ?

Oui c’est exact. J’ai eu le privilège d’être choisi avec deux autres agents de l’agriculture pour une formation à TaÏpeh (Chine de Formose) en 1966. Il y avait un Dafing, un de Tenkodogo et moi. C’est là que nous avons connu la pastèque et avons demandé des graines que j’ai essayées dans mon jardin à Koro et ça bien pris, alors que croyant nos terres différentes de celles de Chine, cette espèce ne pouvait pas réussir. Ainsi je vendais ces pastèques à Bobo.

En effet, on dit que ces pastèques étaient tellement appréciées qu’un jour, vous avez fait une vente record. C’est quand exactement ?

Je ne me rappelle pas le jour exact mais c’était au moment où l’armée faisait des manœuvres à Koro près de Bobo-Dioulasso. A cette occasion d’ailleurs, le président actuel, Blaise Compaoré, qui était leur chef, a payé une seule pastèque à 1000 F. Ce jour-là, j’avais des oranges, des pastèques, que vendaient ma femme et ma sœur. Depuis la pastèque s’est propagée dans la région et aujourd’hui, dans tout le pays.

Ainsi donc vous avez été témoin de la période coloniale ?

Oui, à ce temps-là, il y avait trois facteurs qui nous empêchaient de produire : d’abord l’administration coloniale ne vous permettait pas de travailler correctement. La brousse était inondée de fauves tels que le lion. Si bien que vous ne pouvez pas aller tout seul cultiver votre champ sans être menacé par un lion. Ensuite, il y a les invasions acridiennes. C’est ce qui a provoqué la famine de 1932. Aussi, vous ne pouvez pas faire trois à quatre jours pleins sans qu’on ne vous envoie faire les travaux forcés quelque part. Par exemple, la route Boromo-Dédougou, moi j’ai commencé le travail sur cette route, du marché de Oury jusqu’à la frontière du canton de Oury et Safané. J’ai fait 45 jours sur cette route. C’était en 1934, mon âge était compris entre 9 et 10.

La première fois, j’étais allé en remplacement de mon père. Puis j’y ai été retenu pour mon propre tour et enfin pour celui de mon grand-père. On m’a alors donné de la farine de sorgho rouge, quelques boules de soumbala, un peu d’arachide, quelque 140 cauris dans la poche. Au bout de ce calvaire on m’a pris pour aller l’école. Est-ce que dans ces conditions, on peut s’amuser ? Il faut retenir que la misère est elle-même une école !

Vous aviez siégé à l’Assemblée en tant que conseiller territorial, sous quelle bannière avez-vous été élu ?

J’étais sur la liste de Nazi Boni. C’était le MPEA (Mouvement populaire d’évolution africaine). Par la suite, il y a eu la Solidarité voltaïque qui était un regroupement entre le MDV et le PRA. J’ai été élu le 31 mars 1956. J’ai siégé jusqu’au moment où nous avons été mis en congé forcé par Maurice Yaméogo.

Gêné par la configuration de l’Assemblée, le pouvoir l’a dissoute. Alors il fallait faire de nouvelles élections. Puis, est intervenu un nouveau découpage de circonscriptions électorales. Ainsi de la route nationale Ouagadougou-Bobo-Dioulasso, l’est, le sud était une circonscription électorale et le côté nord, une autre circonscription électorale. Tout a été mélangé ainsi, tous ceux qui craignaient d’être rejetés se sont rachetés auprès de Maurice tant à Bobo-Dioulasso qu’à Ouagadougou.

Quelle était la nature de vos relations avec Nazi Boni à l’époque ?

Avant que je n’aille à la politique, je ne l’aimais pas. J’ai même eu à tenir des propos durs envers lui quand j’étais en poste à Banfora. Revenu à Boromo, le 9 mars 1956, des émissaires sont venus me réveiller pour aller m’inscrire sur la liste électorale de Nazi Boni. C’était vers 4 heures du matin qu’on est venu me réveiller pour me faire candidat.

A partir de ce moment, nous sommes restés ensemble jusqu’à sa mort. D’ailleurs, il a fallu de peu pour que je ne sois pas dans l’accident qui lui a coûté la vie ? En effet, la veille de son voyage sur Ouagadougou où il allait donner une conférence sur son livre (Le crépuscule des temps anciens), j’étais en tournée et il est allé voir ma femme et quand j’ai été informé à mon retour, je suis parti le voir.

Il m’a dit « Monsieur Damoué, j’ai fini mon livre à votre honneur, demain, je dois aller à Ouagadougou faire une conférence. Si tu n’étais pas fatigué, je voudrais qu’on aille ensemble ». Je lui ai répondu que je me sentais très fatigué, c’est ce qui m’a retenu et il est parti sans moi. Quand la radio a annoncé sa mort par accident de la circulation, j’étais à table à midi, je me suis mis à crier et toute ma famille m’a suivi. Si j’étais parti avec lui, je n’allais peut-être pas en ressortir vivant.

Vous aviez dit qu’au départ, vous n’aimiez pas Nazi Boni. Pourquoi ?

Je ne l’aimais pas parce que j’ai cru au début qu’il était trop sévère. Mais ce n’était pas le cas. Je retiens de lui un homme véridique, un homme aimable. Seulement s’il s’énerve contre quelqu’un, ça devient difficile. Heureusement qu’i s’énervait rarement. Il vous conseille plusieurs fois avant d’éclater. En tous les cas, il était valable et aimable. Si lui et Ouezzin s’étaient bien compris, cela aurait été bien pour notre pays Malheureusement, ils étaient deux frères opposés. Qu’est-ce qui les opposait concrètement ?

C’est rien que la politique. La politique, vous savez, est un peu difficile car tout le monde s’y mêle et on vous pousse à faire des choses. Le gouvernement colonial ne voulant pas du communisme, il s’est servi des gens pour combattre ceux qui sont perçus comme des communistes. Quand un fonctionnaire était sympathisant du RDA, on le mutait à Gorom-Gorom.

Ainsi donc vous n’êtes plus reparti sur le terrain politique ?

Non. Certes, je militais dans mon parti jusqu’au moment où j’ai été pressenti pour être candidat mais sentant que nous n’allions pas réussir et que je ne voulais pas la perte du parti, je me suis désisté au profit de Tienhonwa Lamien. Nous avons battu campagne pour lui et il a été élu mais quelle ne fut pas notre surprise d’appendre à partir de Ouagadougou que le siège revenait à un certain Bongnessan de Boni qui était en troisième position. En effet le parti a détourné le siège qui revenait normalement au second de la liste au profit de celui qui était troisième. Je me suis senti désarmé car je n’ai jamais vu une telle manigance.

Je me rappelle qu’un jour lors d’une réunion, je leur ai dit de trouver un responsable à Boromo car moi je ne peux plus et j’ai ajouté que ce qui s’est passé ressemble au comportement d’un fou « qui cultive, récolte et y met le feu et comme je ne suis pas un fou, je n’incendie pas ma récolte. Trouvez un responsable ». J’aimais bien le PRA mais je ne pouvais plus répondre au nom du parti dans Boromo. A partir de ce moment, je ne suis plus retourné sur le terrain politique.

Il nous est revenu que vous étiez un adversaire politique de Vinama. Est-ce exact ?

Non, c’était tout simplement l’opposition politique. Je n’ai jamais aimé le RDA alors que lui, Vinama était leader au RDA. Il a beaucoup fait pour ce parti car il a été licencié à cause du RDA. Il a tellement souffert que j’ai eu pitié de lui. Si ce parti était honnête, Vinama n’était pas à rejeter. Pour quelqu’un qui fut ministre d’Etat, chargé de l’Ouest-Volta, maire de Bobo-Dioulasso, c’est inadmissible qu’après tout cela qu’il soit complètement mis hors du parti. Ce n’est pas bon. Bien que je fusse opposé à lui, cela ne m’a pas plu. Si bien que quand je suis allé lui rendre visite quand il était malade, il a failli verser des larmes et m’a dit qu’il ne croyait pas ses yeux. Certes nous étions politiquement opposés et non un problème de personne.

Le Burkina célèbre cette année le cinquantenaire de l’indépendance de notre pays, vous qui avez siégé à l’Assemblée nationale à cette époque, dites –nous comment cela s’est passé ?

J’étais député au moment de la proclamation de l’indépendance en août 1960. C’était au cours d’une cérémonie solennelle qui a réunit l’ensemble des députés à l’Assemblée nationale que Maurice Yaméogo est venu lire la proclamation de l’indépendance. La France était représentée par Yvon Bourges, gouverneur. C’était une grande fête à laquelle tous les chefs de canton et les chefs de villages ont été conviés. C’était la joie pour tous ceux qui étaient là. Mais si par la suite on a regretté, c’est surtout à cause de la manière dont on conduisait le pays. Sinon tout le monde est d’accord que l’indépendance a ouvert la voie à l’évolution du pays. Nous n’avions pas de mission particulière à cette séance. Seulement en tant que représentation du peuple, nous avions été appelés à assister à cet important événement, afin que de retour dans nos circonscriptions respectives, nous puissions porter les explications aux populations.

Et quelle était la réaction des populations à l’annonce de l’indépendance ?

Je dois dire que lorsque nous étions réunis à Ouagadougou, les populations étaient elles aussi rassemblées au chef-lieu des circonscriptions administratives pour fêter cet événement.

Savez-vous que le Premier ministre a lancé il y a quelques moi, s les travaux de construction de la route Koudougou-Dédougou ?

Je suis content qu’on veuille aujourd’hui, goudronner cette route. Car le déplacement était si pénible que personne n’éprouvait du plaisir à voyager à destination de Dédougou. Voyez-vous ! Quitter à 7 heures à Ouagadougou pour arriver à Dédougou vers 21 heures. C’était comme un déplacement de caméléon ou d’escargot.

Entretien réalisé par Jérôme Bilélé BENIN et Rasmané Zongo


Ceux qui connaissent l’homme

- El hadj Boubacar Koffi Ganou, fonctionnaire à la retraite : J’ai connu Pyhan Damoué vers 1956, j’étais à l’école de Boromo où j’ai été inscrit en 1953. Je me souviens que lui et un monsieur du nom de Compaoré ont introduit à Boromo, le greffage des plantes. Plus tard, quand il est allé en Chine, moi j’étais en service au Trésor à Bobo-Dioulasso, il m’a écris et je lui ai répondu. Mais, il n’avait pas pu recevoir ma réponse avant son retour de Chine. Il avait pour compagnons politiques, Padiéni Sara de Pompoï et surtout, Nazi Boni leader du Parti du rassemblement africain (PRA).

A ce titre, nous les voyions ensemble sillonner les villages lors de la campagne pour le référendum en 1958. Pyhan Damoué a beaucoup œuvré à que Oury soit doté de deux ou trois puits à grand diamètre. Je me rappelle également, qu’à cette époque, il avait le soutien de tout Oury, sauf un seul quartier qui était du RDA. Il était un brave type et a beaucoup lutté pour le transfert à Oury, de l’école, initialement ouverte à Siby.

Deux promotions d’élèves avaient déjà été recrutées.Il avait pour adversaire politique, Vinama Tiémounou qui était un homme fort au sein du RDA. Notre quartier militait pour ce parti. Ce choix politique a permis à ce quartier, d’arracher le poste de chef de canton de Oury. Damoué Pyhan qui était un "fieffé" du PRA est demeuré militant courageux. Il a été le premier à avoir une voiture dans la zone, je me souviens de cela comme si c’était hier.

- Mme Séré Bintou à Oury : Pyhan Damoué est notre vieux sage. Je l’ai connu député quand j’étais petite.

Il est aujourd’hui, très âgé. De ce fait, je ne le vois plus passer par là, pour la prière à la mosquée. La communauté musulmane l’associe beaucoup à ses activités. Les Kô (Winiè) le connaissent suffisamment. A sa retraite, il a choisi de venir rester ici à Oury où il est beaucoup consulté et écouté.

- Henri To (fonctionnaire à la retraite) : Pyhan Damoué est un oncle maternel et son premier fils, Mamadou Damoué, est mon promotionnaire d’école. Il militait dans le parti PRA. A cet égard, nous le voyions aux côtés de Nazi Boni, leader du PRA, lors de ses visites à Oury. Et quand on disait que le député arrivait, c’était Nazi Boni, Pyhan Damoué et d’autres tels que Niankambari de Safané. Ils avaient pour adversaire, Vinama Djibril Tiémounou qui était l’homme fort du Rassemblement démocratique africain dans notre région.

Pyhan voulait que tout le monde soit uni autour du chef de canton qui était un fidèle parmi les fidèles du PRA. Je me rappelle qu’en dehors du quartier dioula, à Oury, tout le reste était PRA. Il ne portait donc pas ce quartier dissident dans le cœur. Son parti s’appuyait surtout, sur les chefs de villages

Il a beaucoup œuvré pour notre région, en favorisant la construction d’écoles, de dispensaires et de puits, mais ce qui est un peu regrettable, c’est qu’il n’était pas souple surtout, quand il s’agissait de l’implantation du RDA dans nos villages. Pour lui, c’est le PRA ou rien. C’est pourquoi, il était attaché au chef Bili Yaro qui, lui aussi, est resté PRA jusqu’à sa mort. On comprend alors, pourquoi lui et ses camarades politiques sont venus célébrer avec pompe ses funérailles.

Quelle opinion la population de Oury a-t-elle de l’homme ?

Quand il a été admis à la retraite, il est d’abord resté à Bobo-Dioulasso pendant longtemps. Puis, il est venu à Boromo et de Boromo, il a rejoint son village, certainement à cause de son âge avancé. Aujourd’hui, il est beaucoup consulté. Les intellectuels de Oury, viennent souvent à lui pour résoudre certaines questions. Par exemple, pour la construction du collège, c’est à lui que nous nous sommes confiés. Il quittait Boromo avec sa mobylette de marque « Camico » pour venir surveiller les travaux. La population a une grande estime pour lui. C’est le sage du village. Si je ne me trompe pas, je pense qu’il est actuellement, le plus âgé du village.

Rasmane ZONGO

Sidwaya

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