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Dr E. M. Samba, directeur régional sortant de l’OMS/Afrique : Les politiciens n’ont pas leur place à l’OMS

Publié le jeudi 9 septembre 2004 à 08h04min

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Le Sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté qui se tient actuellement à Ouaga draine une foule de personnalités. Parmi elles, le directeur sortant du bureau régional de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’Afrique, Dr Ebrahim Malick Samba. Nous l’avons rencontré pour évoquer essentiellement le bilan de ses 10 ans à la tête du bureau (il s’en va, en principe, en fin janvier 2005).

"Le Pays" : Quel est succinctement le bilan que vous faites des 10 ans passés à la tête de l’OMS/Afrique ?

Dr Ebrahim Samba : Le bilan est positif. Quand j’ai été élu, il y avait principalement 4 problèmes. Premièrement, le bureau régional et le siège de l’organisation à Genève ne s’entendaient pas bien ; il y avait un conflit entre le directeur régional et le directeur général. Deuxièmement, la confiance des bailleurs de fonds n’était pas grande et l’argent ne venait pas. Troisièmement, le moral du personnel du bureau régional n’était pas au beau fixe ; il y avait des conflits internes, les lettres anonymes circulaient. Dernier problème : la gestion du bureau n’était pas bonne selon les ministres africains de la Santé.

Les mêmes ministres, réunis en 1994 à Paris avec les bailleurs de fonds du Programme onchocercose, ont proposé ma candidature au poste de directeur régional du bureau Afrique de l’OMS à Brazzaville. Et c’est ainsi que j’ai été élu en août 1994. Depuis lors, les relations entre le bureau régional et le siège à Genève se sont améliorées. Aussi, la confiance est revenue entre le bureau et les bailleurs de fonds, ce qui a permis d’augmenter le fonds extrabudgétaire de 50 millions de dollars à plus de 350 millions de dollars par an.

Au sein du bureau, le moral du personnel est revenu. Depuis que je suis à Brazzaville, je n’ai jamais reçu de lettre anonyme. Le rendement est également positif. En somme, je quitte le bureau avec une grande satisfaction.

Durant les dix ans à la tête du bureau, quels ont été vos bons et mauvais souvenirs ?

Le bon souvenir est le soutien de tout le monde en commençant par les chefs d’Etat africains. Pour la première fois, les chefs d’Etat se sont réunis en 1996 à Yaoundé au Cameroun pour parler de la polio. Après, c’était à Lagos où à deux reprises ils se sont retrouvés pour parler du paludisme avec l’Initiative Row back malaria (NDLR, faire reculer le paludisme), le VIH/Sida, la tuberculose. Régulièrement, quand les chefs d’Etat se réunissent ils évoquent un problème de santé. Leurs épouses sont impliquées dans les questions de santé. La population est bien informée, nous avons renforcé les représentations dans les pays en terme, par exemple, de personnel. Il y a des acquis satisfaisants.

Ce qui m’a le plus touché, ce sont les guerres civiles en Afrique surtout au Congo Brazzaville d’où nous avons été obligés de déménager en 1997 et nous installer, pour 4 ans, à Harare au Zimbabwe. C’est vraiment pénible. Les guerres nous coûtent cher. Aujourd’hui, il y a plus de réfugiés en Afrique que les régions du monde réunies : plus de 10 millions de réfugiés, 30 millions de déplacés internes, les enfants souffrent, la mortalité maternelle et infantile augmentent, sans oublier la pauvreté. Tout cela est catastrophique et contradictoire parce que l’Afrique est riche en ressources naturelles mais sa population est la plus pauvre du monde. Comparée aux autres continents, la situation est due à la manière de gérer les ressources, aux fraudes, à la mal gouvernance, au manque d’honnêteté.

Vous venez de dire que votre bilan est positif. Pourtant, la revue scientifique britannique The Lancet a récemment critiqué votre gestion !

Quand j’ai été élu, j’ai prêté serment et juré de ne prendre de directives en dehors de l’OMS. J’ai aussi dit que les politiciens n’ont pas leur place à l’OMS. Depuis 1995, j’ai recruté plus de 2 000 personnes. Jamais, il n’y a eu un seul politicien parmi elles. Le règlement de l’OMS a été respecté. J’ai demandé à Lancet de me donner un seul cas de recrutement sur une base politique et la revue ne m’en a pas fourni. De par mon activité, je sais qu’il y a des Blancs qui acceptent mal des Africains indépendants. Pour eux si vous êtes noir, vous êtes bête, stupide, pourri, corrompu, incompétent, etc. J’ai travaillé pendant 14 ans ici à Ouaga (NDLR, au Programme oncho) sans qu’il y ait eu un scandale. C’est la même chose en 45 ans de vie active. Pourquoi attendre donc quelques jours de l’élection du directeur régional pour soulever des choses qui ne sont pas vraies ?

La revue a écrit que je suis au terme de mon deuxième mandat et que je ne peux plus me représenter. Ce n’est pas vrai parce que la limitation à deux mandats ne s’applique pas à moi car j’ai été élu avant la prise de cette mesure. La revue m’accuse aussi d’avoir nommé d’anciens ministres comme représentants pour les récompenser de m’avoir élu. Ce n’est pas non plus vrai car il n’y a pas d’anciens ministres parmi les représentants de l’OMS dans les pays africains. Les médias occidentaux quand ils parlent de l’Afrique c’est en termes de catastrophes, de coups d’Etat, d’épidémies. S’il n’y a pas ce genre d’événements, ils en fabriquent. C’est le cas de Lancet.

Vous parlez de bilan positif alors que des maladies que l’on disait éradiquées réapparaissent. C’est le cas, par exemple, de l’onchocercose, de la lèpre. L’OMS, en général, et le bureau Afrique, en particulier, n’ont-ils pas failli à ce niveau ?

Prenons le cas de l’onchocercose. Aujourd’hui, c’est difficile de trouver des cas. La lèpre sera éradiquée cette année. Il subsistera quelques cas, mais on n’en comptera plus par centaines. Concernant la polio, il y avait 31 pays épidémiques quand je prenais la direction du bureau. Aujourd’hui, il n’y a que 2 pays qui connaissent toujours des épidémies de polio. Ici aussi il y a souvent de petites recrudescences. C’est tout de même un progrès. Tant qu’il y a des êtres humains, il y aura des maladies. Il y a des maladies partout dans le monde même dans les pays riches. Si vous naissez, il faut s’attendre à mourir. Mais le fait que les gens meurent ne veut pas dire que les médecins ont failli. C’est la loi de la nature.

Si ces maladies ont reculé, le Sida, par contre, progresse. De ce côté, il y a bel et bien faillite...

La progression du Sida date de 1984-1985. Par la suite, il y a eu une baisse des courbes. Aujourd’hui, il y a une connaissance du Sida même si on n’a pas encore trouvé un vaccin. Le coût des médicaments diminue, la recherche avance. Il y a des efforts qui sont faits. Mais en tant qu’êtres humains, il faut reconnaître que l’on ne peut pas avoir une situation complètement parfaite.

Quelle est votre position en tant que directeur régional dans le débat sur la gratuité ou non des antirétroviraux (ARV) ?

Nous ne sommes pas à 100% pour la gratuité ni à 100% contre. Nous disons que ceux qui peuvent acheter le fassent. Quant à ceux qui ne peuvent pas acheter, il faut faire un effort pour le leur donner gratuitement. Mais quelqu’un paie pour cela parce que les médicaments ne tombent pas du ciel. Les prix diminuent au fur et à mesure et la recherche, surtout celle de remèdes traditionnels, se poursuit. En général, il y a des progrès dans la lutte contre le Sida.

A côté du Sida, il y a le paludisme, un fléau des pays du Sud, contre lequel il n’y a pas de vaccin efficace jusque-là. L’action de l’OMS, qui s’est lancé le défi de trouver un vaccin, n’a pas encore porté fruit !

La recherche continue. L’agent causal du paludisme, le plasmodium falciparum, est très compliqué et intelligent. Nous faisons des efforts pour le tuer mais il résiste. C’est une lutte farouche. On a fait des progrès. Les médicaments sont davantage efficaces, la connaissance de la maladie est profonde. La recherche du vaccin se poursuit même si disposer du vaccin ne résoud pas entièrement le problème. Il y a des vaccins contre la méningite, la rougeole, la fièvre jaune, mais elles n’ont pas tout à fait disparu. Comme je l’ai dit concernant le palu, les virus de ces maladies font aussi des efforts pour survivre. Petit à petit on engrange des victoires.

Qu’allez-vous faire après votre départ de l’OMS ?

J’ai beaucoup à faire. Tout d’abord, je vais écrire mes mémoires sur 45 ans d’activités (NDLR, il a 76 ans) au cours desquels j’ai visité beaucoup de pays d’Afrique, d’Europe, d’Amérique, d’Asie. J’ai également rencontré beaucoup de personnes, assisté à beaucoup de réunions, de rencontres. Ensuite, je vais adopter des enfants de pauvres et de la rue, aider les femmes démunies. Enfin, je vais me consacrer à ma religion vu que mon travail, qui ressemble à de l’esclavage organisé, m’empêchait.

Allez-vous faire de la politique une fois rentré dans votre pays la Gambie en créant un parti ou en adhérant à un autre ?

Je ne suis pas un animal politique. Je suis technicien et je le resterai. J’aide mon pays, les populations techniquement mais pas politiquement.

Propos recueillis par Séni DABO
Le pays

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