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« La Justice et les forces de l’ordre ne doivent pas se tirer dessus… »

Publié le lundi 26 juillet 2010 à 01h37min

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Antoine Kaboré

La Justice, la police et la gendarmerie doivent entretenir une collaboration beaucoup plus franche et créer des cadres de concertations afin de trouver des solutions contre le grand banditisme. Cela leur évitera de se tirer dessus à boulet rouge et de s’offrir en spectacle dans la presse. C’est ce que soutient dans cet entretien, Antoine Kaboré, magistrat et secrétaire à l’organisation du Syndicat autonome des magistrats du Burkina (Samab).

Fasozine.com : Ces derniers temps, les magistrats burkinabè ont essuyé des critiques dans la presse, notamment en ce qui concerne la remise en liberté de certaines personnes interpellées par les forces de l’ordre.

Antoine Kaboré : Au nom du comité exécutif du SAMAB, je remercie FASOZINE de nous donner l’opportunité de nous adresser à ses nombreux lecteurs. Vous êtes un media de qualité qui œuvre pour la consolidation de l’Etat de droit dans notre pays. En tant que syndicat des magistrats, œuvrant pour l’indépendance de la Justice et pour les bonnes conditions de travail du personnel judiciaire dans son ensemble, nous trouvons ces interventions très préoccupantes.

Si des critiques sont adressées à la Justice, elles nous interpellent à plus d’un titre. Il y a effectivement eu, récemment, deux sorties médiatiques contre la Justice. L’une d’elles signifiait en substance que le découragement qui gagnait les forces de défense et de sécurité et même des populations, était dû au fait que la Justice recyclait et remettait sur le terrain, des délinquants plus performants. Avouons que de telles déclarations sont graves de sens. Cette déclaration semble soutenir que la Justice est une école de formation ou de perfectionnement des délinquants. Si tel est le cas, je me pose la question sur la nécessité de l’existence de la Justice. Il serait donc souhaitable que les délinquants ne soient plus amenés à la Justice, au risque qu’ils soient recyclés ou qu’ils bénéficient d’un perfectionnement. En tout état de cause, ces propos découlent d’une mauvaise lecture. Le juge ne décide pas selon son bon vouloir.

C’est-à-dire ?

En ce qui concerne le grand banditisme, sur ce qui est appelé en droit pénal, des crimes, une instruction est obligatoire. Selon cette instruction, le délinquant qui est détenu à la Maison d’arrêt et de correction ne purge pas une peine. Il y est pour les besoins de l’information. Une fois que l’instruction finit, le juge saisit la Chambre d’accusation par le biais du Procureur pour que l’affaire connaisse une suite, notamment les assises criminelles. C’était la procédure en vigueur jusqu’à l’adoption de la loi sur le grand banditisme. Si quelqu’un est désormais pris pour un fait de grand banditisme, il est immédiatement jugé. C’est ce que prescrit maintenant la nouvelle loi. Les peines sont également plus aggravées.

Au-delà des règles procédurales, la lutte contre ce fléau est difficile dans la mesure où le délinquant s’arrange à ne pas laisser des traces après avoir opéré. Alors que le juge ne peut condamner un individu que lorsqu’il dispose de preuves. Or, souvent, ces preuves font défaut. Les gens le soupçonnent d’être un délinquant. Mais les soupçons ne peuvent être des preuves suffisantes en droit. Dans ce cas, il va falloir que les gens souffrent que la Justice ne condamne pas cette personne, en l’absence de preuves suffisantes.Il faudrait aussi retenir que les forces de l’ordre et de sécurité travaillent sous la coupe du Procureur du Faso. En aucun cas, il ne devrait avoir une scission entre ce que nous voulons à la justice et ce que la police fait.

Les policiers soutiennent qu’ils bouclent les enquêtes avant d’acheminer les dossiers à la justice…

Je souhaite finir d’abord sur le grand banditisme avant de revenir sur votre question. Pour cela, je voudrais mentionner qu’il y a des cas où la Justice prononce des condamnations qui peuvent aller jusqu’à 50 ans de prison. Cela, pour dire que nous appliquons les textes. Les gens doivent aussi comprendre que les textes prévoient des cas de mise en liberté provisoire. Ce sont des textes que l’Assemblée nationale a adoptés et le juge ne fait que les appliquer. Il ne les invente pas. Si on estime que les lois sont mauvaises, il faut les changer. Pour ce que la police dit, nous les magistrats comprenons pourquoi ils sont surpris que certains délinquants soient libérés. Mais si c’est le cas, rien n’empêche les policiers d’approcher la Justice pour connaître les raisons de la libération de tel ou tel délinquant.

Les policiers se plaignent aussi des cas des récidivistes…

Il faut qu’on s’entende d’abord sur le sens du mot récidiviste. En droit, un récidiviste, c’est celui-là qui avait déjà été condamné par une juridiction. Ce qui veut dire que quelqu’un qui a été arrêté à plusieurs reprises par la police et qui n’a pas été condamné n’est pas un récidiviste. Le juge travaille à protéger les droits de la victime et ceux du délinquant. Le juge ne doit pas privilégier un camp au détriment de l’autre.

Mais notre difficulté est que tout le monde se proclame juge et veut apprécier notre action. Les gens oublient que bien qu’étant des magistrats, nous sommes aussi victimes des actes des délinquants au même titre que la population. Pour preuve, le président du tribunal de Banfora a été victime d’une attaque au cours d’une nuit chez lui. Il a même été blessé. En somme, il n’est, en aucun cas, judicieux pour nous de libérer un délinquant sur un coup de tête. Il existe aussi des canaux officiels pour résoudre les problèmes s’il y en a, ce qui permet d’éviter les sorties spectaculaires. Tant il est vrai qu’il y a des problèmes de la sorte, nous pensons que la voie la mieux indiquée est de les soumettre à l’exécutif. Surtout que le ministre de la Sécurité et celui de la Justice sont dans le même gouvernement. Du reste, à l’étape actuelle de notre organisation, il faudrait que les fichiers des maisons d’arrêt et des parquets soient informatisés de sorte à permettre que les véritables récidivistes n’échappent pas à la sanction.

Certaines personnes soutiennent également que des magistrats seraient de connivence avec des délinquants…

En tant que syndicat, nous ne pouvons nous baser sur des informations données sans base réelle. S’il y a effectivement des personnes qui travaillent de connivence avec des délinquants, nous serons les premiers à demander qu’elles soient sanctionnées. Parce que cela n’est pas concevable. C’est remettre en cause la base même de la profession. Nous avons lu les journaux, nous avons écouté un peu ce qui se dit. Et nous pensons qu’il faut dénoncer ces personnes, preuves à l’appui, afin que des mesures soient prises contre elles, afin que le travail gagne en qualité.

Une fois la condamnation prononcée, quelles sont les mesures mises en place pour s’assurer que le délinquant purgera sa peine ?
Les parquets sont chargés de l’application de la peine dans notre système judiciaire. Parmi les objectifs de la Justice figurent la sanction et la réinsertion sociale de l’individu. C’est pour cela qu’au ministère de la Justice, il est créé une direction de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion sociale. La justice n’ambitionne pas de perfectionner un délinquant en l’envoyant en prison.

Dans cette dynamique, les délinquants ne doivent pas être totalement coupés de leurs proches. C’est pour cela que des visites sont acceptées les week-ends dans les prisons. Les prisonniers peuvent aussi demander à être placés dans des structures privées ou publiques, toujours dans la logique de leur réinsertion. Ils peuvent aussi obtenir des permissions pour participer à des évènements qui touchent directement leurs familles respectives. Toutes ces décisions sont prises par la commission d’application des peines. Cette commission est présidée par un magistrat du parquet et composé d’autres magistrats, de policiers, de gendarmes, de GSP, d’aumôniers et de certaines ONG intervenant en milieu carcéral. Mais c’est reconnu par tous, que des problèmes se posent actuellement dans nos prisons. La Maco a été construite au moment où Ouagadougou ne comptait pas le tiers de sa population actuelle. La ville compte maintenant près de 2 millions d’habitants. Cela, immanquablement, va se ressentir sur la population carcérale. Construite initialement pour 300 à 400 personnes, la Maco accueille actuellement, près de 1500 personnes.

Ce qui fait que les détenus vivent dans des conditions inhumaines. Au passage, n’occultons pas le fait qu’à un moment ou un autre de notre vie, chacun de nous peut se retrouver là bas. A cause des problèmes connexes à cette surcharge de la Maco (évasion, fuite pendant les périodes de permission, etc.), la Commission d’application des peines a été réformée et comporte maintenant en son sein, des gendarmes et des policiers. Mais le problème n’a pas pour autant changé. Et je pense que pour le juguler, il faut une réforme du système carcéral. Sinon, on a beau affecter des personnes compétentes à ces postes, ces mêmes problèmes ressurgiront. Je vous révèle par exemple que pendant que le directeur régional de la police nationale du Centre, se plaignait que les délinquants étaient libérés par la Justice, une lettre circulaire demandait aux magistrats de privilégier les peines alternatives (travaux d’intérêt général) et les mesures de désengorgement des maisons d’arrêt. Il faut accepter affronter le problème de notre système carcéral, autrement l’on serait tenté d’adapter la solution radicale qui est de supprimer les permissions, remises de peine et autres. Et j’avoue que cette dernière solution serait une catastrophe.

Est-ce à dire que la Justice est sensible aux conditions humaines dans ses décisions ?

La Justice est plus que sensible. Si vous êtes un humain, vous ne pouvez pas ne pas être touché par les conditions de détention à la Maco. Les gens oublient qu’on ne nous forme pas pour être durs. Nous sommes formés pour appliquer les textes. Et c’est en tant qu’humains que nous agissons. Actuellement, il est nécessaire de créer des cadres de concertation pour que nous puissions repenser l’administration de nos prisons. Une deuxième prison devrait normalement être construite à Ouagadougou depuis les années 2000, mais on n’en parle plus. Il va falloir y penser.

Selon vous, quelles sont les réformes nécessaires qu’il faut apporter à l’administration des prisons ?

Il faut réformer le code pénal. On se demande s’il ne faut pas chercher d’autres alternatives. Peut-être, dépénaliser certaines infractions en faits civils. Sur le plan carcéral, je viens de le souligner, il faut obligatoirement une deuxième prison à Ouagadougou ou d’autres bâtiments pour accueillir des prisonniers. Il faut aussi qu’il y ait un dialogue franc et une plus grande collaboration entre la Justice, la gendarmerie et la police. Souvent les policiers ou les gendarmes refusent de donner certaines informations aux magistrats sous prétexte que ce sont des secrets.

Mais si vous refusez de donner toutes les informations nécessaires à la Justice et que cette dernière estime qu’il y a insuffisance de preuves et décide, par conséquent, de libérer un individu, vous ne devriez pas vous sentir frustré. Si des gens ont des preuves de pratiques malsaines à la Maco, ils devraient d’abord saisir le procureur qui va diligenter une enquête et poursuivre les intéressés. S’ils ne pensent qu’à organiser des conférences de presse, j’ai l’impression qu’en réalité, ils ne veulent pas que ces personnes soient poursuivies. La force de l’institution judiciaire réside en son silence. La Justice ne crie pas tout ce qu’elle sait dans les médias. Et croyez-moi, des choses, elle en sait. Pour qu’il y ait une bonne justice pénale, il faut une franche et honnête collaboration entre la police judiciaire et la justice. Cela est le souhait du SAMAB.

Jacques Théodore Balima

Fasozine

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