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UE : Louis Michel, nouveau commissaire européen, chargé de l’Aide au développement

Publié le vendredi 13 août 2004 à 11h28min

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Il est une des personnalités politiques belges les plus connues hors du Royaume. Louis Michel était ministre des Affaires étrangères depuis juillet 1999. Le libéral francophone (il appartient au Mouvement réformateur, le MR) a quitté le gouvernement à l’occasion du remaniement du dimanche 18 juillet 2004.

Nommé commissaire européen (il remplace Philippe Busquin, ex-président du Parti socialiste), il a laissé son portefeuille au président du parti libéral flamand (le parti du premier ministre) Karel De Gucht.

Une nomination qui s’inscrit dans la délicate (et complexe) stratégie des partis politiques belges, sur fond de luttes d’influence entre flamands et francophones, gouvernement fédéral et gouvernements régionaux.

Disons les choses telles qu’elles sont : avant Louis Michel, la diplomatie belge n’existait pas. C’est lui qu’il l’a inventée. Et lui a donné un objectif : la promotion de l’image de la Belgique sur la scène internationale ; et un cadre d’action : le multilatéralisme. Il voulait "refaire de la politique étrangère un sujet de conversation en Belgique" parce que c’est l’occasion de dépasser :’son propre sectarisme ", avoir le "souci de l’autre ". Il semble y être parvenu.

Fils d’un maçon et d’une ménagère (normal quand on porte le nom et le masculin du prénom de la plus glorieuse des Communardes), instituteur puis professeur de langues (anglais et néerlandais), auteur de sept essais politiques, bourgmestre de la petite ville (11.000 habitants) de Jodoigne (la presse belge l’appelle le "lion de Jodoigne "), au bord de la Grande Gette à 13 km au sud-ouest de Tirlemont (entre Bruxelles et Liège, dans la province du Brabant wallon), Louis Michel est, à tous points de vue, une forte personnalité.

"Pantagruel de la cuisine belgo-belge", "boulimique de travail", au "franc-parler" et au "sang chaud", barbu et fumeur de pipe (mais aussi de havanes), collectionneur de canifs, parlant quatre langues (celles qu’il enseigne + le français et l’allemand), il se définissait comme "un homme politique" et non pas comme "un diplomate ". Il s’est fait d’ailleurs, au ministère des Affaires étrangères, le chantre de la "diplomatie morale" (qu’il qualifie aussi, bien mieux, de "diplomatie éthique ") ce qui est, en quelque sorte, la négation de la diplomatie (et, par contrecoup, de la politique). Mais Louis Michel a une conception militante de l’une et de l’autre.

A 57 ans, Louis Michel a eu un parcours politique linéaire : parlementaire en 1978, bourgmestre en 1983, président du PRL à deux reprises (1982-1990 et 1995-1999), vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères en 1999 dans le gouvernement de Guy Verhofstadt. C’est fondamentalement un anti-fasciste (il ne dit pas fasciste d’ailleurs mais "facho" !). Il se déclarait prêt à faire interdire le parti d’extrême-droite flamand, le Vlaams Blok. Sa famille a gardé un très mauvais souvenir du nazisme et du rexisme, ce mouvement belge (Christus-Rex) créé en 1930 par Léon Degrelle, chrétien et fasciste, qui se ralliera à l’Allemagne nazie, fondera la légion "Wallonie", terminera général de brigade SS après avoir combattu sur le front russe, se réfugiera en Espagne où il est mort en 1994.

Un profil politico-social qui n’est pas très répandu au sein de la classe politique européenne et dont on comprend qu’elle ait provoqué, parfois, des incompréhensions. Et même des incidents.

Ironie de l’Histoire. Louis Michel était en concurrence, pour le poste de commissaire européen en charge de l’Aide au développement, avec Benita F errero- Waldner qui a été la ministre autrichienne des Affaires étrangères dans le gouvernement FPO-OVP, le FPO étant alors dirigé par J6rg Haider, la bête noire de Louis Michel. Il s’est trouvé en pointe dans la condamnation de cette alliance par l’Union européenne (cf LDD Autriche 05/Jeudi 22 novembre 2001 et 06/Mercredi 28 novembre 2001).

Le populiste autrichien n’a pas été le seul dans le colimateur de Louis Michel. Y figure Pinochet, le dictateur chilien. Et il n’oublie pas de balayer devant sa porte : assassinat de Patrice Lumumba dans l’ex-Congo belge, situation en République démocratique du Congo (RDC), au Rwanda et au Burundi, les ex-colonies belges.

Au second semestre 2001, Louis Michel a présidé le conseil des ministres européens. L’occasion, pour lui, de s’affirmer sur la scène internationale et d’y promouvoir ses idées et sa vision du monde. Il voulait un débat sur le principe de l’élargissement de l’Union européenne. Afin que cela n’apparaisse pas comme une "décision arbitraire" mais l’opportunité de "contraindre les autres marchés à domestiquer, avec nous, la mondialisation ".

Il voulait aussi que les ONG, "des gens intouchables", soient transparentes et représentatives alors qu’elles ont, souvent, "la prétention d’avoir le monopole de la bonne conscience, qui ne doit de comptes à personne ". Dans la perspective de combler le "déficit démocratique" qui mine l’Europe en particulier, il veut relégitimer l’homme politique, "investi, représentatif et élu", ne "reconnaissant pas à la société civile le droit de prendre des décisions,. seulement celui de participer à l’information avant la décision ".

Il se disait "fédéraliste européen" mais trouvait la formule de "fédération d’Etats-nations ", "parfaitement contradictoire, et intellectuellement cynique". Au moment du 11 septembre 2001, il prônera "la valeur ajoutée de l’Europe dans la résolution du conflit au Proche-Orient" afin d’écarter "le danger d’assimilation entre le terrorisme et une religion qui ne mérite pas cela ". Il espérait de cet événement "tellement grave" l’opportunité de rebattre "les cartes du jeu géostratégique [...] Il faut suggérer à certains pays qu’on leur donne une chance de faire un nouveau choix stratégique ".

Bruxelles, capitale européenne, occulte, bien souvent, Bruxelles, capitale de la Belgique. Membre fondateur de l’Europe des Six, la Belgique est pourtant un partenaire historique essentiel dont le poids européen est bien plus conséquent que le fait d’être la capitale européenne. Louis Michel avait, ainsi, un point de vue sur la question essentielle des relations entre Paris et Berlin. Non pas seulement en tant qu’Européen mais, également, en tant que Belge. La vocation de la France au sein de l’Union européenne, dira-t-il (avant que l’élargissement ne soit effectif), est "un destin dynamique avec l’Allemagne, mais aussi une vocation à équilibrer le jeu normal d’influences au sein des Quinze [...] La France et l’Allemagne sont beaucoup plus rassurantes pour les Européens, à la fois sur le plan de l’intégration européenne, de la "méthode communautaire", ainsi que sur le fait de savoir ce qui est bon pour l’Europe, que lorsqu’elles sont absentes".

Sur le dossier irakien, la Belgique a été un allié" courageux" (dixit Dominique de Villepin) de la France. Y compris au sein de l’Otan. Pas évident compte tenu de la tradition "atlantiste" de Bruxelles. Mais comme le disait alors Louis Michel : "Ce n’est pas parce qu’on est un petit pays qu’on doit systématiquement s’aligner ". Michel n’est, d’ailleurs pas, pour autant, un anti-américain. Au sein de l’administration Bush, il a une affection toute particulière pour Colin Powell : "Un grand politique [qui] a une vision, c’est un universaliste dont les perspectives sont bien plus larges que les frontières des Etats-Unis ".

Contrairement à ses prédécesseurs pour qui l’Afrique (et plus encore l’histoire de la Belgique en Afrique) était un fardeau, Louis Michel s’est beaucoup investi sur ce continent. Il n’hésite pas à qualifier de "crapuleuse" toute "indifférence à l’égard des populations d’Afrique centrale" compte tenu que la Belgique "a bâti sa réputation, son influence et sa richesse sur les colonies ". C’est dire que s’il obtient la responsabilité de l’Aide au développement, il peut, au sein de la Commission européenne, changer l’approche des problèmes.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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