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Xavier Darcos : Volontarisme et grands principes !

Publié le mercredi 11 août 2004 à 08h55min

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Xavier Darcos

Coopération, développement et francophonie. Ces trois mots signifient-ils encore quelque chose au-delà de la persistance d’un ministère délégué en charge de ces activités ? Ou, plus exactement, ces trois mots recouvrent-ils une réalité tangible, quasi mesurable ? La liste de ceux qui ont eu en charge ce département ministériel est longue.

La coopération française s’est développée sur les ruines de la Communauté. Elle a été longtemps tenue en laisse par Jacques Foccart et l’Elysée, au temps de De Gaulle, et a connu, par la suite, des vicissitudes, sous la gauche et sous la droite. On peut penser que Coopération & Développement sont, pour l’essentiel, des activités maîtrisées. D’autant mieux que l’Agence française de développement (AFD) a été créée pour en être l’acteur essentiel. Illusion. Ceux qui pensent que Coopération & Développement visent à mobiliser les moyens humains, financiers et logistiques pour mettre en oeuvre des programmes dont l’objectif est de résoudre (en partie) les problèmes des pays qui n’ont pas les moyens d’y faire face seuls, sont dans l’erreur. Et abusés par une vision simpliste.

Xavier Darcos en apporte la preuve dans Le Figaro-(22 juillet-2004). Jusqu’alors, il ne s’était pas exprimé dans la presse nationale si l’on excepte La Croix (15 juin 2004) à l’occasion de la Semaine du développement durable (cf LDD France 0232/Jeudi 17 juin 2004). Ce premier entretien est donc un événement (il s’est exprimé, par la suite, dans JA./L ’Intelligent du 18 juillet 2004, mais sur les questions africaines ; j’aurai l’occasion d’y revenir).

Darcos, (j’ai déjà évoqué sa carrière - cf LDD France 0206/Mardi 6 avril 2004) est né le 14 juillet 1947 à Limoges, dans le département de la Haute-Vienne. Fils d’un Trésorier-payeur général, il fera ses études à Périgueux, Bordeaux, Lille et Reims. Licence de philosophie, agrégation de lettres, doctorat de 3ème cycle d’études latines, doctorat d’Etat ès lettres et sciences humaines. Carrière dans l’enseignement : maître-auxiliaire, professeur de classes préparatoires, inspecteur général de l’éducation nationale, conseiller (1993 -1994) puis directeur de cabinet (1994-1995) de François Bayrou, ministre de l’Education nationale, doyen de l’inspection générale de l’Education nationale (1995-1998), conseiller pour l’éducation et la culture auprès de Juppé à Matignon (1995-1997), professeur associé de littérature comparée à Paris IV-Sorbonne (1996-2000), ministre délégué à l’Enseignement scolaire (2002-2004).

Au plan politique, le cheminement est tout aussi studieux : adjoint au maire (1988-1997) puis maire (1997-2002) de Périgueux et sénateur de la Dordogne (2002). C’est devenu un notable aquitain adoubé par quelques unes des personnalités majeures de la vie politique locale : Yves
Guéna (maire de Périgueux quand le père de Darcos y était conseiller municipal et qui cédera la mairie à Xavier Darcos quand il rejoindra le Conseil constitutionnel) et Alain Juppé, député-maire de Bordeaux. J’ajoute que Xavier Darcos, veuf et père de deux enfants, s’est remarié le 10 avril 1999 et se trouve ainsi père d’un troisième enfant. Enfin, c’est aussi un auteur prolixe : publications pédagogiques, ouvrages scolaires ou universitaires, une Histoire de la littérature française, un essai sur les Approches ovidiennes de la mort, une biographie de Mérimée, et, dernier texte en date (2000) : l’Art d’apprendre à ignorer.

C’est dire que Darcos s’est retrouvé dans le gouvernement Chirac II-Raffarin III frustré (il voulait, depuis 2002, le ministère de l’Education nationale et le loupe par deux fois) et recasé dans Coopération & Développement. Comme il ne manque pas de moyens intellectuels, il va repenser l’un et l’autre. C’était l’objet de son entretien avec Sixtine Léon-Dufour et Jean-Louis Validire dans Le Figaro. On pouvait espérer que ce soit l’occasion de comprendre quelle était la politique du gouvernement (au moins en cette matière). J’avoue n’avoir pas tout compris.

Darcos nous apprend d’abord que son ministère "est aussi celui du Développement". OK, c’est marqué sur la plaque qui est sur la grille de la rue Monsieur. Pour nous aider à comprendre, il ajoute qu’il "ne fait pas de différence entre l’aide publique au développement et le développement durable". OK, cela signifie que l’APD doit être durable ; en gros qu’elle doit servir à quelque chose, aussi longtemps que possible. Il affine sa pensée : "Tout cela procède de la même démarche. Nous avons une feuille de route internationale qui nous convient". Là, je suis un peu largué. Même démarche que qui ? et quelle feuille de route ? Je pense qu’il s’agit des objectifs du Millénaire. Mais ce sont ceux des Nations unies en général et pas de la France en particulier.

Je poursuis. Darcos nous dit que le développement est conçu en France "comme un espace de solidarité". OK, c’est en gros ce qu’on appelle la coopération. Il rattache d’ailleurs ce développement à l’APD et souligne qu’elle progresse : 0,44 % du budget l’an prochain, 0,5 % en 2007 et 0,7 % en 2012. Disons qu’elle doit progresser, car il y a bien longtemps que la France se fixe, en la matière, des objectifs qu’elle ne tient pas. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est qu’il faut "sanctuariser ce poste budgétaire". Un mot qui n’est pas dans le dictionnaire mais laisse penser que l’ APD est un domaine inviolable.

On en accepte l’augure et on fera le bilan avec le prochain ministre en charge de ce dossier. Mais Darcos est satisfait de tout cela : "Forts de ces objectifs chiffrés nous pouvons maintenant nous mettre en ordre de bataille". En bataille contre qui et pourquoi ? "Le récent Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) a permis de [...] fixer clairement [les orientations], de même qu’il a clarifié la répartition des rôles entre le ministère des Affaires étrangères et l’Agence française de développement (AFD)".

Nous ne savons toujours pas quelles sont ces orientations mais Darcos précise qu’elles sont guidées par quatre idées-forces :
- "retrouver l’esprit de coopération au sens étymologique du terme" ; avoir "une politique du résultat et de la performance" ;
- "restaurer l’influence de la France dans le monde" ;
- "instaurer plus de cohérence dans notre action".

Ceci étant dit, la question que je me pose est de savoir s’il fallait priver l’éducation nationale d’un professeur agrégé pour en faire un ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie !

J’ai pensé, ayant lu cet entretien, que Darcos n’était pas vraiment en adéquation avec un job qu’il n’avait pas choisi mais qu’on lui avait imposé. Mais hier, dans Le Figaro daté du vendredi 6 août 2004, il signait un article sur "Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui". Bonne question dans l’air du temps (qui, au Figaro, est aussi celui de Dassault qui vient d’en prendre le contrôle). "Etre français aujourd’hui, explique-t-il, c’est souvent ressentir avec désarroi l’écart entre les mots et les choses". En fait, on est français quand on pense que les hommes politiques racontent n’importe quoi.

Mais Darcos dit tout cela autrement : "Entre les deux infinis de la mondialisation et de lafragmentation identitaire, voire ethnique, la France est tiraillée.. c’est un roseau penchant". C’est, ajoute-t-il, que "notre identité est un ensemble d’altérités acceptées et consentantes, quoique souvent prêtes à renâcler".

Et du même coup, "notre patriotisme se confond donc avec un universalisme. Il renvoie non à une idéologie mais à un idéalisme, notamment celui des Lumières et des droits de 1 ’homme, par essence universalistes", etc, etc, etc...". Je ne suis pas sûr que notre ministre délégué, qui par ailleurs évoque la "francité" comme Gbagbo évoque "l’ivoirité", considère que l’on vient à l’anglais par utilitarisme et au français par culturalisme, ne sombre pas, parfois, dans les travers de l’ ethno-centrisme ! Et en la matière, il doit faire gaffe car comme il l’écrit : "dans trente ans. un francophone sur deux sera africain".

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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