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Après Accra III : Le silence assourdissant de Gbagbo

Publié le lundi 9 août 2004 à 07h32min

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Lorsque, il y a de cela déjà des années, les fidèles sunnites de Ouagadougou déterrèrent la hâche de guerre pour se disputer le monopole de la mosquée de Zanghouetin, il fallut l’imposition de l’autorité de l’Etat pour éteindre le brasier ainsi allumé. Mais bien avant, une bonne volonté, El Hadj Oumarou Kanazoé qu’elle s’appelle, s’y invita pour la médiation.

Il fut écouté, suivi pendant bien des jours, des mois, pas parce qu’il était l’envoyé spécial du prophète, mais parce qu’il avait avec lui les arguments de l’âge, de l’expérience, de la foi et surtout des espèces sonnantes et trébuchantes. Chaque jour que Dieu faisait, les protagonistes de la crise de nos Sunnites se séparaient en sa résidence où se déroulaient les pourparlers, après force ripailles, pourvus tous autant qu’ils étaient d’enveloppes consistantes. Ainsi parvinrent-ils à des Accords qu’on pourrait appeler Pissy I, II et III, qui n’aboutirent point jusqu’à l’heure où nous traçions ces lignes. Pourquoi, vous demanderez-vous bonnes gens ?

Réponse d’une dame non moins richissime un certain soir quand El Hadj Oumarou Kanazoé s’entretenait avec ses convives enturbannés et aux pantalons courts : "Tant que ces frères ennemis seront sûrs de manger à leur faim et de boire à leur soif à l’issue de chaque pèlerinage à votre domicile, El Hadj, cette crise ne connaîtra jamais de fin...". Elle ne croyait pas si bien dire, mais l’avenir lui donna raison, quand on sait qu’il fallut la fermeture de la mosquée sur décision gouvernementale pour disperser les bélligérants et ramener le calme dans ce vieux quartier qui s’appelait hier encore Zanghouetin. A bien des égards, cette image peut être rapportée à la crise latente qui secoue, depuis le décès "définitif" de Félix Houphouët Boigny, la Côte d’Ivoire.

D’Accra I à Accra III, en passant par Kara, Lomé, Bamako, Linas-Marcoussis et nous en oublions, les guerriers de la lagune Ebrié auront voyagé partout à travers le monde ; toutes les potions auront été suggérées pour revigorer l’Eléphant d’Afrique malade, mais en vain. Le dernier sommet d’Accra qui a réuni les 29 et 30 juillet dernier aussi bien les protagonistes, qu’une dizaine de chefs d’Etat africains et le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Kofi Annan, a encore conclu à la nécessité d’entamer des réformes politiques (régime électoral, éligibilité à la présidence, code de la nationalité) avant le désarmement des rebelles et des milices.

Le sommet d’Accra III, moment d’inflexion stratégique, selon la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO) : "doit impérativement être le dernier sommet sur la Côte d’Ivoire et doit ouvrir la voie à la mise en application des Accords de Marcoussis sans délai et sans condition". Mais à peine les maîtres d’Abidjan et de Bouaké ont-il dit aurevoir aux facilitateurs que des divergences ont commencé à apparaître sur la compréhension, l’interprétation des derniers Accords de la capitale ghanéenne.

Et comme si l’on voulait déjà ranger Accra III dans les archives de l’histoire, on décida d’une réunion Gbagbo de Côte d’Ivoire - Blaise Compaoré du Burkina - Amadou Toumani Touré du Mali - Ahmad Tejan Kabbah de Sierra Leone le 6 août 2004 à Freetown, "pour résoudre les différends politiques qui ont marqué leurs traditionnels liens amicaux à cause de l’instabilité actuelle en Côte d’Ivoire". Prompte réaction du président burkinabè le 5 août en direct à la Télévision nationale : "Les Nations unies, la CEDEAO se sont réunies à Accra, on a pris des engagements, il faut éviter que des réunions parallèles ne donnent l’impression qu’on veut aller à contre-courant de ce qui a été décidé à Accra.

Il faudra qu’on continue de discuter : le Mali, le Burkina et la Côte d’Ivoire sont trois pays inséparables, nous avons intérêt à accompagner la mise en œuvre de ces engagements". En conclusion, pour Blaise Compaoré : "Nous avons été invités, mais pour l’instant notre participation n’est pas acquise pour des raisons bien simples : nous espérons avoir une appréciation du président Gbagbo sur les Accords d’Accra avant d’engager une initiative".

La rencontre de Freetown, dite celle de la paix, n’a pas eu lieu et Gbagbo lui a donné raison. Car au lieu de parler à son peuple de l’application des Accords d’Accra III, c’est plutôt par des murmures déroutants, à tout le moins intrigants, que le président Laurent Gbagbo, "Le boulanger-patissier" d’Abidjan, a, comme à l’accoutumée, contraint et ses concitoyens et la communauté internationale à demeurer dans l’expectative à la veille de la commémoration du 44e anniversaire de l’accession de son pays à la souveraineté internationale.

Morceaux choisis : "Les voyages m’ont conduit à Addis-Abeba, Rabat, Bamako, Libreville, Brazzaville et à Accra. Ce tour n’est pas encore terminé. C’est pourquoi je n’ai pas encore parlé. Je veux parler aux Ivoiriens de façon claire et sans ambiguïté. Je vous demande de me donner le temps de terminer le tour que j’ai décidé d’entreprendre avant de m’exprimer sur le chemin parcouru, sur les acquis des différentes négociations, en particulier sur l’accord signé à l’issue de la réunion qui vient de se tenir à Accra les 29 et 30 juillet 2004 et à laquelle ont pris part plusieurs chefs d’Etat africains ainsi que le secrétaire général des Nations unies. ...

Je rappelle à tous ceux qui sont envoyés en Côte d’Ivoire, à quelque niveau de responsabilité qu’ils se situent, dans le règlement de la crise ou simplement dans le suivi des décisions que nous avons prises, que leur mission est de nous aider. Il doivent faire leur travail qui est de nous aider. Ils ne doivent pas jeter de l’huile sur le feu en intervenant de façon intempestive dans les médias nationaux. Cet état de choses n’est pas tolérable et il ne sera pas toléré".

En clair, pour ce qui est de la résolution de la crise ivoirienne, ce n’est pas demain la veille. Il faut bien attendre que Gbagbo, car tout ne dépend maintenant que de lui, achève son tourisme mondial avant de se hasarder à toute hypothèse. Mais où peut-il encore se rendre quand on sait que toutes les capitales incontournables ont déjà été visitées, une, deux ou trois fois ? Gabgbo se préparerait-il à une riposte musclée face à l’intransigeance de son opposition ? Rien n’est moins sûr.

Après les multiples accords signés, faudrait-il envisager maintenant des contrats ? La communauté internationale, depuis le début de la crise, a cher payé pour devoir vendanger si peu. A l’exemple de la mosquée des Sunnites de Zanghouetin, la Côte d’Ivoire impose aujourd’hui à l’ONU, à l’Union africaine et à la CEDEAO la prise de mesures dissuasives, énergiques, qui mettent rebelles du Nord, danseurs et boulangers-patissiers d’Abidjan au pas. Ce pourrait être la seule voie de salut.

Bernard Zangré
L’Observateur Paalga

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