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Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo a-t-il encore les moyens de sa politique ? Ou espère-t-il seulement le pire ?

Publié le samedi 26 juin 2004 à 12h29min

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Je ne crains rien tant chez Gbagbo que son mysticisme politique. La réalité des faits lui importe peu. Il ne prend en considération que sa propre perception des événements. Et, une fois encore, sa "grande tournée" américano-africaine avec promesse, au bout du compte, d’une déclaration majeure, débouche sur le néant. Fallait-il en attendre quelque chose ? Certes non.

Mais on peut craindre que, paradoxalement, la peur du vide n’attire Gbagbo vers de nouveaux gouffres. Et donc de nouvelles exactions. Plus personne ne doute, désormais, que le chef de l’Etat ivoirien est, tout à la fois, dans l’impossibilité et dans l’incapacité de faire bouger la situation de la Côte d’Ivoire. Et tout semble figé autour de lui dans l’attente de la catastrophe finale. Il y a quelque chose de poignant dans la façon d’être de cet homme qui, en l’espace de quelques années, aura détruit toute l’espérance qui avait été mise en lui et, plus encore, un des pays les plus significatifs de l’Afrique noire.

Gbagbo aura été pour lui-même, pour son parti et pour son pays, le pire des prédateurs. Il suffisait de l’écouter, lundi soir, prononcer son allocution pour percevoir combien il était brisé. Ce n’était plus le leader flamboyant et sûr de lui-même qu’il avait été au début de la crise ; c’était un homme cassé. Mais attention, même cassé, Gbagbo est encore capable du pire. La meilleure preuve en est qu’il n’est pas resté inactif toutes ces semaines passées. Plus que jamais, c’est lui qui prend les initiatives même si sa marge de manoeuvre est de plus en plus étroite.

Le gouvernement de réconciliation nationale n’a plus aucun sens. Seydou Diarra n’a plus aucun pouvoir (s’il en a jamais eu autrement que sur le papier). Et les tentatives d’Abidjan pour reprendre le contrôle du Nord, via l’élimination de ses responsables, ont échoué. Gbagbo avait assuré, voici quelques semaines, qu’il allait "en finir avec les rebelles ". Pour cela, il avait cherché le soutien de la Libye, de l’Angola et de la Guinée, la bénédiction des évangélistes US, la caution de la CfA.

Sûr de son coup, et de pouvoir placer des hommes liges à la tête des
"rebelles ", il s’était lancé à la conquête d’un mini-sommet ouest-africain. Il espérait y annoncer qu’il avait à nouveau le contrôle total du pays, dans une alliance avec des "rebelles" fantôches. En route pour Abuja, où se tenait ce mini-sommet, il avait rendu hommage à la sagesse du président Eyadema et affirmé que tout allait bien. Son analyse était simple. Les difficultés de la Côte d’Ivoire sont imputables à la guerre et aux conséquences de la guerre. La guerre est finie, avait-il annoncé. Il ne reste donc qu’à en solutionner les conséquences.

Pour Gbagbo, dès lors que le désarmement (qui ne peut être, bien sûr, que celui des
"rebelles" puisque ses forces gouvernementales sont légitimes) sera effectif, il n’y aura plus d’obstacles à ce qu’il assume, à nouveau, la totalité de son pouvoir sur la totalité du pays. Marcoussis, la réconciliation nationale, etc... tout cela n’aura plus aucun sens. La guerre a pour lui des conséquences et uniquement des conséquences. Mais pas de causes !

C’est une constante dans son discours : les "rebelles" lui ont imposé la guerre ; ils ne sont pas parvenus à prendre le pouvoir ; il a fait preuve de conciliation en acceptant la médiation de la France puis de l’Onu ; la conciliation n’a pas abouti. Mais il est toujours au pouvoir à Abidjan et entend mener les choses comme il le veut. Il prône donc un retour à la case départ tout en s’efforçant, en coulisses, de forcer le destin militaire au Nord.

Le problème, c’est que la situation en Côte d’Ivoire, en Afrique de l’Ouest et dans le Monde, n’est plus la même au printemps 2004 qu’à l’automne 2002. La confrontation Washington-Paris au sujet de la Côte d’Ivoire, dont beaucoup avaient voulu faire une justification "impérialiste" aux dérives du régime Gbagbo, si jamais elle a vraiment existé n’existe plus. Washington est occupé ailleurs !

Le pactole pétrolier que recelait l’offshore ivoirien, nous affirmait-on, justifiant cette ambition française de reconquête de son ex-colonie, est encore à mettre au jour ! La volonté expansionniste (et revancharde) des sahéliens sur les côtiers n’a jamais été exprimée : Bamako et, plus encore, Ouagadougou, ont mis en oeuvre une diplomatie soft vis-à-vis d’Abidjan, malgré la hargne des médias gouvernementaux ivoiriens.

Alors que reste-t-il de tout cela ? Premier constat : le double langage de Gbagbo n’est plus crédible. Quand il déclare, lundi soir 21 juin 2004 : "Je désapprouve, sans réserve, les manifestations ayant visé les Français et l’Onu" (ce furent, d’ailleurs, bien plus que des manifestations mais de véritables agressions), chacun sait que les "Patriotes" ne sont pas autonomes mais dirigés et soutenus par l’entourage immédiat de la présidence de la République.

Deuxième constat : les dérives majeures (l’assassinat, confirmé, de Jean Hélène et l’assassinat, probable, de Guy-André Kieffer, deux journalistes) sont le fait (ou paraissent être le fait) de l’entourage immédiat de la présidence de la République. Troisième constat : la gestion déficitaire de l’économie et des finances ivoiriennes montrée du doigt par les institutions internationales est le fait de l’entourage immédiat de la présidence de la République.

En occupant le terrain, Gbagbo, finalement, a été à la faute. Et la multiplication des fautes pèse lourd dans la balance internationale. La France est exaspérée. L’Onu est désespérée, L’Afrique de l’Ouest est excédée, Ce qui explique le profil bas de Gbagbo lors de son intervention radio-télévisée du lundi soir 21 juin 2004. Et laisse entendre qu’il va revenir sur le terrain, balle au centre, y rappeler tous les joueurs (y compris ceux du camp adverse), s’excuser auprès des arbitres et accepter qu’il y ait des "étrangers" dans les gradins pour assister au match !

Retour à la case départ ! En attendant l’hypothétique organisation de l’élection présidentielle dans un an et quelques mois. Ce que beaucoup ne veulent plus. Mais le choix est limité. Gbagbo va s’accrocher au pouvoir en poursuivant systématiquement sa politique de stop and go. Marcoussis visait à le marginaliser. Echec. Faut-il le neutraliser ? La question est ouvertement posée dans les milieux "africanistes" à Paris.

Mais qui va prendre la responsabilité de mettre en place un coup de force militaire contre le chef de l’Etat ivoirien alors que le coup de force politique est impossible compte tenu de la nature de l’opposition ? Ce n’est pas dans la culture politique du PDCI et du RDR. Et les Forces nouvelles sont trop divisées (donc achetables) et pas assez structurées pour y parvenir. Quant aux forces militaires (France, Cédéao, Onu), leur présence stabilise les rapports de force mais ne fait pencher la balance ni d’un côté, ni de l’autre. Reste une destitution "légale".
Encore faudrait-il que les enquêtes sur les exactions commises débouchent sur une mise en accusation précise du chef de l’Etat !

Gbagbo sait jusqu’où il peut aller trop loin. Quand son action est hard (c’est ce qui vient de
se passer à Bouaké et Korhogo), son discours est soft (’J" adresse au gouvernement et au peuple français l’expression renouvelée de notre reconnaissance pour les sacrifices qu’ils consentent pour la paix en Côte d’Ivoire"). Insaisissable Gbagbo ! Qui sera à Paris pour le soixantième
anniversaire du débarquement de Provence (ce que personne ne peut contester à l’égard du fils d’un ancien combattant).

Mais sera-t-il à Ouagadougou, dans tout juste cinq mois, à l’occasion du sommet de la Francophonie ? S’il passe ce double cap sans dommages, il sera parvenu à gagner la haute mer et sera le mieux placé pour la présidentielle de 2005, Malgré le coup de faiblesse dont il vient de nous apporter la preuve. Car il fera de ce parcours politiquement cahotique, socialement désastreux et économiquement ruineux l’expression de la preuve qu’il est un élu... de Dieu et que le "mal" ne peut rien, définitivement, contre lui, qui représente le "bien". La question qui se posera alors sera de savoir si son Dieu est un démocrate ou un autocrate !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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