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Kenya : Quels enseignements pour l’Afrique ?

Publié le mardi 5 février 2008 à 11h17min

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La tragédie kenyanne qui se déploie actuellement sous nos yeux vient cruellement nous rappeler que la démocratie est une œuvre fragile. Jamais définitivement acquise ou achevée, elle se présente en définitive comme une œuvre d’étape, vouée à des réajustements périodiques en fonction de la maturité et des spécificités de l’histoire des peuples.

Cela est singulièrement vrai pour l’Afrique où la gouvernance, quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage aujourd’hui, reste encore marquée par des pesanteurs centrifuges dont, entre autres, l’incivisme, le tribalisme, le régionalisme, etc.

Un visionnaire comme Béchir Ben Yahmed du journal « Jeune Afrique » voyait déjà en cela, il y a une vingtaine d’années, une des principales menaces pour le développement de l’Afrique. Il avait fort heureusement noté, au sujet du Burkina Faso, que c’était le seul pays africain où il n’y a pas le Nord et le Sud.

Ecartelé au moins deux fois dans son histoire entre ses voisins, le pays des « hommes intègres » a malgré tout pu construire son unité par la grandeur d’esprit de ses dirigeants et des différentes nationalités qui le composent, ayant tous tôt compris que les fibres tribales ou ethno-centriques étaient de véritables incendiaires pour la consolidation de la cohésion des nations.

En illustration, il a suffi à feu Joseph Ouédrago d’appeler en 1978 à voter enfin un Mossi pour que la majorité des voix de son propre groupe ethnique se reportât sur feu Général Sangoulé Lamizana.

Pour revenir au cas kenyan, on ne peut que s’offusquer de la maladresse du Président Mwai Kibaki qui n’a même pas mis la manière dans son escroquerie électorale. L’on a ici juste évité de laisser voir - comme au Togo - des militaires déambulant dans la rue avec des urnes, ou au Niger où ceux-ci ont procédé à un hold-up électoral en règle, pour commettre leur forfait en faveur d’un potentat qui croit à tout sauf à la démocratie.

Les afro-pessimistes n’ont pas toujours tort

La démesure du dirigeant kenyan réside incontestablement dans le fait que, une fois le stratagème découvert, il n’ait pas eu assez d’intelligence pour rechercher un compromis qui aurait consisté à admettre les lacunes qui ont entaché le scrutin, et à laisser entrevoir l’éventualité de sa reprise.

Le reste aurait consisté en des tractations souterraines, mais qui auraient eu sans doute le mérite d’épargner au pays une crise dont personne ne peut prévoir l’issue. L’on accuse, du reste à tort, les médias d’avoir été à l’origine de l’amplification de la tragédie.

De quelle morale relève donc la politique lorsque, conscient d’une erreur patente, l’on s’entête jusqu’à mettre en péril l’unité d’un pays et de milliers de vies humaines ? En attendant, Kofi Annan y est en embuscade, hésitant sur la formule adéquate à suggérer pour mettre un terme au drame fratricide kenyan.

Mais l’autre situation fort troublante, c’était le silence de la communauté internationale. Le secrétaire général de l’ONU, sans doute en raison des interpellations pressantes, a fini par admettre sous la forme d’un euphémisme que la situation au Kenya était inacceptable. Les Etats-Unis ont également embouché cette trompette à travers Georges Bush, dont on ignore d’ailleurs dans quel état il laissera le monde dans un an.

Kofi Annan et son successeur devraient, dans cette crise, avoir le courage de saisir le Conseil de sécurité qui, par une résolution, peut prescrire la reprise du scrutin sous le contrôle de la communauté internationale et de brandir, le cas échéant, la menace de sanctions économiques et diplomatiques pour infléchir la position du Président kenyan.

Le comportement des dirigeants kenyans fait justement partie des agissements servant d’aliments à ceux qui, comme Nicolas Sarkozy que la real politik est en train de rattraper, pensent que les Africains ne sont pas encore entrés dans l’histoire. Mais peut-être que les afro-pessimistes n’ont pas toujours tort.

L’Afrique a tout pour se développer

En effet, les défis du développement induits par le contexte actuel de mondialisation exigeraient qu’au moins des processus démocratiques transparents soient un acquis pour l’Afrique.

Ils doivent à cet effet transcender tous les clivages qui peuvent nuire à la cohésion des Etats, lesquels sont désormais appelés à évoluer dans des ensembles plus vastes.

Comme on le sait, la mondialisation n’est rien d’autre qu’un effritement dicté des frontières en faveur de la mobilité du capital international, lequel cherche à réaliser, généralement au détriment des peuples, le profit là où il peut l’engranger.

Au moins sur ce plan, Karl Max a eu raison, et l’Afrique devrait être le premier continent à le savoir et, à défaut, de s’en protéger et de chercher sa place dans un monde de requins.

On assiste malheureusement en Afrique au spectacle désolant de dirigeants qui, ne prenant pas la pleine mesure des défis de l’époque, présent et à venir, exposent le continent au pillage de ses ressources, et les populations, aux pires injures qui soient.

Car, et à tout bien considérer, l’Afrique a tout pour se développer : les ressources et le génie. Peut-être que le choix du thème de la conférence des chefs d’Etat de l’Union africaine, qui porte cette année sur le développement industriel du continent, procède de cette prise de conscience historique.

Mais si déjà à l’échelle des Etats aucune unité n’est consolidée, comment envisager la construction de grands ensembles et la mise en commun de nos potentialités pour impulser le développement. Le Président Kibaki devrait - comme le dirait le ministre Justin Koutaba (même si ce n’est pas sur le même sujet) « redonner l’espoir à l’espoir », car le Kenya était véritablement un espoir pour l’Afrique.

L’on se trouve contraint à partager la sentence péremptoire de personnalités comme Adama Fofana, qui pense que dans le monde, "il y a le Noir et les autres". Nicolas Sarkozy ne pense pas autre chose. Son projet d’union avec le Maghreb que Kadhafi menace de rejoindre, ne procède pas en vérité de la recherche d’une efficacité dans la lutte contre l’immigration clandestine.

Il convoite pour la France et pour l’Europe, les énormes richesses naturelles de ces pays, et en particulier de l’Algérie. L’enjeu, ce sont les Blancs d’Afrique. Quant aux Noirs des autres Etats du continent, le pillage de leurs ressources se fait sans résistance, la plupart du temps avec la complicité de leurs dirigeants.

Des crises absurdes

Le pillage des ressources naturelles de l’Afrique, ajouté aux effets de l’immigration choisie (autre pillage portant sur les compétences) : voilà le schéma cynique d’une vision apocalyptique pour l’Afrique au sud du Sahara.

Empêtrés dans des crises absurdes comme celles qu’ont connues la Côte d’Ivoire, le Togo, la RDC, le Rwanda et actuellement le Kenya, l’on peut, comme Calixte Beyala, se demander si l’Afrique ne refuse pas le développement ou, comme Ki-Zerbo, "A quand l’Afrique".

Une chose est certaine : si l’Afrique rate son insertion harmonieuse dans la mondialisation, les générations futures n’auront que leurs yeux pour pleurer. Il faut donc espérer que ce ne soit pas encore tard pour l’Afrique et que, comme le dit un penseur français, "l’école de la vie est la plus difficile, mais c’est la seule à laquelle même les insensés s’instruisent".

Les dirigeants africains et en particulier Mwai Kibaki devraient donc s’instruire de leurs échecs, pour épargner à l’Afrique l’ironie de ceux qui voient ses populations irrémédiablement vouées à l’ignominie et à la misère.

Mais comment inverser ce pessimisme et ce négativisme à l’égard des Africains si, comme au Kenya, l’on ne peut pas transcender des clivages rétrogrades ?

K. Justin Tionon

, Chargé de mission au Conseil supérieur de la communication

Chevalier de l’Ordre du Mérite

Ouagadougou

Le Pays

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