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11-décembre : Les souvenirs de Minimwaoga, le Voltaïque

Publié le lundi 10 décembre 2007 à 13h08min

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Né vers 1942 à Roba, dans l’actuel Zondoma, et après avoir exercé plusieurs professions libérales, Paul Minimwaoga Ouédraogo, est aujourd’hui à la retraite au secteur 16 de Ouagadougou. Le 11 décembre 1960, jour de l’accession de l’ex-Haute-Volta à l’indépendance, il avait donc 18 ans environ. Aujourd’hui, il se souvient de tout ou presque.

A l’occasion du 47e anniversaire de l’indépendance de l’actuel Burkina Faso, qui va être célébré demain avec faste sur toute l’étendue du territoire, nous avons recueilli pour vous le témoignage de ce sexagénaire qui se plaît à se faire appeler "Sid-passate" ("La vérité ne finit pas" en langue mooré). Outre les temps forts de la lutte pour les indépendances, le vieux Minimwaoga passe également en revue, à travers les lignes qui suivent, les forces et les faiblesses de Maurice Yaméogo, de Sangoulé Lamizana et de Saye Zerbo, les 3 premiers Présidents de la Haute-Volta indépendante.

Le Pays : Le gouvernement a décidé cette année de fêter avec faste l’anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, par un grand défilé des civils et des troupes militaires. Quels commentaires vous inspire une telle décision ?

Paul Minimwaoga Ouédraogo : Je remercie d’abord le journal "Le Pays" qui m’offre l’occasion inespéré d’un témoignage, étant donné que je pouvais mourir sans avoir l’opportunité de partager avec mes frères et mes enfants, ce que je sais de l’histoire politique de ce pays. Pour répondre à votre question, je dois dire que je suis particulièrement heureux que l’on soit revenu à la reconnaissance de la véritable importance de la souveraineté que nous avons obtenue de haute lutte, depuis le 11 décembre 1960. Même si aujourd’hui, l’indépendance des pays africains en général n’est pas totale, on a tout de même eu le courage de la réclamer avec tout ce que cela pourrait comporter comme conséquences. J’étais fortement chagriné ces dernières années, lorsque le 11 décembre passait presque inaperçu. Je me suis maintes fois confié à des hommes de main du président Blaise Compaoré pour leur demander de revenir à la case -départ si réellement on n’était plus sous la Révolution ou sous un Etat d’exception. Parce que dans l’histoire d’un pays, il y a toujours un début et une fin, mais nous n’en sommes pas encore à la fin.

Quel est, selon vous, l’intérêt de la célébration avec faste de la fête de l’indépendance ?

D’abord, cela permettra à nos enfants d’aujourd’hui de connaître la véritable signification de notre indépendance. J’ai remarqué de depuis la suspention de la célébration festive de l’indépendance, il y a des élèves et des étudiants qui ne savent même pas comment il faut défiler ; il ne savent pas marquer le pas. Ca, ce n’était pas digne de nous.

Quels sont vos plus grands souvenirs du temps de la lutte pour l’indépendance de la Haute-Volta ?

A priori, je pense à tous nos pères et nos grands-pères qui se sont pratiquement donné la mort pour libérer leurs compatriotes d’abord des travaux forcés, puis de la colonisation. C’est l’occasion pour moi de rendre un vibrant hommage à Ouezzin Coulibaly, Zinda Kaboré, Guillaume Ouédraogo, Yalgado Ouédraogo et tous les autres qui, à un moment, se sont dit : "Si nous avons pu nous regrouper pour réclamer et obtenir la reconstitution de notre territoire en 1947, c’est que nous pouvons aller plus loin". C’est ainsi qu’ils ont, main dans la main, lutté en même temps que d’autres dignitaires africains pour réclamer leur autonomie vis-à-vis des colonisateurs Européens. C’est dans cette optique qu’ils ont tenu, en septembre 1958, le congrès du Rassemblement démocratique africain (RDA) auquel j’ai eu la chance d’assister. Je me souviens encore de Ouezzin Coulibaly qui avait, à cette occasion, dansé au rythme du balafon avec sa femme. C’était merveilleux. Mais quelques temps après, il est tombé malade et a été évacué en Côte d’Ivoire. Puis, c’est malheureusement sa mort qui nous a été annoncée. Après donc la mort de Ouezzin Coulibaly, ses successeurs, avec à leur tête, Maurice Yaméogo, ont eu le courage de continuer la lutte comme il le fallait, jusqu’à obtenir la proclamation puis l’accession de la Haute-Volta à l’indépendance.

Que retenez-vous de feu le Président Maurice Yaméogo, lui qui, le 11 décembre 1960, a proclamé la Haute-Volta indépendante ?

C’est vrai, l’oeuvre humaine n’est jamais parfaite à 100%, mais j’admire le Président Maurice Yaméogo en tant que véritable homme intègre. Il était fier d’être Voltaïque, fier d’apprendre que la Haute-Volta avait réussi à devancer tel ou tel pays dans tels ou tels domaines de la vie politique, du développement ou de l’innovation. Après les indépendances, il fut l’un des premiers présidents qui a eu le courage et l’audace de renvoyer l’armée française, disant "Ecoutez !... Je suis indépendant, je veux donc ma propre armée 100% voltaïque". Même Houphouët Boigny le lui avait déconseillé, mais il a tenu tête. Un ou deux ans après lui, c’est Hamany Diori qui lui a emboîté le pas. Il a lui aussi renvoyé l’armée française. Après la restructuration de son armée, Maurice Yaméogo a, dans l’espace de 5 ans, réalisé des merveilles. Il y a eu beaucoup de constructions, des lotissements au quartier "Petit Paris" et la "Zone du bois", la construction du building des ministères entre-temps rebaptisé "Building Lamizana", la réfection du lycée Zinda, la construction de l’hôpital Yalgado Ouédraogo, etc.

Dès le lendemain des indépendances en 1961, il a opté pour le changement total de l’administration en faisant installer dans tous les cercles des commandants Voltaïques en remplacement de tous les commandants français. Moi j’ai eu la chance, à Tenkodogo, d’assister à l’installation de notre premier commandant Voltaïque, en la personne de Ernest Ouédraogo, qui est venu remplacer le commandant Roger Fagé. Le 11 décembre 1961, Maurice a fait venir tous les cercles de la Haute-Volta pour un grand défilé. Et chaque commandant de cercle était venu avec la jeunesse de son cercle. En juillet 1962, il a demandé la levée de la barrière douanière entre la Haute-Volta et le Ghana. Et la délégation de Tenkodogo que nous constituons s’était retrouvée à Pô (Paga) avec tous les autres. Le Président Kwamé N’Krumah était là ; il y a eu des discours et les barrières ont été levées. Presqu’immédiatement après la levée de ces barrières, le regretté Naaba Tigré a quitté directement Paga pour aller payer sa première voiture au Ghana qu’il est venu inaugurer à Tenkodogo. Après ce contact d’amitié avec le Ghana, le Président Maurice Yaméogo a lié amitié avec le Président John Kennedy des États-Unis. Ils étaient de très bons amis. Le Président américain a même invité Maurice Yaméogo à visiter les Etats-unis. Après la mort de John Kennedy, son successeur a lui aussi invité Maurice en 1964, à effectuer le déplacement des Etats-unis. Cette fois-ci, il y est resté une semaine durant. Le même avion qui l’a ramené en Haute-Volta est reparti avec les enfants du Président Yaméogo, dont Hermann Yaméogo.

"A l’époque, affecter un fonctionnaire à Gorom-Gorom, c’était comme l’envoyer en prison, puisqu’il n’y avait rien, si ce n’était les oiseaux qui planaient dans l’air....".

Et cela ne semblait pas être du goût des Français, qui avaient décidé de remettre Maurice Yaméogo à sa place. Ils ont profité de son impopularité juste après son mariage (on l’accusait alors d’avoir pillé le budget de l’Etat pour la fête de son mariage), pour lui mettre des bâtons dans les roues, avec bien entendu la complicité de ses adversaires politiques nationaux dont certains avaient été envoyés "en prison" à Gorom-Gorom. Puisqu’à l’époque, si l’on affectait un fonctionnaire à Gorom-Gorom, c’était suite à une punition, puisqu’il n’y avait rien là-bas, si ce n’étaient les oiseaux qui planaient dans l’air. Gorom-Gorom était donc considérée comme une prison. C’est donc avec la complicité de ces adversaires et des syndicats qu’il y a eu le soulèvement populaire du 3 janvier 1966. Après la chute de Maurice, le peuple voltaïque a subi une souffrance et un dénigrement sans précédent. La vie était devenue subitement dure et les gens regrettaient déjà les années Maurice Yaméogo.

Il convient de noter également que le président Yaméogo avait toujours su devancer les autres présidents dont les pays venaient d’être indépendants. La première radio dans la sous-région, la première télévision, c’était en Haute-Volta. Quand Houphouët est venu en Haute-Volta pour l’inauguration de la maison du Parti RDA (actuel Maison du Peuple), il était ébahi ! Quand il est sorti de sa voiture, on l’a conduit au salon du sous-sol qu’il a visité. Il n’en croyait pas les yeux ! Il a alors félicité Maurice Yaméogo, avant de lui demander d’où il avait eu ce plan de construction. Maurice lui a répondu que c’était l’oeuvre des architectes français. C’est ainsi que Houphouët Boigny est allé lui aussi construire sa maison du Parti (RDA) à Abidjan. C’est pour vous dire que Maurice était très ingénieux et avait l’art de devancer les autres.

Je me souviens également de cette affaire de double nationalité que Maurice avait voulu instaurer de concert avec Houphouët. Mais Houphouët lui-même ne savait pas au début de quoi il était question de façon précise. A l’époque, il était dit partout que les Ivoiriens devaient leur prospérité aux Maliens et aux Voltaïques qui avaient, par leur travail, construit la Côte d’Ivoire. Par le principe de la double nationalité, les Voltaïques devrait pouvoir occuper des postes de responsabilité en Côte d’Ivoire. C’était un piège dans lequel Houphouët aller tomber par la tête, puisqu’il avait donné son accord pour ce principe qui n’a finalement pas vu le jour avec la chute de Maurice, en janvier 1966.

Et après Maurice ?

Après Maurice, les techniciens français sont venus expliquer clairement à Houphouët ce que c’était que la double nationalité, et ils la lui ont déconseillée. C’est ainsi que Houphouët a vite changé d’avis lorsque le Président Aboubacar Sangoulé Lamizana a voulu revenir dessus.

Parlant du général Lamizana, que retenez-vous de lui ?

Il fut lui aussi un très bon président qui ne voulait pas faire du mal à quelqu’un. Mais je me rappelle qu’à sa prise de pouvoir le 3 janvier 1966, il avait promis que l’armée allait diriger le pays juste pendant un an au terme duquel il y aurait des élections et les militaires allaient céder le pouvoir. Mais au bout de l’année, il est revenu avec un nouveau discours au cours duquel il a annoncé que l’armée allait rester au pouvoir pendant 4 ans encore, pour boucler la totalité d’un mandant, avant de céder le fauteuil. Les gens avaient commencé à être sceptiques.

"Lamizana, était un homme très humble qui ne voulait pas faire du mal à quelqu’un. La preuve est qu’il avait refusé le 3 janvier 1966, de prendre le pouvoir, lorsqu’on le lui avait proposé."

Mais dans les faits, Lamizana était certes le chef suprême des armées, mais c’était des militaires de rangs inférieurs à lui qui le guidaient et qui voulaient perdurer au pouvoir, après avoir goûté à quelques portefeuilles ministériels. Ils avaient alors goûté à l’intérieur des 404 Berline climatisées et ne voulaient plus s’en défaire. C’est ainsi qu’ils sont restés au pouvoir jusqu’à la fin du mandat et ils ont organisé des élections en 1970, qui étaient en réalité des élections législatives. Lamizana est donc resté président et a créé, pour la première fois, un poste de Premier ministre occupé par Gérard Kango Ouédraogo, avec Joseph Ouédraogo comme Président de l’Assemblée, Joseph Conombo comme ministre des Affaires étrangères, etc. C’était un gouvernement de 5 ou 6 ministres. Parmi eux, il y avait de vrais opposants militaires, tel que le Général Marc Garango, alors ministre des Finances, qui ne voulaient pas se soumettre aux ordres des civils. En réalité, c’était eux qui géraient le pays. Lamizana, était un homme très humble qui ne voulait pas faire du mal à quelqu’un. La preuve est qu’il avait refusé le 3 janvier 1966, de prendre le pouvoir, lorsqu’on le lui avait proposé. C’était pour lui un signe de reconnaissance à Maurice Yaméogo.

"Un jour, sur les antennes de la radio de Haute-Volta, le ministre de l’Enseignement supérieur a dit que si Lamizana pouvait gérer son ministère, qu’il vienne le reprendre !..."

Après Lamizana, on a assisté à l’avènement du CMRPN avec Saye Zerbo à qui je tire également mon chapeau. Puisqu’il a réussi à éviter au pays une situation d’affrontement suite à une grève de 45 à 55 jours qui avait atteint son paroxysme. J’étais alors dans le bureau du syndicat des tailleurs. Aux côtés des autres syndicats, nous avons tous exigé plus de justice dans la gestion du pays sous Lamizana. Les enseignants avaient exigé du gouvernement du Premier ministre Conombo, la révocation du ministre de l’Enseignement supérieur. Ce dernier s’était alors emparé des antennes de la radio de Haute-Volta (alors appelé Radio-Ouagadougou), pour dire haut et fort que si Lamizana pouvait gérer son ministère de l’Enseignement, qu’il vienne le reprendre. Moi, je suis tombé des nues lorsque j’ai entendu cela. C’est donc suite à cette situation de tourmente sociale que Saye Zerbo a fait son coup pour prendre le pouvoir sans verser de sang. Il a simplement interné au camp de Gounghin certains militaires proches de Lamizana.

L’une des premières décisions de Saye Zerbo en tant que Président de Haute-Volta, ce fut l’instauration d’un laissez-passer pour chaque Voltaïque qui voulait aller en Côte d’Ivoire. C’était une décision sage au regard de l’exploitation dont étaient victimes les Voltaïques au pays d’Houphouët. L’Etat voulait ainsi savoir qui va où. Dès lors, si par exemple, une centaine de Voltaïques quittaient leur pays pour la Côte d’Ivoire, le gouvernement ivoirien était tenu de rendre compte au gouvernement voltaïque de la destination exacte de ces 100 immigrés, de leurs emplois, leurs salaires, leurs conditions de vie, etc. C’était comme un contrat entre les deux pays et il y avait un suivi permanent.

Au regard du niveau de développement actuel des anciennes colonies africaines, pensez-vous qu’elles ont eu raison de réclamer la souveraineté dès 1958 ?

Oui, tout à fait. Il a fallu, à un moment donné que les Africains se départissent du joug de la colonisation. Si les pays africains ont encore des difficultés à décoller, je crois qu’il faut en chercher les raisons ailleurs. Tout compte fait, la souveraineté des anciennes colonies était alors voulue pas tous, et je crois qu’il est tout à fait normal qu’on la célèbre aujourd’hui.

Propos recueillis par Paul-Miki ROAMBA

Le Pays

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