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Michel Noir, ancien ministre et ancien maire de Lyon : « La France-Afrique survivra à Chirac »

Publié le mercredi 28 février 2007 à 08h41min

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Michel Noir2

Michel Noir ancien ministre et ancien maire de Lyon a séjourné tout récemment dans notre pays dans le cadre du dernier colloque sur la décentralisation tenu à Bobo-Dioulasso. Dans cet entretien qu’il a voulu bien nous accorder, celui qui se qualifie comme un vieux dinosaure gaulliste, parle entre autres de sa nouvelle passion, la recherche de la décentralisation, de la présidentielle française, des relations France-Afrique.

Sidwaya S). : Que devient Michel Noir depuis qu’il a quitté le monde politique en 1996 ?

Michel Noir (M.N.) : Michel Noir effectivement a été ministre. Pendant vingt ans, j’ai été député à l’Assemblée nationale et maire de Lyon. Je suis docteur de l’Université de Lyon II. Aujourd’hui j’anime une entreprise que j’ai créé, il y a 7, 8 ans dans un domaine un peu compliqué, qui est celui de l’entretien des capacités cérébrales des personnes âgées.
Nous sommes des spécialistes du cerveau et nous avons conçu des logiciels pour stimuler les capacités cognitives de la personne, qui avec l’avancée en âge a tendance à décliner dans ses capacités. Et la stimulation, c’est prouvé scientifiquement permet de maintenir en bon état le cerveau, de retarder les effets du vieillissement.

S. : Après toutes ces années passées en politique, est-ce qu’il a été facile pour vous de quitter ce domaine ?

M.N. : C’est une chance assez inouïe d’avoir une deuxième vie. C’est ce qu’on peut souhaiter à chacun. J’ai plongé dans le monde de la recherche, notamment en science cognitive. Et j’ai découvert un monde passionnant, celui de la recherche. Il est toujours passionnant de travailler avec des gens qui ont 30, 20 ans de moins que soi. Cela maintient les neurones en bon état.

S. : Comment peut-on mettre les résultats de vos recherches au profit du continent africain ?

M.N ; : Nous travaillons beaucoup sur les personnes qui avancent en âge. Nous faisons aussi des logiciels pour les professionnels DE santé qui font de la rééducation d’enfants qui ont de petits troubles cognitifs : toutes les dislecties, disphaties, que l’enfant peut avoir entre 6 et 10 ans.
Des orthophodistes pourraient très bien utiliser les logiciels si Ceux-ci étaient développés en Afrique, mais il y a d’autres priorités sur le continent. Il faut d’abord que l’enfant soit scolarisé.
J’allais dire que toutes ces maladies sont pour enfants de riches et de pays très développés.

En revanche, il y a un point très important : on sait désormais comment le cerveau apprend de nouvelles connaissances. Et cela est important pour ceux qui ont à enseigner des connaissances à des enfants. Donc, il est important pour les enseignants burkinabè, canadiens, danois, français ou américains de savoir comment les réseaux de neurones apprennent .
De ce point de vue, nous avons des logiciels et des interventions auprès d’équipes de formateurs qui ont à former des personnes, à des connaissances.

S : Les cas que vous venez d’évoquer peuvent-ils être des solutions palliatives pour la maladie d’alzheimer ?

M.N : Aujourd’hui, nous avons des logiciels spécifiques pour les personnes très âgées, qui ont déjà des fonctions dégradées, qui sont dans des états proches d’alzheimer. Nous avons aussi des logiciels, pour les 85 - 90 ans, qui ont des alzheimers déclarés. Puisque sur le plan statistique, on sait que la stimulation permet de stabiliser un état, pour les personnes déjà déclarées alhzeimer. Nous venons d’avoir une étude faite par des scientifiques américains, sur une douzaine de malades d’alzheimer.

On leur fait suivre un programme d’entraînement, de stimulation à partir de nos logiciels. On a regardé avant l’entraînement quelles étaient les zones activées sur une tache donnée et après l’entraînement à partir de nos exercices, six mois plus tard la même tache. On s’est aperçu qu’il y a des zones nouvelles du cerveau qui étaient activées. Ce qui démontrait qu’ils y avait une plasticité, c’est-à-dire que le cerveau, grâce à la stimulation avait été capable de réactiver des zones qui n’étaient plus utilisées.
Avant, on ne connaissait pas l’alzheimer.

Mais aujourd’hui en France par exemple, il y a 850 000 cas déclarés et tous les ans, il y a 240 000 cas supplémentaires. Elle devient une des maladies les plus importantes et il y a plus de décès d’alzheimer en France que de décès par le cancer. Donc, cela devient un enjeu pour les pays très développés qui ont des populations très âgées. Le problème de nos pays, que ce soit au Japon, en Europe ou aux Etats-Unis, c’est l’allongement de la durée de vie. Aujourd’hui en Europe, chaque année, on augmente notre expérience de vie de trois mois et demi. Ça fait rêver. Evidemment, c’est une problématique autre que celle de pays émergents où l’on est à d’autres âges moyens d’espérance de vie.

S : Depuis 1996, vous avez quitté le monde politique, est-ce que nous avez gardé des relations avec vos anciens amis politiques ?

M.N : Bien sûr.

S : Quels types de relations ?

M.N : Quand les relations d’amitié sont réelles, elles perdurent. Et même si je ne suis plus actif en politique (maintenant c’est ma femme qui est élue à la région Rhône-Alpes), je reste engagé. Puisque je fais partie des vieux dinosaures gaullistes. Je ne suis plus élu certes, mais je reste militant car j’ai ce nouveau métier qui m’accapare.

S : Peut-on dire que vous avez le même parcours que Alain Juppé ?

M.N : Oui, mais sauf que lui, il est revenu.
Et moi je n’ai pas envie de revenir parce que ce que je fais aujourd’hui est très passionnant. Je suis dans un secteur scientifique qui est en évolution extraordinaire. La question du cerveau se développe beaucoup.
Et désormais, c’est mon métier.

S : Qu’est-ce qui explique votre présence au Burkina Faso ?

M.N : Il y a plus de 15 ans, quand j’étais maire de Lyon, j’ai initié une coopération décentralisée avec Ouagadougou, à l’initiative de notre consul général.
Nous avons initié un travail avec les gens de la velle de Ouagadougou. Un bon travail d’ailleurs qui a continué avec mes successeurs à la mairie de Lyon. Ce qui est très bien. Et donc, je viens ici assez régulièrement à l’invitation du président du Faso. Parce que nous avons une sympathie réciproque. Et j’estime que c’est un homme d’Etat d’une grande envergure. Il est en train de devenir le sage de toute la région-ouest africaine à travers sa médiation sur le Togo et la Côte d’Ivoire. Et sur le plan international, il est reconnu comme tel.

Pour ma présente visite, je suis venu à l’invitation du ministre de la Décentralisation et des Collectivités locales, pour participer au colloque de Bobo-Dioulasso, sur la décentralisation.
Demain, je donnerai une conférence à l’Université (NDLR = l’interview a été réalisée le 22 février 2007).
J’ai donc décidé de donner une semaine minimum de mon temps au Burkina Faso.

S : Qu’avez-vous retenu du colloque de Bobo-Dioulasso sur la décentralisation des 18 et 19 février 2007 ?

M.N. : Le constat que j’ai établi est que le Burkina est en train de faire en 15 ans, ce que nous en France nous avons mis plus de 150 ans a mettre en œuvre, en matière de décentralisation.
Pour que l’on soit efficace, il faut qu’une partie des décisions soient prises auprès des populations. C’est cela la décentralisation pour plus d’efficacité, pour plus d’adaptation.

La bonne décision, c’est celle qui est prise localement avec l’adhésion de la population.
Parce qu’on informe, on lui explique et elle participe. En amont de la décision, elle donne son point de vue. C’est cela l’intérêt. De ce point de vue, mettre en place des collectivités locales et des élus locaux pour qu’ils gèrent les affaires de la commune ou de la région, est un pas décisif. Il y a plus d’efficacité et une meilleure compréhension et d’association de la population et c’est vraiment là, un enjeu considérable. Et en plus, vous avez choisi deux bons niveaux : la commune et la région par rapport à l’Etat.

De ce point de vue, on peut dire que c’est une prouesse d’avoir été capable d’installer ces collectivités locales avec l’élection des conseillers municipaux et régionaux, les doter de moyens pour qu’ils puissent gérer les affaires de la commune, de la région.

S. : Selon vous, le Burkina était-il réellement prêt à aller à la décentralisation intégrale ?

M.N. : Quand on voit tous les Burkinabè qui sont prêts à se dévouer pour gérer les affaires locales pour le bien-être des populations, c’est une chance dont il ne faut pas se priver. Le premier critère, c’est qu’il y a des gens qui sont motivés et c’est le cas. C’est déjà un atout considérable.

Ensuite, il faut qu’ils aient les moyens, qu’ils soient formés. Et cela représente des années de gagnées, dans l’efficacité sur la voie du développement.
Il y a quinze ans, les interlocuteurs que nous avions à la municipalité de Ouagadougou étaient tout à fait compétents et étaient capables de décider. Quand on a mis en place, par exemple, tel ou tel service de collecte des ordures ménagères, ou d’éclairage public, on formait les gens et ils étaient aussi compétents que les fonctionnaires et les élus de la ville de Lyon.

Comme les personnes ont de nouvelles compétences, il faut les former. Et dans ce cadre, le ministre délégué a publié un ouvrage à l’occasion du colloque de Bobo et qui est d’une très grande clarté. Je crois qu’il y a de vraies chances.
Et au contraire, aller vite, ne pas attendre, c’est sans doute, aller dans le sens de ce que souhaite la population.

S. : Pensez-vous que les relations franco-africaines survivront à Jacques Chirac ?

M.N. : A coup sûr ! Tous les élus en France sont profondément attachés à cette originalité. Car la relation entre la France et les pays africains a des raisons historiques. Nous sommes profondément attachés à quelque chose que nous avons vu se mettre en place depuis les années 60 : le développement de ces pays, la pleine et entière responsabilité des cadres pour la gestion du pouvoir, etc. Je ne peux pas imaginer que d’un seul coup, toutes les forces politiques françaises, parce que ce n’est pas plus Chirac, ne continuent pas cette politique.

S. : Si l’on prend le gaullisme dans sa philosophie de relation paternaliste avec l’Afrique. Cela ne freine-t-il pas le développement du continent africain ? Parce que 40 ans après les indépendances, la génération actuelle d’Africains a toujours l’impression que tout est décidé de Paris pour l’Afrique.

M.N. : Regardez les ministères de la Coopération et tous les financements de projets de développement en Afrique. Ce ne sont pas les Français qui décident. C’est vous qui décidez. Et nous comme partenaires, regardant vos propositions, vos besoins, aidons à bien les cerner et bien définir sur le plan technique en jouant notre rôle de partenaires au financement, à la formation, à l’appui technique.
C’est vous qui restez toujours maîtres de la décision. On ne vous a jamais construit ou fait quelque chose qui ne soit pas de votre choix. A moins que je me trompe.

S. : De point de vue économique, le FCFA est arrimé à l’euro. Est-ce qu’il n’est pas temps que l’on se détache, pour permettre les pays africains de souffler un peu ?

M.N. : C’est une vraie question. Aujourd’hui avec l’évolution parité dollar-euro, le coton burkinabè ou malien par exemple souffre. Cette parité si forte défavorise les intérêts économiques de ces pays. Si le coton aujourd’hui valait 30 % moins cher, cela faciliterais les choses pour l’exportation. En réalité, la vraie question réside dans la parité dollar-euro.

S. : En avril et mai prochains, se tiendra l’élection présidentielle dans votre pays. Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, François Bayrou... Quel est le président qu’il faut aux Français ?

M.N. : Aujourd’hui dans l’état de la France, il faut quelqu’un qui a du caractère. Quelqu’un qui soit capable d’opérer les changements qui sont nécessaires en France, pour que la France continue à s’adapter au monde moderne et multipolaire dans lequel elle vit, qui est aussi un monde de forte concurrence et un peu « sans frontières », sur le plan de l’innovation, de la compétitivité. La France a des qualités, mais elle a aussi de « jolis défauts ». Les Français adorent le changement, mais plutôt pour les autres. C’est ce qui explique que quand des ministres de l’éducation, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont envie de faire bouger les choses, il y a des centaines de milliers de personnes, des enseignants notamment dans la rue.

C’est arrivé au gouvernement Rocard en 1990, à Jospin lorsqu’il était à l’Education nationale, ainsi qu’au ministère de l’Education du gouvernement Balladur, etc. Donc, il faudra quelqu’un qui a du caractère et du courage pour tenir un langage de vérité en disant « il faut que dans certains domaines, des changements soient opérées. Deuxièmement, il faut reconnaître que nous n’avons pas des finances pléthoriques. Nous avons eu un accroissement de la dette et il s’est développé en France, l’idée que l’Etat doit à chaque citoyen, une assistance financière sans contrepartie. Et Nicolas Sarkozy a raison de le dire : « quand la société vous aide, vous devez aider en contrepartie faire quelque chose pour la société ».

Pas seulement pour des raisons financières ; mais pour des raisons d’ordre éthique. Parce que vous êtes dans telle ou telle situation difficile, la société mobilise de l’argent public pour vous venir en aide, elle a en droit de vous demander en contrepartie un peu de votre temps, un peu d’activités tout en vous aidant à passer ce cap difficile. C’est déjà le portrait robot que je suis en train de dresser. Ce qui explique aujourd’hui que Sarkozy soit à ce niveau très élevé des sondages, c’est parce que les gens croient qu’il est capable de mettre en œuvre ce qu’il dit, ce qu’ils l’ont vu faire comme ministre de l’Intérieur dans le domaine de la sécurité. Il y a certains de ses adversaires qui disent qu’il est dangereux politiquement parce qu’ils se sont rendus compte qu’il fait ce qu’il dit.

S : Est-ce qu’on peut dire qu’on évolue vers le courant des grands partis ? Parce que les alter mondialises à l’image de José Bové, peinent à rassembler les 500 voix qui permettent d’être candidat.

M.N : Cela a toujours été une réalité dans toutes les grandes démocraties. Vous avez un système qui est largement binaire. Conservateurs, travaillistes, démocrates, républicains, CDU, socialistes, SPD en Allemagne et en France il y a le PS et l’UMP. C’est la loi de la démocratie. Et comme de toutes façons, pour gouverner un pays il faut une majorité, il est normal que les scrutins dégagent des majorités et c’est ce qui conduit la plupart du temps à un fort bipartisme ou parfois des coalitions, parce qu’il y a une troisième force qui est là. Un parti libéral en Allemagne ou en Angleterre, un UDF en France. C’est dans la logique de l’efficacité nécessaire dans ces démocraties.

S : Adhérez-vous au concept d’immigration choisie de Sarkozy ?

M.N : Il y a deux choses dans ce concept. Il y a le fait qu’on ne peut accepter un système où il y a une totale liberté d’entrée. Aucun pays ne peut vivre de cette façon. Parce que les premières victimes en sont les personnes concernées par l’immigration clandestine. Donc, les flux de migration doivent être organisés. Quand je vois à la télévision des gens qui crèvent de faim et de soif dans les bateaux, je me dis que c’est pas possible. Parce qu’il y’a des salopards de passeurs qui leur font payer une fortune et qui se foutent pas mal de ce qui adviendra. C’est inhumain. Mais derrière tout cela, il y a le fait que Nord et Sud doivent obligatoirement travailler ensemble pour que l’immense majorité puisse trouver des conditions de vie propices, de dignité, de développement, etc. Deuxième élément, la plupart des pays, en ce qui concerne les flux intre-européens, ont à être attentifs aux déséquilibres considérables qui peuvent exister. Car les phénomènes de déséquilibre ne profitent à personne.

Interview réalisée par Jean Philippe TOUGOUMA
Gabriel SAMA

Sidwaya

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