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Relations France-Afrique : L’Elysée l’emporte sur le Quai d’Orsay

Publié le mardi 20 avril 2004 à 10h25min

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Xavier Darcos

Jacques Chirac aime l’Afrique. A sa façon. Parce qu’il considère que les relations entre la France et le continent noir sont des relations simples, hors de tout calcul géopolitique dès lors que les financements sont assurés comme il convient et que le chef de l’Etat français est disponible pour les chefs des Etats africains.

"Connivence ", "prestige de la France ", "accueil
formidable "
, etc... ce sont les mots-clés des relations entre l’Elysée et les palais présidentiels africains. Ce sont les mots par lesquels Bernadette Chirac qualifie la vision africaine de son époux (Conversation - Plon - Paris 2001).

Alors, pourquoi compliquer quand on peut faire simple. Tapis rouge, gardes républicains, sourires radieux, embrassades et claques dans le dos : pour Chirac tout est dit et tout est réglé ; ça roule ! Enfin, pas toujours. L’Afrique du XXIème siècle n’est plus tout à fait celle de la fin du XXème siècle. Qui n’était d’ailleurs pas aussi simple que le pensait Chirac. De Gaulle lui-même trouvait l’Afrique très compliquée ("On veut toujours courir après ces gens-là. Ils ne représentent rien. Ce sont eux qui ont besoin de nous et pas nous qui avons besoin d’eux. Et on est là à vouloir à tout prix traiter avec eux ! Il n’y a qu’à les laisser crever. Quand ils feront ce que nous voudrons, nous reprendrons ") et c’est pourquoi il avait laissé à Foccart la gestion d’affaires africaines essentielles pour Paris (dans le contexte de l’époque : première décennie des indépendances alors que la France était engluée dans la guerre d’Algérie) mais qu’il méprisait souverainement.

Dominique Galouzeau de Villepin avait une vision exacte de la complexité des relations de l’Afrique avec le reste du monde en général et la France en particulier. Pendant les deux années où il a dirigé le Quai d’Orsay. il s’est beaucoup investi dans la normalisation des rapports entre les capitales africaines et Paris. Il a instauré des relations diplomatiques denses et privilégiées mais qui, pour autant, n’allaient pas dans le sens de la plus grande pente. Pas question de céder aux exigences infondées. C’était respecter l’Afrique et les Africains même si cette rigueur de comportement avait, parfois, des contraintes insupportables.

J’ai eu l’occasion, longuement, tout au long de cette période, de commenter cette évolution des relations franco-africaines. J’ai souligné récemment, au lendemain de la réception de Laurent Gbagbo par Jacques Chirac à l’Elysée, combien cette visite traduisait un changement d’attitude. Exaspéré par la durée de la crise ivoirienne, Chirac a pensé que le dialogue entre chefs d’Etat pouvait se substituer à la négociation entre tous les acteurs. Erreur. La Côte d’Ivoire n’a pas tardé à sombrer dans une crise plus grave encore que celle que Paris tentait de résoudre. J’affirmais alors que" la nouvelle approche des problèmes africains développée par Dominique de Villepin n’était plus à l’ordre du jour à l’Elysée. On revient aux vieux schémas.. les relations de chefd’Etat à chef d’Etat " (cf LDD Côte d’Ivoire 0102 et 0103/Lundi 9 et MardilOfévrier 2004).

Le récent remaniement ministériel confirme cette "refondation" des relations franco-africaines. Si le départ de de Villepin (dans le cadre de la stratégie politique de Chirac-Juppé) est dans l’ordre des choses, l’arrivée de Michel Barnier et, plus encore, celle de Xavier Darcos comme ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, expriment parfaitement que les relations franco-africaines sont désormais essentiellement du ressort de l’Elysée.

La diplomatie française ne se limite pas à la construction européenne, aux relations transatlantiques et au débat sur l’Irak. Dominique de Villepin l’a rappelé à son successeur quand il lui a cédé son ministère. Il y a la Palestine, le Moyen-Orient et l’Iran, l’Amérique latine et, particulièrement, l’engagement français envers Haïti, et puis l’Afrique d’Alger à Antananarivo. Avec quelques points chauds : Côte d’Ivoire, Centrafrique (où Michel de Bonnecorse BenauIt de Lubières, le conseiller Afrique de Chirac, séjournait ce week-end), République démocratique du Congo, Soudan, etc...

Or, Barnier n’a pas d’expérience africaine avérée. Et il faut bien reconnaître que son ministre délégué en a, sans doute, moins encore. Ce choix ne m’étonne pas, Darcos ne sera que le concierge de la Rue Monsieur. Son prédécesseur, WiItzer, déjà, n’était pas le plus adapté pour ce poste ; l’omniprésence de de Villepin et l’intérêt qu’il portait aux questions africaines faisaient du maire de Longjumeau un intérimaire des Affaires étrangères en cas d’empêchement du "patron".

La droite avait eu, pourtant, rue Monsieur, au cours des vingt dernières années, bien plus motivés par l’Afrique : Godfrain, Debré, Roussin, Aurillac. Un Henri Cuq (nommé ministre délégué aux Relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre), qui préside actuellement le groupe d’amitié France-Mali de l’Assemblée nationale, apparaissait plus adapté au poste de ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie. Mais Darcos était déjà membre des gouvernements Raffarin 1 et II comme ministre délégué à l’enseignement scolaire. Il fallait le reclasser. Il lui avait été proposé le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales (ce qui était incontestablement une promotion) mais son titulaire, Hervé Gaymard. voulait celui de l’Emploi (politiquement plus porteur) qui était réservé à Jean-Louis Borloo. Gaymard est donc resté à l’Agriculture et, du même coup, Darcos a été obligé de se replier, une fois encore, sur un ministère délégué : celui de la Coopération, du Développement et de la Francophonie. Qui lui a été vanté comme étant la porte d’entrée dans "le premier cercle de la Chiraquie".

En fait, le rêve de Darcos est le ministère de l’Education nationale. Normal, professeur de lettres à Périgueux, Bordeaux puis Paris (notamment en classes préparatoires à Louis-le-Grand), spécialiste d’Ovide, biographe de Mérimée, inspecteur général de l’Education nationale, il a été le directeur de cabinet de François Bayrou de 1993 à 1995 quand l’actuel leader de l’UDF était ministre de l’Education nationale. Il rejoindra Alain Juppé à Matignon de 1995 à 1997 ; il sera alors son conseiller et, surtout, son plus fidèle défenseur ; les deux hommes se tutoient.

Darcos s’est lié également d’amitié avec un ami de Juppé : Dominique de Villepin qui était alors le directeur de cabinet du Premier ministre. C’est dans le sillage de son père que Xavier Darcos est devenu un politique. Il a pris sa suite au conseil municipal de Périgueux et deviendra maire adjoint en 1989. Le patron de la ville est alors Yves Guéna. C’est une personnalité politique de stature nationale (cf LDD France 0192 à 0195/Mercredi 25 février à Lundi 1er mars 2004) qui, en 1997, étant nommé au Conseil constitutionnel, lui cédera la mairie.

Deux ans plus tard, il sera élu sénateur de la Dordogne. Le voilà devenu un notable aquitain, adoubé par quelques unes des personnalités majeures de la vie politique française. Il va s’investir pleinement dans la campagne pour la réélection de Chirac lors de la présidentielle de 2002. Juppé fera le déplacement jusqu’à Périgueux, le vendredi 12 avril 2002, pour y dénoncer les dérives de la campagne de Lionel Jospin où il prononcera une phrase restée fameuse : "A force de donner des coups de barre à gauche, il finit par tourner en rond". C’est Darcos qui rédigera le discours sur l’éducation prononcé par Chirac le jeudi 18 avril 2002 à la veille du premier tour de la présidentielle.

En 2002, Darcos vise donc le ministère de l’Education nationale. Qui tombe, de manière inattendue, dans l’escarcelle d’un représentant de la société civile : Luc Ferry. Darcos se contentera d’un ministère délégué à l’Enseignement scolaire. Ce qui vient de lui permettre d’être couronné par le jury du Prix 2004 de l’Humour politique du Press Club pour avoir fustigé l’opposition à l’Assemblée nationale : "Quand vous êtes aux affaires, vous manquez de soujjle ; quand vous êtes dans l’opposition vous ne manquez pas d’air".

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (o6/04/04)

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