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An I du gouvernement Yonli III : Le jugement des syndicats et d’hommes politiques

Publié le vendredi 12 janvier 2007 à 07h49min

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P. Ernest Yonli

Quel bilan peut-on établir une année après la formation du 3e gouvernement du Premier ministre, Paramanga Ernest Yonli, le 8 janvier 2006. Des hommes politiques de plusieurs tendances et des syndicats, à qui nous avons tendu notre micro, livrent leurs opinions. Nos multiples démarches auprès de responsables CDP pour avoir leurs points de vue ont été vaines.

TOUSSAINT ABEL COULIBALY, UPR :

Je dirais que le bilan est globalement positif. Le plus grand chantier a été certainement la communalisation intégrale du territoire qui est entrée dans une phase décisive. C’est sûr qu’il y a des différences entre les communes rurales. Il y a de ce côté, du travail à faire pour qu’on ne retrouve plus des communes complètement démunies. C’est un gouvernement ambitieux comme par le passé mais réaliste. Et je crois que si la déclaration de politique générale est rigoureusement appliquée, il n’y a pas de raison que les résultats n’en soient pas à la hauteur. Loin de moi l’intention de dire que tout est parfait mais le bilan est satisfaisant dans l’ensemble.

OUSSENI TAMBOURA (ADF/RDA) :

C’est vrai, depuis le 8 janvier 2006, nos camarades participent au gouvernement Yonli III sur la base de notre soutien au président du Faso à l’occasion de son élection le 11 novembre 2006. Pour nous, ce gouvernement a globalement bien travaillé. D’abord, la décentralisation intégrale est en marche avec la tenue effective des élections locales dont je ne veux pas commenter les résultats. Sur le plan de la santé, il faut quand même souligner que les épidémies ont été quelque peu maîtrisées.

Par rapport aux autres années, c’est un soulagement et cela montre les efforts qui ont été entrepris. Egalement, le gouvernement a déposé un certain nombre de projets de lois à l’Assemblée nationale. Il y a par exemple le texte qui a été adopté sur les risques professionnels au niveau des agents de la Fonction publique. Pour nous, c’est une avancée notable.

Des efforts à faire

Bien sûr, quand on parle de bilan, il faut évoquer ce qui n’a pas bien marché. Les événements des 20 et 21 décembre 2006 à Ouagadougou constituent d’abord une ombre au tableau. Les incidents entre policiers et militaires viennent poser plus de questions. A l’occasion, le gouvernement n’a pas bien communiqué avec les populations pour les rassurer suffisamment. Et de manière générale, il gagnerait à mieux faire comprendre ses prises de position. Tous les jours dans les quartiers, nous nous évertuons auprès de la population à expliquer le sens de telle ou telle action.

Cela montre véritablement qu’il y a des efforts à faire. A l’orée de cette nouvelle année, il faut que le gouvernement invite les Burkinabè au travail. Bien sûr, la bonne répartition des fruits de la croissance doit aller de pair. Et dans ce sens, l’ADF/RDA qui a apporté son soutien au budget 2007, a dans le même temps insisté pour sa bonne exécution.

TOLE SAGNON, SECRETAIRE GENERAL DE LA CGTB :

Pour ce qui nous concerne, nous mettons l’accent essentiellement sur le volet social, c’est-à-dire le monde du travail et particulièrement là où est implanté le mouvement syndical. Si je peux me permettre de faire une observation, je dirai que le Premier ministre Yonli est celui qui bat le record de longévité, de tous les Premiers ministres qui se sont succédé sous la quatrième république jusqu’à présent. Quelque part, il fait l’affaire du président, tout comme de la quatrième république elle-même. Quand on regarde, c’est le régime qui bat le record de longévité des régimes constitutionnels de la Haute Volta, aujourd’hui Burkina Faso.

Mais pour le monde du travail, nous avons remarqué qu’il y a comme une sorte de continuité que nous avons constatée depuis des années. C’est ce qui nous a amenés à faire le point en début 2006, pour dire qu’en 2005 le gouvernement Yonli II n’avait pas répondu à nos préoccupations. Il y avait eu plusieurs lettres de relance en 2005, plusieurs mouvements sociaux, mais il n’y avait pas eu de réponse aux revendications retenues. D’ailleurs, le 1er mai 2006 nous avons dit aux représentants du gouvernement que cette année 2006 nous n’allions pas déposer de cahier de doléances, ce qui était quand même une rupture par rapport aux autres années.

Mais c’était tout simplement parce que le gouvernement n’avait pas répondu aux revendications de 2005. Et lorsque le Premier ministre Yonli a été reconduit en janvier , nous avons adressé une correspondance au gouvernement en disant que nous avons en attente des revendications qui non seulement n’ont pas été résolues mais nous constatons qu’il y a comme une volonté de mépriser le mouvement syndical, toute chose qui a amené le Premier ministre lui-même à nous recevoir en mars 2006.

Au cours de cette rencontre nous lui avons signifié que nous étions mécontents du fait qu’il n’y avait pas de réponse aux doléances des travailleurs, que le dialogue social qu’il prône, à notre sens, n’avait pas de contenu positif, qu’ensuite il y a comme un mépris du mouvement syndical. Le Premier ministre a alors indiqué qu’il y aurait une rencontre entre le gouvernement et nous autour de nos préoccupations. Cette rencontre a donc été organisée les 4 et 5 mai.

Malheureusement les syndicats avaient claqué la porte, tout simplement parce que, pendant les discussions, il y a eu une forte augmentation du prix du carburant alors que nous avions ce point-là dans la plate-forme soumise au gouvernement. Nous avons estimé que c’était un mépris à l’endroit du mouvement syndical encore une fois et que cela ne résout pas du tout les préoccupations des travailleurs. C’est ce qui a été à l’origine de beaucoup de mouvements sociaux, notamment la grève des 23 et 24 mai, ainsi que la grève du 10 juin et celle du 1er juillet.

Finalement, nous avons connu la médiation entre les deux parties, par le Conseil économique et social, afin que nous puissions retourner sur la table de négociation. Nous avons donné notre accord en disant qu’il fallait commencer par nos préoccupations majeures, à savoir la réduction du prix du carburant et la question des avancements ; et nous avons dit que c’était comme une sorte de remboursement parce que cela faisait plus de 3 ans que les avancements étaient bloqués. Effectivement, le gouvernement a souhaité que les négociations reprennent en septembre.

Mais dans l’intervalle nous avons eu une fois de plus à constater qu’il y a une avalanche de mesures anti-sociales, c’est-à-dire la forte augmentation du prix de l’électricité, la question du port obligatoire du casque et ensuite la décision du non-lieu dans l’affaire Norbert Zongo. Pendant que nous avions donné notre accord pour la reprise des négociations, il n’y avait pas lieu que dans cet intervalle il y ait ces mesures-là, particulièrement l’augmentation des prix des produits de grande consommation. Cela nous a amenés à protester le 27 septembre 2006 par une grève et une marche qui a connu une forte mobilisation à travers le pays et nous avons intégré la question de l’impunité. Il fallait donc exprimer notre indignation au non-lieu proclamé dans le dossier Norbert Zongo et exiger la réouverture dudit dossier.

Des acquis l’actif de ce gouvernement

Il y a eu quand même les négociations, lesquelles ont été sanctionnées par un certains nombre d’acquis qu’il faut aussi mettre à l’actif de ce gouvernement. Parmi ces acquis, il y a des promesses ou des engagements qui avaient été pris par le gouvernement depuis 2004 ; par exemple, le relèvement du taux de l’annuité pour le calcul des pensions. C’est une mesure qui avait été annoncée depuis 2004. Mais le mouvement syndical reste toujours en attente de la mise en oeuvre de ces engagements.

C’est vrai que le gouvernement a commencé à payer certains droits de travailleurs, comme ceux du CEMOB, de Faso Fani, etc. mais il reste des dossiers importants comme ceux de la Sap, de la Brakina ainsi que d’autres sociétés où les employeurs refusent obstinément non seulement de reprendre les travailleurs pour emploi, mais ne font non plus aucune proposition pour qu’on puisse sortir de là. En outre, il y a des dossiers comme ceux relatifs aux mesures d’augmentations générales des salaires en fonction du coût de la vie.

Le mouvement syndical toujours en attente

Mais, d’une manière globale, ces négociations ont été quelque chose, parlant du bilan 2006 du gouvernement Yonli. Cependant, il y a toujours les questions de la mal gouvernance et de l’impunité ; à cela nous avons rappelé dès janvier, le gros dossier de la CNSS. Sinon, il y a des acquis, mais pour nous c’est la mise en oeuvre qu’il faut voir pour nous rassurer. Il faut aussi savoir que les syndicats sont très regardants sur la question des libertés syndicales. Nous avons estimé que le code du travail adopté par le gouvernement Yonli II en 2004 est un code qui a des dispositions négatives par rapport aux libertés syndicales, aux droits de grève, par rapport à l’existence des unions et des confédérations syndicales. Nous avons donc interpellé le gouvernement au BIT sur cette question et nous espérons qu’elle sera considérée par la suite.

HERMANN YAMEOGO, UNDD

Quand on parle de bilan du gouvernement Yonli III, c’est comme si on se situait dans le cadre d’un régime parlementaire avec un chef de gouvernement qui élabore sa politique et qui en répond devant l’Assemblée et devant le peuple. Mais ce n’est pas le cas. Nous sommes dans un régime présidentialiste, de telle sorte que le Premier ministre n’existe que pour la forme.

Le Premier ministre n’existe que pour la forme

Ce qui importe, ce n’est même pas le parti au pouvoir, mais celui qui est au pouvoir, de qui tout dépend, que ce soit même le fonctionnement des différents organes de l’Etat et que ce soit le Premier ministre. Donc à l’absolu, parler du gouvernement Yonli, pour moi, cela n’a pas de sens, puisque c’est Blaise Compaoré qui impulse toute la politique de l’Etat. Ceci étant, pour aborder cette politique, je pense qu’il y a un aspect important à retenir, c’est que cette dernière année du gouvernement Yonli a été marquée par une paix apparente.

Quand on dit que dans un peuple, il y a la paix, c’est qu’il s’agit d’un pays où il y a tout. Mais nous avons connu des régimes, tels ceux qui ont suivi la révolution bolchevique, le régime vietnamien, ou ailleurs, qui ont connu des périodes de paix, de stabilité, sans qu’au fond le peuple soit content. Malgré les références, répétées, au taux de croissance qui est là, alerte, vigoureux depuis dix ans, il faut juger tout ça concrètement sur le terrain.

Le taux de croissance positif n’a de sens que s’il a des répercutions sur la vie de tous les Burkinabè. Or, on nous rebat les oreilles de taux de croissance alors que dans le même temps, le mécontentement grandit dans la population. Les promesses économiques dont on se vante tant ne sont valables qu’à un certain niveau, celui des privilégiés. Et quand on parle de tissu économique solide, reposant sur une structure forte, je me dis que cette croissance est artificielle.

La croissance est un mirage

Elle repose peut-être sur des circuits financiers qui viennent de l’extérieur et non pas sur les capacités productives internes. Ce qui fait que c’est un mirage. On voit effectivement de grandes bâtisses à faire rêver, Ouaga 2000 qui laisse croire à une greffe de Hollywood qui est ici. Il y a des véhicules à faire pâlir de jalousie des stars les plus renommées au plan international. Mais le bas peuple, qu’en est-il ? Au niveau du secteur de l’éducation et des infrastructures, c’est les mêmes plaintes. Au niveau sécuritaire, le Burkina Faso est en manque de sécurité. Et lorsque dans un pays il n’y a pas la sécurité, tout est faussé.

Du point de vue de la justice également c’est l’impunité. Avant c’était les opposants qui parlaient du manque et du déséquilibre de la justice ; aujourd’hui même les bailleurs de fonds en parlent. Les affaires Norbert Zongo et Thomas Sankara sont les plus significatives. Tout cela, ce sont des choses que Yonli endosse par procuration, puisque le premier responsable c’est Blaise Compaoré. Cette année a aussi été marquée par un recul encore plus accusé de la démocratie. Lorsque nous dénoncions, depuis quelque temps, au fur et à mesure des élections, qu’il y avait une dérive démocratique, on pouvait mettre cela sur le compte d’opposants éternellement insatisfaits.

Mais aujourd’hui la preuve est faite que notre expérience démocratique a capoté. Il ne reste plus que l’Union africaine, le reconnaisse, et qu’elle demande maintenant une refondation du processus démocratique à travers toute l’Afrique. Mais le mécontentement a été illustré de la façon la plus nette par la sédition qui a cours actuellement au sein de l’armée. C’est la première fois dans l’histoire de notre pays qu’une armée entre en sédition de cette façon. En 1999 il y a eu des velléités, mais cela a été étouffé ; mais cette fois-ci c’est bel et bien d’une sédition qu’il s’est agi.

Pas une sédition ponctuelle comme par l’effet d’un coup du sort, mais qui repose sur des déterminants très profonds et qui s’est poursuivie à travers plusieurs villes et qui se poursuit encore. Cela veut dire que le ver est dans le fruit. C’est un aspect fondamental qui doit obliger le gouvernement à convoquer les états généraux de l’armée et dans le même temps les états généraux de la nation, parce qu’il faut résoudre non seulement les problèmes qu’il y a dans l’armée, mais également les problèmes qu’il y a au plan national.

Cette armée a montré encore une fois de plus que les autorités doivent se mettre à l’école de la concertation et du dialogue démocratique. Il faut qu’ils arrêtent de croire qu’à la faveur des appuis internationaux médiatiques, ils peuvent continuer à faire illusion avec ce processus démocratique qui est tout à fait dévié. Si cela continue comme ça nous risquons de connaître le pire au Burkina Faso.

ME BENEWENDE SANKARA UNIR/MS

D’abord, je dois souligner qu’un gouvernement applique le programme de la majorité. Celui de Yonli III a fait une projection après la présidentielle de novembre 2005.

Ainsi, après l’élection de Blaise Compaoré, de grands chantiers ont été annoncés tambour battant dans le cadre du programme quinquennal. C’est ce qui a fait dire d’ailleurs à Paramanga Ernest Yonli, lors du message à la nation présenté devant les députés, que l’étoile du Burkina brille.

La locomotive s’est détachée des wagons

Mais, on retiendra qu’il avait une vision futuriste pour le Burkina parce que sa projection partait à l’orée de l’année 2010. En un an, quand on veut faire une appréciation alors que le Premier ministre espère une croissance à deux chiffres, on ne peut qu’en être déçu. On a l’impression que la locomotive s’est détachée des wagons. Du même coup, le Premier ministre se retrouve plus théorique que pratique. Les chantiers annoncés, la lutte contre la pauvreté, la question de l’emploi, celles de la femme et de l’ancrage de la démocratie, tout cela est loin de la bataille du Premier ministre.

Et les Burkinabè ne voient pas le changement dans leur quotidien. Cela s’est traduit par une cherté inqualifiable de la vie et les syndicats ont marché pour réclamer de meilleures conditions de vie. Le gouvernement Yonli III a été confronté aux diverses fluctuations du prix du carburant. Plusieurs entreprises ont continué à battre de l’aile malgré les promesses de meilleure forme. Les opérateurs économiques demandent également des allégements fiscaux pour pouvoir être compétitifs parce que nous sommes dans un contexte de mondialisation.

Ceux qui nous gouvernent, quoique parlant de social-démocratie dans leurs textes, appliquent un ultra libéralisme qu’ils justifient par le rapport de forces. Le dernier acte, c’est la privatisation de l’ONATEL. Dès lors qu’on a parlé de milliards de F CFA, tout a été bradé, le Burkina se vend bien comme ils aiment le dire. Voilà donc des situations qui font que le citoyen n’a plus espoir dans son vécu quotidien. Et cela s’est aggravé avec des événements malheureux au plan de la sécurité, couronnés par les affrontements entre les militaires et les policiers.

Ras-le-bol, pourrissement, impunité

Je crois que ce ras-le-bol traduit le pourrissement de l’Etat qui a pris racine dans l’impunité, fondement de la 4e république. Le gouvernement Yonli III n’a pas pu convaincre véritablement les Burkinabè même s’il faut inscrire à son actif la tenue du scrutin municipal. Mais, cette élection reste aujourd’hui une équation posée parce que la décentralisation intégrale doit concerner tous les Burkinabè. Il faudrait aussi donner les moyens aux différentes communes pour pouvoir exercer pleinement leur souveraineté à la base. Je crois qu’on a aussi annoncé à grands renforts de publicité des bitumages de voies. Dans la réalité, ces promesses devaient servir à mobiliser l’électorat. On a donc un Premier ministre qui n’a nullement les moyens de ses ambitions.

Propos receuillis par D. Parfait SILGA et Lassina SANOU

Le Pays

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