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Opposition burkinabè : Une force de propositions en manque de visibilité !

Publié le mercredi 22 novembre 2006 à 07h51min

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Contrairement aux multiples voix qui jugent l’opposition burkinabè seulement électoraliste, l’auteur des lignes qui suivent la trouve plutôt une force de propositions trop souvent oubliée par les médias.

S’appuyant sur des propositions de lois faites par l’honorable député Laurent Bado du PAREN restées sans effet, il estime que l’opposition burkinabè ne bénéficie pas d’un cadre amplificateur de ses initiatives. Un clin d’œil à la télévision nationale qui pourrait organiser des débats contradictoires sur des sujets d’actualité.

Comme tous les dimanches, j’ai pris l’habitude de suivre, après l’émission de la TNB « Ma Famille », le « Débat » de Canal 3 animé par le journaliste Rémi Djandjinou et ses invités.

Et pour ce dimanche 19 novembre 2005, étaient invités Faustin Consimbo, Ousmane Nacro, Yacouba Ouédraogo et Cherif Sy. Au menu du débat, plusieurs thèmes notamment les partis sankaristes, le congrès du CDP, et puis de façon indirecte il a été abordé des questions ayant trait à l’opposition. Et c’est cette partie du débat qui justifie ma réaction. En effet, il est ressorti du débat que l’opposition burkinabè serait électoraliste. En d’autres termes, l’opposition ne donne de la voix que pendant les élections pour glaner quelques postes.

Une fois passée la période électorale, on ne l’entend plus sur les questions fondamentales de société. En outre, je me propose de me prononcer sur l’opportunité d’une révision du code électoral à moins de 6 mois du déroulement des prochaines élections législatives.

II reste entendu que je n’ai pas pour ambition ici de défendre l’opposition qui, j’espère, se fera le devoir de s’expliquer sur toutes ces critiques, mais je ne puis, en tant qu’acteur politique militant dans un parti de l’opposition, me taire sur certaines affirmations même si ma qualité de membre de la CENI devrait m’obliger à une certaine réserve.

C’est pourquoi, je me permettrai dans un premier temps de relativiser l’affirmation selon laquelle, l’opposition burkinabé est électoraliste (I), et dans une seconde partie je démontrerai en quoi la révision du code électoral n’est pas inopportune (II).

I. L’opposition burkinabé, une opposition électoraliste

II me semble qu’il est excessif de soutenir la thèse selon laquelle, l’opposition burkinabé n’est qu’électoraliste. C’est connu, de nombreux travaux de politologues révèlent qu’une des faiblesses des partis politiques africains nés du nouveau constitutionnalisme réside dans le fait que très peu parmi eux disposent d’un véritable projet de société et d’un programme de gouvernement à même d’offrir une alternative au peuple. Si cela est vrai, il n’est pas surprenant que ces partis se prononcent très peu sur les questions majeures. D’ailleurs, l’animateur vedette du « Débat » m’a confié après une émission à laquelle j’étais invité pendant la campagne présidentielle qu’il était surpris de la mauvaise qualité des projets et programmes des partis politiques qu’il avait en sa possession.

Dans le même ordre d’idées, il est ressorti d’une étude réalisée par le CGD, il y a quelques années, que sur 5 des principaux partis politiques représentés à l’Assemblée nationale aucun de ces partis ne disposaient d’un projet au sens politiste et constitutionnel du terme. Le débat politique, comme l’ont si bien mentionné certains invités, ne peut dans un tel contexte qu’être un débat autour des individus et non des idées. Or depuis l’antiquité grecque jusqu’à nos jours, la démocratie est le système politique qui se nourrit des débats d’idées. Enlever les débats contradictoires à la démocratie, c’est la transformer en une démocrature, et de façon insidieuse c’est ce que l’on voit dans la plupart des pays africains.

Peut-on pour autant soutenir que les partis de l’opposition burkinabè sont tous des partis électoralistes ?

A cette question, je réponds sans hésitation par la négative. Il me semble que l’on trouve dans l’opposition burkinabè des partis politiques et des hommes politiques qui sont des forces de propositions, et dont malheureusement la voix n’est pas suffisamment relayée par les médias.

De la même façon, je constate que de nombreux leaders politiques prennent des positions et mieux, font des propositions sur les questions majeures de la société, mais il reste dommage que l’actualité ne s’arrête pas sur ces propositions. Quelques exemples pour illustrer ce que j’affirme.

En ma qualité de militant du PAREN, je sais avec certitude que le député Laurent Bado a fait de nombreuses propositions de lois à l’Assemblée nationale qui ne sont jamais arrivées en plénière. Je me permets de citer quelques unes : la loi sur le délit d’apparence (le fait pour un agent public de l’Etat de vivre largement au-dessus des revenus légaux) ;

le renforcement de la loi sur la fréquentation des débits de boissons par les mineurs (dans le doute sur l’âge de la personne, exiger une carte d’identité) ;
- la loi sur le nomadisme politique ;
- la loi sur le renforcement du crédit de l’Etat ;
- la loi sur l’assurance créance salaire ;
- la loi sur l’homosexualité et la pédophilie ; etc...

Je sais aussi avec certitude que le député a évoqué toutes ces propositions dans les nombreuses conférences de presse organisées par son parti. Et ces propositions sont généralement traitées en 2 ou 3 phrases dans les colonnes des journaux qui ont couvert ces différentes conférences de presse. En revanche, je n’ai vu aucun médium s’intéresser de façon particulière à travers des articles de fond à ces propositions de lois pour juger d’une part de leur pertinence, et d’autre part chercher à comprendre pourquoi elles n’ont jamais fait l’objet de débat en plénière. Or une des principales fonctions d’un élu, c’est de faire des propositions de lois.

Peut-on encore dire que l’opposition se tait ! On peut me rétorquer de faire l’apologie du travail parlementaire effectué par l’ancien président de mon parti. Aussi, afin d’éviter une simplification de mon propos, je citerai des exemples de faits d’autres hommes politiques dont je ne partage pas toujours la démarche politique. Je citerai pêle-mêle pour n’évoquer que les plus récents :

- l’interview de Hermann Yaméogo in l’Observateur Paalga du 9 novembre 2006 ;

- l’article « il faut sauver l’opposition du naufrage » qui lui vaut un procès en diffamation, du truculent Christian Koné qui m’a plus d’une fois égratigné dans ses écrits, paru dans Le Pays du 24 octobre 2006, où l’homme politique a fait une peinture sombre de la situation politique, économique et sociale du Burkina Faso ;
l’interview « Je suis déçu de nos forces morales, nos cadres et intellectuels » du député Etienne Traoré, parue dans Sidwaya du jeudi 9 novembre.

Comme on le voit, l’opposition se fait entendre. Mais elle ne bénéficie pas d’un cadre amplificateur de ses propositions. Si ce n’est dans ce pays, pour les rares pays africains (Bénin, Ghana, Mali...) que je connais, sur les questions majeures, la télévision nationale est obligée d’organiser des débats contradictoires pour entendre les voix des différents acteurs politiques. Il ne s’agit pas de ces comptes rendus d’à peine 5 minutes des votes faits au sein de l’hémicycle. Pourquoi la TNB n’organiserait-elle pas un débat contradictoire sur la pertinence d’une révision du code électoral ? Pourquoi on n’en ferait pas autant pour l’introduction des OGM dans nos pratiques culturales ?

Sur l’épineuse question de l’énergie, il aurait été intéressant d’entendre la voix de ceux qui prétendent gouverner ce pays autrement ! Autant de questions qui auraient permis à l’opposition de se rendre plus visible. Il me semble que la chaîne du plaisir partagé serait ainsi d’une plus grande utilité à cette démocratie en construction. Se refuser à procéder de la sorte, c’est violer d’une part le droit à l’information du peuple, et d’autre part le droit reconnu aux partis politiques d’animer la vie politique, tous deux consacrés par la Constitution burkinabé.

C’est pourquoi je suis moralement et intellectuellement tenu de féliciter Canal 3 qui, en dépit de ses modestes moyens, essaie d’ouvrir son espace au pluralisme des opinions. Pour aborder le second point de mon propos sur la révision du code électoral, je pense que Canal 3 aurait dû donner la parole aux hommes politiques sur la question, plutôt que de laisser les organisations de la société civile en débattre comme ce fut le cas ce dimanche 19 novembre.

II. Sur l’opportunité de la révision du code électoral

On a lu dans les colonnes des journaux que trois groupes parlementaires (Justice et Démocratie, ADF/RDA, PDP/PS et apparentés) ont déposé une proposition de révision de la loi électorale. Et sur le principe de cette révision, le premier vice-président du CDP aurait soutenu qu’elle était inopportune au regard du temps qui nous sépare de l’élection législative. Au « Débat » du 19 novembre, certains commentateurs ont tôt fait d’aller à peu près dans le même sens.

A ce propos, je voudrais juste rappeler que l’idée de réviser le code électoral actuel ne vient pas de l’opposition. De façon récurrente, le Conseil constitutionnel l’a proposée dans toutes ces décisions de proclamation définitive des résultats (présidentielle 2005 et municipales 2006).

Dans un Etat de droit même en construction, lorsque cette importante institution fait de telles recommandations, le législateur et tous les autres pouvoirs publics doivent œuvrer dans le même sens. Une des fonctions essentielles de cette institution consiste à l’occasion de ces décisions à indiquer la voie des réformes législatives nécessaires à l’approfondissement de la démocratie.

Au delà des réformes politiques, l’actuel code recèle de nombreuses insuffisances. Et c’est là que la stratégie de communication de l’opposition me paraît curieuse. Elle fait une proposition de révision de loi sans prendre le temps de faire un commentaire détaillé des points qui lui paraissent justifier des amendements pour assurer un processus électoral crédible au Burkina Faso. Comme l’a dit un homme politique, il faut préparer l’opinion à aller dans le sens des réformes qu’on propose. Il eût fallu par exemple mené une action concertée entre les partis de l’opposition, les organisations de la société civile et les médias pour donner plus de chances de succès à cette loi.

Si pour certaines questions on peut reporter le débat, sur la révision, il me semble que des points essentiels doivent être traités avant le scrutin législatif de 2007. Sinon comme disent certains opposants, c’est aller au suicide que d’aller aux élections prochaines avec l’actuel code non révisé. Du reste, ce n’est pas la première fois que le code électoral fera l’objet d’une révision à une période relativement proche de l’organisation d’un scrutin électoral. On se rappelle que la même loi a été révisée de façon inopportune, mais pire, en violation flagrante du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs alors que devraient se tenir les élections municipales passées.

Cette dernière révision a consacré la pratique dangereuse des lois de validation dans notre pays en mettant en échec l’exécution d’une décision du Conseil constitutionnel qui invalidait un arrêté du président de la CENI portant mise en place des démembrements de cette institution. Prendre prétexte du temps pour réfuter la révision du code électoral actuellement, est un argument qui ne saurait convaincre personne. En revanche, affirmer que la majorité n’a aucun intérêt à une telle révision me paraît plus convaincant, ce d’autant plus que l’opposition ne dispose pas d’une majorité lui permettant de faire accepter sa proposition.

Or, il me semble que les points suivants peuvent déjà faire l’objet d’amendements :
- la prise en charge des délégués des partis politiques dans les bureaux de vote ;
- la redéfinition de la circonscription électorale et du nombre d’élus par circonscription (en dépit des démonstrations du député Sawadogo Mahama qui, très certainement d’un point de vue des mathématiques, doit avoir raison dans sa conception de la représentation proportionnelle, mais ne peut être suivi si l’on se situe sur le terrain du droit et de la science politique.

Le juriste que je suis soutient qu’il ne peut y avoir de scrutin proportionnel avec une circonscription à un élu pour la bonne raison que la représentation proportionnelle reçoit en droit et en science politique une définition téléologique, c’est-à-dire qu’elle se conçoit en référence aux finalités attendues de son application.

Elle se définit par rapport aux effets qu’on lui attache à savoir que la minorité puisse être représentée. Le Pr Georges Burdeau ne dit pas autre chose quand il affirme dans son ouvrage de droit constitutionnel que la représentation proportionnelle suppose « le scrutin de liste dans des circonscriptions ayant à pourvoir plusieurs sièges ». (Cf. Georges Burdeau et al. Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 25e édition, 1997, p. 163.) ;

- faut-il oui ou non maintenir l’utilisation des gadgets comme moyen de propagande eu égard au déséquilibre des moyens entre partis politiques ?
l’obligation de procéder à une révision des listes électorales avant l’organisation d’une élection générale ;

- l’institution de la carte d’identité infalsifiable comme acte servant à l’inscription sur les listes électorales et devant à la fois servir de carte d’électeur (si les financements sont acquis, une action concertée ONI, CENI et MATD permet de résoudre ce problème à travers des audiences foraines avant les législatives de 2007).

En revanche, le vote des Burkinabè de l’étranger et bien d’autres questions peuvent être reportées à une autre période. La démocratie ne peut se construire durablement, s’il n’existe des rapports de civilité entre les trois acteurs que sont : la majorité, l’opposition et les médias ; et s’il n’existe un minimum d’objectivation du débat politique.

Abdoul Karim Sango,
Juriste

L’Observateur

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