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Noma : Quand deux ONG se traînent en justice à Ouahigouya

Publié le jeudi 5 octobre 2006 à 08h05min

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Ariane Vuagnuaux de FHE

Un partenariat qui se termine en queue de poisson. C’est l’histoire de deux structures oeuvrant dans le domaine socio-sanitaire à Ouahigouya. L’association Persis Burkina et la Fondation Hymne aux Enfants (FHE), une ONG suisse.

La première représentait la seconde au Burkina et leur collaboration a donné naissance à un centre d’accueil pour les enfants atteints du noma ou d’autres pathologies de la face. Mais après neuf ans de travail en équipe, les deux entités se sont tourné le dos en 2004. Et depuis, le partage du patrimoine du couple pose problème.

Qu’est-ce qui a bien pu séparer les deux partenaires ? Ce qui est sûr, c’est qu’une fois le divorce consommé, l’association Persis Burkina réclame son terrain sur lequel est implanté le centre tandis que la FHE, elle aussi, tient aux bâtiments qu’elle a aidé à construire. Débute alors une saga judiciaire. En juillet 2005, le président du tribunal de grande instance de Ouahigouya ordonne, en référé, l’expulsion de la Fondation Hymne aux Enfants, avec armes et bagages. Celle-ci interjette appel. Novembre 2005, la Cour d’appel de Ouagadougou renvoie les deux parties à se pourvoir ailleurs. Retour du dossier au tribunal de grande instance de Ouahigouya (fin décembre 2005) pour un jugement au fond. Après des échanges de conclusions entre avocats et plusieurs reports d’audiences, le dossier a été appelé à la barre le lundi 17 juillet 2006 et aussitôt mis en délibéré pour le 14 août 2006.

Les avocats absents à l’audience

A l’audience du 14 août, aucun avocat constitué dans le dossier ne se présente en salle. Ni Me Yacoba Ouattara, conseil de l’association Persis, ni Me Yonli du cabinet Kéré, avocat

de l’autre partie n’était présent. Mais le verdict tombe. Le tribunal, statuant en premier ressort et en matière civile, a déclaré la demande de l’association Persis Burkina-Lueur de Vie fondée dans la forme. Et au fond, la juridiction a déclaré cette association "titulaire du droit de jouissance sur le terrain" objet de litige entre elle et la FHE. D’une superficie de 11072 m2, ce terrain, qui se situe au secteur n°10, a été octroyé à l’association Persis par la mairie de Ouahigouya le 10 décembre 2002 aux fins d’abriter des infrastructures sociosanitaires entrant dans le domaine de la lutte contre le noma.

Le tribunal a également reçu la Fondation Hymne aux Enfants en son action, mais l’a déboutée au motif que sa demande est "mal fondée." A l’ audience du 14 août, la FHE avait formulé une demande additive de remboursement de 90 millions de francs CFA pour les dépenses réalisées et plus trois millions de francs CFA au titre des charges engagées dans cette procédure judiciaire. Par conséquent, le juge a ordonné "la destruction de toutes les constructions ou les investissements réalisés sur le terrain sus-désigné, appartenant à l’association Persis Burkina" et, en outre, "l’expulsion de la Fondation Hymne aux Enfants ainsi que celle de tous ses biens et, celle de tout occupant de son chef de ce même terrain." Condamnée aux dépens, la Fondation Hymne aux Enfants a été aussi astreinte à payer à l’association Persis Burkina la somme de 500 mille francs CFA et ce, non compris les dépens. Cependant, le tribunal a jugé qu’il n’y avait pas lieu "d’ordonner l’exécution provisoire" de la décision. En la matière, les délais de recours sont de deux mois.

Si ce verdict donne satisfaction à la partie demanderesse, qui attend "maintenant que justice lui soit rendue par l’exécution du jugement", la défense, quant à elle, le trouve "très dur et décevant". Déterminée à aller jusqu’au bout, elle a fait appel.

Par Diouldé Sadou DIALLO


La parole aux protogonistes

Nous avons rencontré, à l’issue du jugement, les deux protagonistes, Mmes Ariane Vuagnuaux, représentante résidente du FHE au Burkina, et Aïssata Zala, secrétaire exécutive de l’association Persis Burkina. Voici leur réaction.


Madame Ariane Vuagnuaux

"Le Pays" : Comment vous êtes-vous sentie en apprenant le verdict de votre procès ?

Ariane Vuagnuaux : Quand nous avons entendu le délibéré qui nous donne tort et nous condamne à l’expulsion et à la destruction des bâtiments, nous avons trouvé que c’était un délibéré très dur. Et nous avons été très déçus que nos arguments juridiques n’aient pas été entendus. Donc nous avons l’impression, pour la deuxième fois, de n’être pas entendus par la justice de Ouahigouya. Pour nous, c’était une très grande déception. Nous avons été très déçus aussi parce que nous pensons que ce jugement n’est pas du tout social et qu’il était possible pour le tribunal de statuer avec des motifs d’opportunité et de rendre un autre jugement. Je crois que nous avons un gros problème avec la justice à Ouahigouya.

Maintenant, qu’allez-vous faire ?

Nous relevons appel. Pour nous, nous ne pouvons pas nous contenter de cette décision. Nous voulons continuer à faire valoir nos droits dont celui de rester ici, sur ce terrain, dans notre centre, pour poursuivre notre engagement auprès des enfants démunis et malades.

Ce que nous reprochons à ce jugement c’est de ne pas nous reconnaître le droit d’être sur ce terrain. Un terrain affecté à l’association Persis Burkina comme étant la représentante de notre ONG. Mais ce terrain a été affecté à l’association Persis pour la construction d’un centre noma. Et depuis 1999, au Burkina, tout le monde connaît que c’est la Fondation Hymne aux Enfants qui a construit un centre noma. L’association Persis n’a jamais eu de projet de construction d’un centre noma. Ce centre nous l’avons construit aux yeux de tout le monde. Et l’association Persis, par sa secrétaire exécutive madame Zala, a bénéficié de ce centre. Elle était directrice du Centre.

A l’inauguration, Dr Zala et Mme Zala ont fait une allocution. Donc nous ne comprenons pas qu’on puisse dire que nous étions de mauvaise foi en construisant sur le terrain de quelqu’un d’autre. La seule erreur qui a été commise dans tout ce parcours, c’est que le terrain a été affecté à l’association Persis. Nous avons payé les taxes du terrain, nous avons financé l’intégralité du Centre de la construction jusqu’à l’aménagement. Nous finançons l’intégralité du fonctionnement du Centre. Donc, nous ne voyons pas comment on peut nous chasser de ce Centre.

Concrètement, qu’allez- vous demander à la Cour d’appel ?

Qu’on nous donne le droit d’y rester. C’est notre conclusion principale et comme devant le tribunal de Ouahigouya, nos conclusions subsidiaires, c’est-à-dire que si on nous demande de quitter, alors, qu’au moins on nous rembourse le montant de nos investissements. Mais qu’on ne nous condamne pas à cette peine dégradante pas uniquement pour nous mais aussi pour les malades, pour tous les Burkinabè. Dans un pays pauvre comme le Burkina, ce serait un véritable scandale.

Et si la Cour d’appel confirme le jugement de première instance...

Si on peut poursuivre encore auprès d’une autre autorité supérieure on poursuivra et on sollicitera encore l’appui des autorités publiques de notre ministère de tutelle qui est le ministère de la Santé, et on attendra de voir. Mais on en n’est pas là encore. Aujourd’hui, notre préoccupation est de continuer à travailler. On va laisser la justice faire son travail. Mais le temps qui nous est donné est un temps qu’on va utiliser pour continuer de guérir des enfants. C’est notre priorité.

Sinon ?

Nous irons jusqu’au bout. Mais de toute manière, quoiqu’il arrive, nous nous soumettrons au verdict final des autorités burkinabè. On n’est pas là pour se soustraire à la justice burkinabè. On acceptera le verdict final mais nous irons jusqu’au bout pour nous battre, pour tenter de faire entendre nos arguments. Et nous espérons que nous saurons être suffisamment convaincants pour être entendus.


Madame Aissata Zala :

"Le Pays" : Quels sont vos sentiments à l’issue du procès ?

Aissata Zala : Avant de répondre à cette question, il faut rappeler que nous ne serions pas arrivés là si toutes les démarches en vue d’un règlement à l’amiable du différend ne s’étaient pas heurtées au refus catégorique de la représentante résidente de la Fondation Hymne Aux Enfants (FHE) au Burkina. Des propositions de solutions ont été faites tant par nous, par la mairie de Ouahigouya que par l’association mère de la FHE en Suisse. Néanmoins, nous éprouvons des sentiments de satisfaction. Car le droit a été dit dans ce procès.

Comment se fait-il que votre collaboration avec la FHE se termine en queue de poisson ?

Il a existé bel et bien une collaboration entre les deux structures, qui a duré 9 ans, basée sur une convention. Pendant ces années de bonne collaboration, notre ex-partenaire a aidé à construire un centre d’accueil pour les enfants atteints du noma. En 2004, non contente d’avoir rompu de façon intempestive et unilatérale la convention, la représentante résidente de la FHE tente de nous exproprier notre terrain sur lequel est implanté le Centre noma.

Imaginez quelle pourrait être la réaction de l’Etat burkinabè si tous les bailleurs de fonds se mettaient à revendiquer les infrastructures socio- sanitaires et éducatives au motif qu’ils ont contribué à leur réalisation. Aussi, elle tente de faire croire que c’est elle qui a mandaté les responsables de l’association Persis Burkina pour chercher le terrain en son nom, ce qui n’est pas vrai. Les documents d’attribution l’attestent.

Il est bon de savoir que la même personne qui en fait un problème aujourd’hui a été en possession de ces documents bien longtemps avant que ne commencent les constructions sur le terrain. Toutefois, nous ne prenons pas cette rupture en mal. Seulement, nous disons que si le partenariat est rompu, que chacun garde son patrimoine.

Mais on comprend difficilement pourquoi faut-il démolir les bâtiments du centre...

L’idée de destruction ne plaît à personne. Quel intérêt avons-nous à détruire ces infrastructures ? Nous avons beaucoup œuvré à leur réalisation. Il s’agit d’infrastructures destinées à des enfants en détresse pour lesquels nous nous battons depuis toujours. Comment donc pouvons-nous vouloir les détruire ? Cependant, il faut le préciser, selon la décision, il appartient à la Fondation Hymne aux Enfants de démolir les infrastructures réalisées si elle le veut, et à ses frais, ou de les laisser.

Propos recueillis par Diouldé Sadou DIALLO

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 5 octobre 2006 à 13:56, par sy julien En réponse à : > Noma : Quand deux ONG se traînent en justice à Ouahigouya

    Il est vrai qu’à un moment de la vie entre individus ou organisations sociales, on ne peut s’empêcher de vivre des situations de frottements désagréables. Ce que je voudrais dire sur la dégradation de ce partenariat c’est qu’il est déplorable qu’on en arrive à cette solution qui, à tout point de vue, n’honore personne. Je souhaite que l’intérêt général, celui des malades du Burkina soit préservé : aucun problème sur cette terre n’est insoluble !

    • Le 5 octobre 2006 à 18:52, par Kiparé En réponse à : > Noma : Quand deux ONG se traînent en justice à Ouahigouya

      bONJOUR,
      Ecoutez ! Il y a la loi, et l’esprit de la loi ! Quel est ce juge stupide qui a ordonné la destruction des investissements : je sais qu’il se felicite d’avoir abouti à un jugement de Salomon et s’en tire donc à bon compte.
      C’est scandaleux tout ca : si c’est pour le bien des enfants, on est tous conscients qu’il faut remettre ce terrain à l’association suisse ! Elle sera plus efficace en tout point de vues, et cela n’aura pas un impact negatif sur le financement des autres assoxiations du pays. Mme Zala compare le terrain à ceux du gouvernement : un peu de tenue, ce n’est pas la meme chose. Rendez leur ce terrain, et vous verrez que si ce n’est pas un bordel, c’est un bar qui va y etre errigé.
      Si la mairie veut vraiment s’impliquer, je pense à mon niveau qu’elle doit proposer un autre terrain au couple Zala.....pour y construire leur centre...j’espere !
      Allez, bonne chance aux enfants malades ! Voici des gens encore qui oeuvraient dans une ONG pour manger aux depens des pauvres.

      • Le 2 novembre 2006 à 16:34, par Présidente d’une ong oeuvrant sur le Togo. En réponse à : > Noma : Quand deux ONG se traînent en justice à Ouahigouya :

        Je ne peux m’empêcher de réagir à cet article, je trouve cette situation déplorable....Résultat, qui en seront les victimes ?...les enfants comme d’habitude.Si les bâtiments sont détruits qui reconstruira ce centre pour les enfants malades du noma ?....Je pense que les villageois de Ouahigouya connaissent la réponse !!!!

      • Le 31 août 2009 à 15:13, par Lamoussa Silga En réponse à : > Noma : Quand deux ONG se traînent en justice à Ouahigouya

        Que Mr Kiparé prenne des nouvelles sur l’issue du dossier de justice concernant le Centre Noma de Ouahigouya. Je suis sûr et certain qu’il en sait déjà quelque chose. Maintenant que les Zala ont récupéré le centre Ouahigouya attend de voir le bordel que Kiparé nous promettait de leur part. Tu tout simplement joué le mauvais rôle. L’histoire ne t’as pas été favorable
        Lamoussa Silga

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