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Cynisme en politique : Yahya Jammeh franchit le Rubicon

Publié le jeudi 21 septembre 2006 à 08h16min

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La campagne pour l’élection présidentielle de demain en Gambie a été une occasion pour le chef de l’Etat sortant, Yahya Jammeh, de franchir une étape dans son extravagance. Après avoir muselé la presse et tenté de décapiter l’opposition, l’homme de juillet 1994 (date de sa prise de pouvoir par un coup d’Etat) veut à présent priver les Gambiens de leur liberté de vote.

Au cours d’un meeting électoral, le président Jammeh n’est pas passé par quatre chemins pour mettre les populations d’une localité présumée favorable à son opposition devant un dilemme. Il leur a en effet tenu à peu près ce langage : " Vous avez le choix. Soit vous votez pour moi et je m’engage à tout mettre en oeuvre pour le développement de votre région. Soit vous optez pour mes adversaires, et dans ce cas, n’attendez rien du tout de moi". Le message de l’homme fort de Banjul est on ne peut plus clair. Ces populations n’ont d’autre choix que de porter leur choix sur lui.

Certes, certains y trouveront un certain mérite, notamment le franc-parler du présidentiable. Mais des vérités de ce genre ne se disent pas en politique parce qu’insultantes et irrespectueuses vis-à-vis des citoyens. Comme tel, cela devrait se sanctionner à la hauteur de sa gravité. Et le Premier ministre hongrois Ferenc Gyurcsany en sait quelque chose, lui qui fait face en ce moment à des mouvements sociaux réclamant sa démission pour avoir insulté l’intelligence de ses concitoyens.

Ailleurs, les électeurs n’hésiteraient pas à faire payer cash au fougueux et jeune chef d’Etat gambien ses frasques langagières, car cela aurait suscité en eux une révolte générale qui se manifesterait dans les urnes par une vote sanction.

Mais bien plus qu’un écart de langage, c’est à un chantage cynique que s’est, en effet, livré le candidat de l’Alliance patriotique pour la construction et la réorientation (APCR), le parti au pouvoir. En effet, si cette sortie malheureuse du président Jammeh exprime une vision partagée par de nombreux leaders politiques africains, mais jamais officiellement révélée, elle vient confirmer les allures tyranniques et autocratiques de son régime.

En quelques années de règne, Yahya Jammeh a dilapidé les acquis politiques de son pays. En effet, avant la prise du pouvoir par l’Armée en1994, la Gambie, de l’indépendance en 1965 au coup d’Etat de juillet 1994, était l’une des plus anciennes démocraties du continent avec des élections libres organisées tous les cinq ans.

Aujourd’hui, l’attitude de M. Jammeh traduit quelque part sa volonté, sinon sa détermination à se faire élire avec des scores à la soviétique. Pire, cela constitue un appel à la fraude, parce que de nombreux barons du régime vont se donner tous les moyens, fussent-ils illégaux, pour avoir de bons résultats dans leur région, histoire de taper dans l’oeil du Timonier.

A quoi sert-il dans ce contexte d’organiser, à coût de millions, voire de milliards, des scrutins où les jeux sont à l’avance faits, et où le citoyen n’a pas la possibilité d’influer véritablement sur le cours des événements ? Cela n’a visiblement pas de sens, même si c’est pour se donner bonne conscience face aux bailleurs de fonds.

Avec de tels comportements dignes de l’ère Idi Amin Dada, au début des années 70 en Ouganda, l’afropessimisme a encore de beaux jours devant lui. Cela d’autant qu’il s’agit d’un chef d’Etat africain de la nouvelle génération censée incarner une certaine rupture avec le passé et corriger les erreurs des pères des indépendances. Ironie du sort, c’est le même Yahya Jammeh qui a reçu, en grande pompe, en juillet dernier à Banjul ses pairs lors du dernier sommet de l’Union africaine.

L’attitude déplacée du président gambien pourrait signifier que la bonne gouvernance politique, de laquelle découle la bonne gouvernance économique, reste encore une denrée rare sur le continent. On avait pensé que ce petit pays, enclavé dans le Sénégal, allait profiter d’une heureuse contagion démocratique de ce pays. Or, malgré leur proximité avec le Sénégal qui jouit d’une relative bonne réputation, les autorités gambiennes, à en juger par cette sortie du président Jammeh, n’ont que faire du respect des principes et valeurs démocratiques.

Fait étonnant, c’est que la Gambie fait partie des pays anglophones habitués à donner de bonnes leçons de démocratie aux Etats francophones d’Afrique. A ce titre, la Gambie de Yahya Jammeh constitue un cas à part. Mais toujours est-il que ce n’est pas dans un tel contexte que le rêve du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, de voir le miracle asiatique se produire partout ailleurs, notamment en Afrique, pourra se réaliser. Il faut encore un sursaut patriotique de la part des dirigeants politiques du continent.

Le Pays

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