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Esclavage en Mauritanie : Eviter d’autres drames

Publié le mercredi 7 juin 2006 à 08h21min

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Dans un pays où l’esclavage reste encore un sujet tabou, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, chef de la junte au pouvoir en Mauritanie, a mis les godasses dans les plats en faisant part de sa détermination à éradiquer définitivement le phénomène, pourtant interdit depuis 1981.

La sortie de celui qui se positionne désormais comme "premier adhérent à toutes les institutions abolitionnistes" marque une rupture nette avec la langue de bois longtemps pratiquée. D’autant que son prédécesseur, Maaoya Ould Taya, n’avait aucunement parlé de l’esclavage en termes de problème persistant. Sans doute se refusait-il à regarder cette gangrène sociale avec les yeux de la raison.

Le vent du changement sur Nouakchott qui a accompagné la destitution de Taya marquera-t-il dans le même temps un changement des mentalités ? Les Mauritaniens se bousculeront-ils à l’appel de leur nouveau dirigeant ?

Rien n’est moins sûr. Et pour cause : l’esclavage a longtemps profité à des classes qui, on le craint, n’accepteront pas facilement de se départir des privilèges dus à leur rang. Dans une société si conservatrice dans laquelle posséder un esclave est un motif de fierté, croire qu’on arrivera, sans coup férir, à vaincre une pratique longtemps tue, peut relever de la myopie.

Autant demander une totale remise en cause de tout un système. Et puis, comment en vouloir à un monstre quand ses proies elles-mêmes acceptent de s’offrir en béliers du sacrifice ? L’esclave qui, par peur de représailles, tremble à l’idée de porter plainte, est, on en convient, moins condamnable que celui qui considère que son état d’asservissement s’inscrit dans l’ordre normal des choses. Assurément, la victoire sur les rapports de suzerain à vassal, c’est d’abord et avant tout un combat permanent contre les mentalités assoupies.

Mais pour donner un véritable coup de poing à la face des survivances, encore faut-il que les autorités mauritaniennes se sentent réellement agressées par l’impertinent. Mais comment croire en leur réelle détermination à descendre dans l’arène quand l’Etat, hier comme aujourd’hui, fait manifestement preuve de mauvaise foi, et que presque rien, visiblement, n’est fait pour le ramener à l’ordre ?

Bien souvent, l’existence même des pratiques esclavagistes à l’intérieur des frontières mauritaniennes a été déniée. Constamment, les autorités mauritaniennes sont critiquées par des associations anti-esclavagistes qui dénoncent leur passivité, pour ne pas dire leur complicité, face à des pratiques anachroniques. Même si ces associations en font parfois un peu trop, ternissant ainsi l’image de la Mauritanie, à en croire le colonel Vall.

Autre aspect : bien qu’ayant ratifié toutes les conventions contre la traite des personnes, la Mauritanie ne semble pas s’être encore inscrite dans une logique d’application des textes en vigueur. Ce qui avait amené certains à affirmer que les lois n’ont pas été suivies de décrets d’application, et qu’aucune disposition pénale ne réprime expressément l’esclavage en Mauritanie. Conséquences : des lois trop souvent perçues comme "totalement déconnectées des réalités mauritaniennes".

Lorsque des cas d’asservissemment sont rapportés par des mouvements anti-esclavagistes et relayés par les médias, ils sont taxés "d’histoires montées de toutes pièces". On aurait même vu derrière la publication de certains cas, la main invisible de l’extérieur pour "nuire aux intérêts du pays" et "jeter le discrédit sur la Mauritanie". Autre fait qui s’apparente à une muraille dressée sur le chemin de la victoire sur ce cancer social : de nombreuses ONG mauritaniennes n’auraient toujours pas eu de reconnaissance légale dans leur pays.

Tous autant qu’ils sont, les Mauritaniens devraient se montrer disposés à accompagner le nouveau président dans la noble et difficile mission qu’il s’est assignée. D’autant plus qu’il n’a aucune ambition - selon lui - de solliciter le pouvoir, qu’il jouit d’un remarquable crédit sur le plan extérieur, et que la communauté internationale s’est montrée disposée à l’accompagner dans sa tâche. La Commission de Bruxelles n’a-t-elle pas fait part de sa volonté de reprendre sa coopération avec ce pays, après que le colonel Vall a envoyé des signaux forts ? Il a notamment manifesté sa ferme volonté de ne pas se présenter à l’élection présidentielle l’an prochain.

Toutes les énergies devraient dans ce cas converger vers un objectif commun : faire bloc autour des nobles ambitions du président. Pour ce qui est de la lutte contre l’esclavage, cela passe notamment par une vaste campagne d’information et de sensibilisation de l’opinion publique sur les méfaits de la pratique. Par la poursuite systématique, devant les tribunaux, de tous les auteurs de ces pratiques.

Par une représentation effective des diverses composantes de la population mauritanienne dans les institutions, et par une reconnaissance des mêmes droits à tous, y compris les Négro Mauritaniens, afin que tous accèdent aux mêmes fonctions. Mais aussi par des mesures concrètes en vue de favoriser le retour des réfugiés mauritaniens noirs vivant au Mali et au Sénégal, et leur réintégration pleine et entière dans la société mauritanienne. La Constitution mauritanienne de 1991 ne proclame-t-elle pas l’égalité de tous ?

Aussi la célébration du dix-septième anniversaire de la déportation des Négro Mauritaniens au Mali et au Sénégal doit-elle être l’occasion d’emboucher les trompettes de la paix et de la réconciliation avec les frères bannis. On n’avancerait en rien en niant le fait historique des déportations de Négro Mauritaniens.

Et si le souhait des associations de déportés, c’est celui de ne pas sombrer dans l’oubli, pourquoi ne pas accéder à leur requête ? Cela éviterait d’autres drames aux conséquences douloureuses, même si elles ne sont pas à comparer avec celles d’autres formes d’esclavage comme la traite négrière.

Le Pays

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