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Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

Publié le mercredi 20 mars 2024 à 13h22min

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Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

La révolution d’août 1983 a été un profond bouleversement sur tous les plans. La justice a subi dans cette période des changements profonds tant dans sa forme et que dans son contenu, un changement conformément aux idéaux révolutionnaires portés par ses ténors.

Les Tribunaux populaires de la révolution, en abrégé TPR, étaient un système de tribunaux grâce auquel le peuple révolutionnaire du Burkina Faso pouvait participer et surveiller les procès des crimes économiques des régimes passés, les procès de la gestion des responsables politiques et des hauts fonctionnaires de l’État. Les TPR ont été une expérience majeure dans l’histoire politique du Burkina Faso que l’on ne peut oublier.

Contexte et naissance des TPR

Le Tribunal populaire de la révolution fut la toute première juridiction populaire créée par le CNR. Il a été créé par l’ordonnance N°83- 18/CNR/PRES du 19 octobre 1983. Selon l’article 2 de ladite ordonnance, le TPR avait pour compétence le jugement des crimes et délits politiques contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, des cas de détournements de deniers publics dont il jugeait utile de se saisir et, de façon globale, de tous les crimes et délits commis par des fonctionnaires, agents et préposés de l’Etat dans l’exercice de leurs fonctions.

Comme nous l’avons noté en haut, l’institution de cette forme de juridiction s’inscrit en droite ligne avec l’idéal révolutionnaire qui entendait donner aux masses populaires une justice simple, accessible et sincère. A ce propos, Benoît Lompo, président de la haute cour de justice de Ouagadougou en 1984 affirme : « Dans la conception révolutionnaire de la justice, il y a cette conviction que la perfection de l’ordre judiciaire est que la justice se trouve à la portée de chaque citoyen. Pour atteindre cet objectif, c’est-à-dire l’accès à la justice, il faut associer les citoyens à la résolution des litiges dans une procédure judiciaire simplifiée ».

Il faut dire que la justice, telle qu’elle se pratiquait avant l’avènement de la révolution, n’a pas pu prendre la main dans le sac, les détourneurs des deniers publics. Les régimes passés ont sombré dans la gabegie, la corruption et le trafic des biens de l’État. Les révolutionnaires jugeaient qu’il était nécessaire de traduire les autorités qui ont conduit ces régimes devant le tribunal du peuple pour qu’elles répondent de leur gestion. C’est ainsi que plusieurs responsables des régimes passés, à commencer bien notamment par les présidents, vont passer sur le banc des accusés.

L’objectif des TPR

Si beaucoup craignaient à travers l’institution des TPR une chasse aux sorcières ou des juridictions qui vont fouler aux pieds les droits de l’homme, le président du CNR, à l’ouverture des procès des TPR, rassure avec le verbe et l’accent qui lui est habituel en ces termes : « On y verra à ne point en douter, un instrument de répression sinon d’inquisition politique. On criera certainement au bafouement des droits de l’homme. Mais qu’à cela ne tienne ! Notre justice populaire se distingue de la justice dans une société où les exploiteurs et les oppresseurs détiennent l’appareil d’État en ce qu’elle s’attachera à mettre à jour, à dévoiler publiquement tous les dessous politiques et sociaux des crimes perpétrés contre le peuple, à amener celui-ci à saisir leur portée afin d’en tirer les leçons de morale sociale et de politique pratique ».

Pour "le camarade président", cette forme de juridiction a une leçon hautement politique : la justice est au service du peuple. Il ne s’agit pas de rendre justice à un individu, mais à tout un peuple qui croupit dans la misère au fil des années. Il n’est pas question du droit d’un homme mais du droit de l’homme, de millions d’individus, précise-t-il dans son discours : « Nous jugeons un homme pour rétablir des millions d’hommes dans leurs droits. Nous sommes par conséquent de fervents défenseurs des droits de l’homme et non des droits d’un homme ».

L’autre élément important à souligner, est que les Tribunaux populaires de la révolution se sont donné une mission pédagogique à l’endroit du peuple. A travers les procès rendus publics et diffusés dans les radios, il s’agit pour les révolutionnaires d’éduquer le peuple, pour qu’il soit au courant des dessous de ses dirigeants et qu’il y tire une leçon révolutionnaire.

A croire Train Raymond Poda, le ministre de la justice sous le CNR, les TPR constituaient « une véritable école d’éducation politique ».

Lire aussi : Révolution sankariste : Les tribunaux populaires n’avaient pas pour vocation d’humilier ni de tuer, selon Train Raymond Poda

Le déroulé des procès des TPR

Comme nous venons de le souligner, les procès initiés par les TPR sont rendus à la place publique notamment à la Maison du peuple pour ce qui concerne l’essentiel des délibérations. Chacun pouvait, s’il le voulait, se rendre sur les lieux pour assister aux jugements des personnes accusées. A défaut, il était possible de suivre les procès en direct à la radio. Ces procès ont connu un engouement et un entrain incroyable de la part des populations car des dossiers emblématiques devraient enfin être traités.

Des hauts dignitaires des régimes passés sont appelés à la barre pour se défendre devant un tribunal dont le présidium comptait onze membres, dont sept titulaires comprenant cinq militants des Comités de défense de la révolution (CDR), un magistrat, un militaire ou un gendarme. Il n’y avait pas d’avocats qui assistaient les accusés. Chacun devrait se défendre seul. Les TPR ont pu juger de grandes personnalités des régimes passés comme Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo, Jean Baptiste Ouedraogo, Gérard Kango, Joseph Konombo, …

Les limites d’une justice révolutionnaire

La conception de la justice des révolutionnaires est issue de la doctrine marxiste qui considérait le droit de l’État comme un instrument de la bourgeoisie pour maintenir les masses populaires dans la précarité. Le discours du président du CNR lors de l’ouverture des assises confirme cet état de fait. En effet, le "camarade président", le capitaine Thomas Sankara, n’a pas manqué de fustiger le droit classique qu’il considère comme un droit bourgeois réactionnaire auquel il faut substituer le droit issu du peuple, le droit des millions d’hommes et non le droit d’un homme. En s’attaquant au droit classique basé sur des ressorts rationnels et complexes, le président instaurerait par là un autre droit très séduisant par son but mais inefficace dans sa forme et dans son organisation.

Car l’organisation de ce droit était de nature politique et empêchait un jugement équilibré et rationnel. Les CDR qui occupaient une place importante dans le tribunal délibératif pouvaient se laisser aller à leurs impressions et à leurs jugements subjectifs. Même si beaucoup de procès ont pu être rendus de manière objective -le cas de l’ancien président Sangoulé Lamizana qui a été acquitté-, il n’en demeure pas moins qu’il y a eu des abus. Compte tenu de son organisation, les TPR pouvaient être utilisés pour traquer les dissidents du régime et faire taire les voix discordantes.

Lire aussi : Général Sangoulé Lamizana : Qui était-il ?

Le président du CNR, dans une autocritique, semble avoir admis que les Tribunaux populaires de la révolution et les CDR étaient souvent utilisés pour régler des comptes privés, plutôt que de rendre une justice révolutionnaire.

Lire aussi : De la justesse de la révolution de Thomas Sankara

Quoi que l’on dise, à travers ces tribunaux d’exceptions mis en place par le régime du CNR, on a pu mesurer les enjeux qui sous-tendent le droit, et cela constitue une leçon politique majeure pour le Faso.

Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net
Sources :
- Sidwaya 1983.
- Marcel Marie Anselme Lalsaga (Université de Ouagadougou-Maîtrise 2007)
Crédit photo : archives du Burkina

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Vos commentaires

  • Le 20 mars à 13:37, par Diongwale En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    Vous ne dites pas qu’Halidou Ouédraogo, proche de la "bande des quatre", avait accepté de juger dans les TPR pour "sauver des vies", et qu’il a été rayé du barreau par ses "amis" politiques qui ne le jugaient pas suffisamment efficace et "obéissant".
    Après la révolution, la justice a repris le droit romain comme base, et le peuple a-t-il perdu de sa souveraineté pour autant ? Est-ce le "peuple" qui est coupable "des crimes et délits politiques contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, des cas de détournements de deniers publics dont (les TPR se) jugeai(en)t utile de se saisir et, de façon globale, de tous les crimes et délits commis par des fonctionnaires, agents et préposés de l’Etat dans l’exercice de leurs fonctions" ? Non, les TPR était une justice d’exception pour les crimes d’exception, les crimes d’Etat, et cette justice n’a pas empêché la corruption et le détournement des deniers publics de redevenir la norme après la mort de Sankara et le coup d’Etat de Blaise Compaoré ! Comme quoi, du point de vue de la justice, la révolution ne l’a pas "révolutionnée".

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  • Le 20 mars à 15:05, par jan jan En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    Que de souvenirs, ces fameux TPR fait pour juger les soi disant détourneurs de l’État et humilier les présidents déchus. Que du menu fretin face aux crimes politiques, économiques et sociaux que ces révolutionnaires ont généré du 4 août 83 jusqu’au départ du révolutionnaire Blaise Compaoré. Ce pays n’avait pas besoin d’un tel gâchis.

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  • Le 20 mars à 15:33, par jan jan En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    S’il y a un TPR que l’on doit "ouvrir" aujourd’hui, c’est bien celui des Révolutionnaires. Le premier volet sera le jugement des crimes physiques que ces révolutionnaires ont commis et là, la coupe est pleine. Le deuxième volet sera celui des crimes économiques que ces révolutionnaires ont commis depuis le 4 août 83 jusqu’au départ du révolutionnaire Blaise Compaoré. Le troisième volet est celui des crimes sociaux commis par ces révolutionnaires.

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  • Le 20 mars à 15:45, par trop d’injustice En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    Si on crée le TPR de nos jours les premiere personnes qu’on vas juger c’est les magistrats pourris...s’il s’agit des dossiers que sociétés minières ou des grandes entreprises les magistrats son capable de retarder les dossiers jusqu’à meme la fermeture le ladite société sans gains de cause...le cas de Taparko,Inata,POURA et meme la société minière BISSA GOLD dont les dossiers son a leurs niveau pendant des année. Mon âme souffre de ce que cette justice nous a imposer de vivre l’injustice.

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  • Le 20 mars à 16:07, par Opprimer En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    Je pense que la justice a été créé pour imposer les pauvres pour les brime... mais ce qui est sur tout le monde assumera les consequences de cette injustice que la justice nous impose. Regardez comment les sociétés de placement nous traite dans les mines ? Combien de dossier des sociétés minières son fermer dans les terroirs pendant des années ? l’Afrique noir mérite son sort car nous sommes très méchant envers le prochain. Le pays ne peut jamais trouver son équilibre avec cette injustice. On Croyait qu’avec la transition on allait avoir des nouvelles tete intègres pour donner un nouveau souffre mais malheureusement rien.

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  • Le 20 mars à 16:22, par Sacksida En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    De toute facon, les Africains ne pourraient prosperer que s’ils acceptent de se departir de la Justice Classique Neocoloniale, et pour inventer une Justice Populaire et Revolutionnaire tels que les Tribunaux Populaires de la Revolution l’on implemente pour nettoyer toute la Vermine des Enrichissements Illicites et des Fossoyeurs des Interets Fondamentaux du Peuple Burkinabe. Tout cela n’est possible que dans le cadre d’une vraie transformation Revolutionnaire et Democratique Credibles en detruisant l’Etat Neocoloniale Laxiste comme auparavant Thomas Sankara et les Revolutionnaires Burkinabe consequents ont commence. Mais cela ne s’improvise nullement car elle est une sciences de gestion publique Vertueuse et Revolutionnaire que seuls les Revolutionnaires peuvent acceder. L’opportunisme, la situationnisme, les calculateurs anti marxistes, les anti progressiste et anti Revolutionnaire consequent, qui par le biais de la Phraseologie Revolutionnaire, et pseudo Revolutionnaire trompe le Peuple, ne sont que des Populistes en realite incapables de faire mouvoir la Realite Concretement aux Profits d’une Justice Populaire contre les mauvaises habitudes et pratiques de gouvernance de la Societe. Salut

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    • Le 21 mars à 04:08, par jan jan En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

      @Sacksida, comme votre nom l’indique, acceptez la vérité. La vraie "vermine" de ce pays a été les fameux révolutionnaires du 4 août 83. Quel est le gouvernement qui le plus opprimé le Peuple ? Les révolutionnaires. Quel est le gouvernement qui a commencé à tuer le Peuple ? Les révolutionnaires. De Maurice Yameogo à Saye Zerbo en passant par Lamizana, quel gouvernement à tué le Peuple ? Aucun. Le gouvernement qui a littéralement pillé le Peuple ? Les révolutionnaires avec toutes les couleurs qu’ils ont revêtu au cours de leur long mandat, terminé par la fuite de leur dernier représentant, le sieur Blaise Compaoré.

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  • Le 20 mars à 17:25, par Ce ne pas la peine cette justice En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    Le veritable problèmes de nos jours c’est la justice. Vraiment beaucoup de cœur saigne à cause de l’injutice que la justice nous impose.

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  • Le 21 mars à 07:09, par Ce ne pas la peine cette justice En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    Le veritable problèmes de nos jours c’est la justice. Vraiment beaucoup de cœur saigne à cause de l’injutice que la justice nous impose.

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  • Le 21 mars à 11:48, par jan jan En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    La photo de garde est très représentative, on voit
    le juge Komi Sambo Antoine si je ne me trompe pas , humm.

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  • Le 21 mars à 21:56, par Passakziri En réponse à : Les TPR : Zoom sur une justice révolutionnaire

    Après avoir lu l’essentiel des discours et interviews de Sankara et pris connaissance de sa perception de la justice, je suis désolé de dire que ma surprise fut grande car cette perception de la justice du peuple ne correspondait pas à ce que je comprends par la justice. Ma conclusion à la sortie de ces lectures est que la justice sous le CNR était comprise comme instrument de mise au pas des voies dissonnantes puisque fondée sur l’intimidation à peine voilée , la dénonciation, et la loi des plus nombreux. J’ai finalement compris que cette revolution ne pouvait pas aller trés loin. Maintenant je veux comprendre la version d’autres acteurs dont le commandant JBO avec sa part de vérité.
    J’invite la jeunesse á beaucoup lire afin d’avoir une vue d’ensemble que de se contenter des brides des réseaux sociaux.

    Passakziri

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