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Débat démocratique : l’Assemblée nationale n’a pas le monopole

Publié le lundi 6 mars 2006 à 07h33min

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Lorsque dans un pays, la confusion et la monopolisation des pouvoirs et des contre-pouvoirs atteint son stade extrême et que s’instaure la pensée unique, il s’opère un phénomène de banalisation du détournement des principes de la gouvernance démocratique et même de l’idée du droit pour servir la seule hégémonie des gouvernants. On en a eu une parfaite illustration au prononcé du discours du président de l’Assemblée nationale mercredi dernier, à l’occasion de l’ouverture de la session ordinaire du Parlement.

Choisissant son public (un parterre de personnalités nationales et étrangères), son moment (une couverture médiatique exceptionnelle), Roch Marc Christian Kaboré a d’abord, à fleurets mouchetés, moqué les députés de l’opposition qui, ignorant la logique de la vie parlementaire, ont décidé de quitter l’hémicycle au moment de l’épuisement de son ordre du jour en plénière parce qu’ils contestaient un point qu’ils avaient cependant adopté au préalable à la Conférence des présidents : la validation législative des démembrements.

A ces députés qui claquant la porte, avaient laissé entendre qu’ils pourraient en référer à la rue, Roch Marc Christian Kaboré a eu ces mots de mise en garde et de remontrance : « En dehors du fait que la rue n’appartient à personne, les enjeux sont très importants, et le sort des Burkinabè des communes urbaines et rurales est une affaire sérieuse pour qu’on la confie à la rue ».

Même s’il s’agit là d’une attaque orientée contre les députés de l’opposition, et même s’il leur appartient principalement de demander au besoin réparation de l’ « offense », on relèvera au passage l’inélégance du procédé qui ressemble à un coup en-dessous de la ceinture puisque la solennité du moment autant que les usages en cours ne permettaient pas de réplique de la part des députés « outragés ».

On s’arrêtera par contre sur cette forme de mépris manifestée par rapport à l’implication de la rue à la discussion sur le processus de communalisation intégrale. Pour le président de l’Assemblée nationale en effet, le peuple ne saurait en être saisi par des manifestations de rue, indignes par nature. Et précisant sa pensée, il tranche, définitif : « le débat démocratique se mène à l’Assemblée et nulle part ailleurs ». Il y a là usurpation manifeste et inadmissible des libertés publiques et démocratiques des citoyens, et plus grave encore, de la souveraineté populaire qui ouvre à tous le droit et le devoir au contredit.

Il faut d’abord relever la contradiction qui consiste, de la part du Président de l’Assemblée, à affirmer que la rue n’appartient à personne, donc que le pouvoir peut lui-même en référer et à affirmer dans le même temps qu’il n’est de débat démocratique possible qu’au sein de l’Assemblée. Une porte doit être ouverte et fermée, et comme le précise l’autre, on ne doit pas dire une chose et son contraire.

Il importe ensuite, et plus vivement, de dénoncer les atteintes outrancières portées au droit substantiel des individus et du peuple organisé en corps électoral. La Constitution, dans son préambule qui fait partie intégrante de la loi fondamentale, et dans ses articles 1, 11, 12, 13 notamment, consacre au profit des citoyens un certain nombre de libertés publiques et démocratiques dont celui de manifester. Notre vie politique intègre ainsi naturellement des débats et activités démocratiques en dehors de l’hémicycle.

Cela se vérifie quotidiennement par l’existence de partis qui ne sont pas représentés à l’Assemblée mais qui ont le verbe démocratique haut, par les activités d’autres intervenants au débat comme les médias, les syndicats, les ONG, les mouvements de droits de l’homme.. qui ne manquent pas, pour certains d’entre eux, de jouer leur rôle de contre-pouvoirs en portant dans la rue les préoccupations des Burkinabé par rapport à la gouvernance nationale. Rien qu’à ce stade, le président R.M.C Kaboré a fait plus qu’une « boulette », il a failli.

Mais il a d’autant plus failli que la Constitution de la IVème République place le peuple organisé en corps électoral comme le premier pouvoir avant l’ Exécutif, le Législatif, le Judiciaire et que, tenant en suspicion ces derniers, il reconnaît aux citoyens le droit à la désobéissance civile et même à la résistance quand manifestement la gouvernance revêt une forme oppressive. Même dans les systèmes démocratiques où de telles libertés ne sont pas reconnues, la rue est souvent le dernier recours pour tenter de faire rectifier des lois injustes ou pour donner un écho plus populaire au débat parlementaire surtout lorsque celui-ci, comme c’est le cas chez nous, est dénaturé par une majorité mécanique qui condamne les élus de l’opposition à ne faire que de la figuration.

La France, qui est chez nous la référence en matière de débat démocratique, ne cesse de donner des exemples de manifestations qui ont contraint l’Assemblée à amender ou à revenir sur des textes, manifestations de rue auxquelles des élus participent, revêtus de leurs insignes sans qu’on y trouve des incongruités ni des prestations dégradantes pour les attributs de la République.

Il fallait relever ces propos révélateurs de l’impasse démocratique dans laquelle nous sommes parvenus à force justement d’enclore le débat dans les seuls espaces maîtrisés par le pouvoir.

Donald Tondé

San Finna

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