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Sénégal : Quand liberté d’expression et raison d’Etat se brouillent

Publié le mercredi 19 octobre 2005 à 06h40min

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Une autre brouille dans le climat déjà difficile entre le pouvoir
sénégalais et la presse ! Le 17 octobre 2005, Ousmane Ngom,
ministre sénégalais de l’Intérieur, fait cesser immédiatement la
diffusion, sur les ondes de la première radio privée, Sud FM,
d’une interview dans laquelle le chef indépendantiste et
irrédentiste casamançais, Salif Sadio, réitère son appel à une
lutte armée pour obtenir l’indépendance de la Casamance.
Cette déclaration fait l’effet d’une bombe dans les cercles du
pouvoir sénégalais.

Aussitôt, tous les relais de la radio privée
sont fermés sur l’ensemble du territoire, et une vingtaine de
journalistes est interpellée, à Dakar comme à Ziguinchor, en
Casamance, puis relâchée ensuite. Toutefois, tous les
instruments (cassettes, Cd, supports, etc.) pouvant permettre la
rediffusion de l’interview incriminée, sont jusque-là saisis.
Les propos du chef militaire du MFDC avaient de quoi faire
sortir les autorités sénégalaises de leurs gonds. Salif Sadio
déclare notamment qu’il reviendra "à la maison après avoir
chassé le Sénégal de la Casamance".

Une provocation mâtinée
de défi. On évoque une violation des dispositions
constitutionnelles et légales sur l’intégrité territoriale, l’unité
nationale et l’ordre public, notamment en ce que le chef militaire
qui combat, par les armes, le gouvernement central depuis le
début des années 1980, préconise "le recours aux armes pour
chasser l’envahisseur sénégalais".

Y a-t-il un mécanisme
légal qui condamne le relais, par Sud FM, des propos
provocateurs et enflammés du chef militaire indépendantiste ?
Ousmane Ngom a été on ne peut plus clair. Si la radio Sud FM
a été fermée, c’est conformément à la loi, "pour atteinte à la
sûreté de l’Etat".

Si manifestement, la diffusion de l’interview n’a
pas été du tout du goût de l’Exécutif sénégalais, on ne peut lui
dénier le droit, légitime, d’être attaché à l’unité nationale.
On comprend dès lors que tout appel à la sédition soit
considéré par le pouvoir comme un grain de sable dans la
mécanique du processus de paix, relancé seulement depuis
quelques années, avec l’arrivée au pouvoir du président Wade,
et une volonté de conduire le Sénégal vers des lendemains
incertains.

Si, à son accession au pouvoir en 2000, Abdoulaye
Wade a fait du règlement de la crise casamançaise l’une des
ses priorités, et entamé des négociations qui portent
manifestement des fruits aujourd’hui, quoi de plus normal que
le chantre du Sopi soit hostile à tout discours qui s’apparenterait
à une menace pour l’intégrité du territoire national.

Quoi qu’on dise, on peut reprocher au gouvernement
sénégalais de ne s’être pas mis à l’abri des critiques, pour avoir
eu la main un peu trop lourde, en ce qui concerne la radio
incriminée. Cette radio n’avait-elle pas le droit d’ouvrir ses
antennes à Salif Sadio, comme elle l’ouvrirait à tout citoyen
sénégalais ? Mettre à la disposition des Sénégalais le contenu
de l’entretien avec le chef de l’aile combattante du MFDC,
donné pour mort, n’était-il pas là aussi un devoir de journaliste
reconnu comme tel ?

En tout cas, les mesures du gouvernement sénégalais - cela
n’est pas étonnant - ont vite été interprétées par une bonne
partie des professionnels de la presse sénégalaise comme
une tentative de musellement des médias, un moyen d’ affaiblir
une presse déjà trop critique vis-à-vis du pouvoir en place.
L’Exécutif sénégalais n’ignorait sans doute pas que ce casus
belli pourrait être interprété comme un acte grave, pour un pays
cité, dans la sous-région, comme un exemple de démocratie.

Plutôt que d’utiliser des moyens jugés disproportionnés par
certains, il aurait pu agir avec plus de souplesse. Il est évident
qu’ en s’attaquant, de cette façon, à la presse, il s’attaque
automatiquement à un symbole de la démocratie. Mais après
tout, c’est toute la responsabilité du journaliste qui devait être
interpellée, quant à la diffusion ou non d’une interview à
"problèmes".

Car, il est des moments où le journaliste doit faire
preuve de discernement en mesurant les enjeux de la parution
d’un article.
Il faut dire que cette affaire intervient dans un climat déjà tendu
au Sénégal.

L’ancien Premier ministre vient d’être inculpé de
sorties illégales de correspondances. Il était poursuivi, il y a
quelques mois, pour atteinte à la sûreté de l’Etat et
détournements de fonds, ce qui a valu son incarcération.
Aujourd’hui dépeint de plus en plus par ses adversaires comme
un antidémocrate, Wade n’a visiblement pas encore fini
d’essuyer les brûlots de la presse sénégalaise, avec
notamment la dernière publication du livre du patron du
quotidien Walfadjri, Sidy Lamine Niasse. Mais après tout,
n’est-ce pas cela aussi les contraintes de la démocratie ?

Le Pays

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