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Mobile money au Burkina : Des gérants de boutiques sont la cible de cyber-escrocs

Publié le samedi 20 mai 2023 à 10h00min

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Mobile money au Burkina : Des gérants de boutiques sont la cible de cyber-escrocs

L’avènement du mobile money au Burkina Faso a permis à des jeunes d’être autonomes financièrement. Malheureusement, ils sont nombreux ces propriétaires et gérants de boutiques de mobile money à être la cible de cyber-escrocs. L’une des récentes formes d’arnaque est celle qui consiste à faire des dépôts d’argent sans payer.

Tout souriant, calme et tête baissée, Jean Ilboudo manipule son téléphone. Les clients défilent tout au long de la journée dans son kiosque situé à la cité Azimo Ouaga 2000 sis au secteur 29. Ici, on fait des dépôts, des retraits et on se procure des unités. Ce natif de Manga est venu à Ouagadougou pour « se chercher » comme on le dit. Pour gagner sa pitance quotidienne, il décide d’ouvrir une boutique où il vend des accessoires de téléphones, des unités et offre des services de mobile money.

A le voir, rien n’indique qu’il a récemment été victime d’une arnaque, son visage semblant montrer un homme épanoui. Et pourtant, derrière cette façade, se cache une grande douleur. Mais Jean Ilboudo reste digne et dissimule sa tristesse. Le 6 mars 2023 est un jour qui restera gravé dans sa mémoire. Propriétaire de trois boutiques proposant des services de mobile money dont deux à la cité Azimo, il apprend une nouvelle qui le chamboule.

Jean Ilboudo s’est rendu au commissariat pour déposer une plainte mais a très peu d’espoir

L’une de ses gérantes l’appelle pour lui annoncer une mauvaise nouvelle sans trop entrer dans les détails. Il ignore alors qu’il vient de perdre une forte somme d’argent. Curieux, ce dernier démarre sa moto précipitamment pour se rendre sur les lieux. C’est ainsi qu’il apprendra de la bouche de la gérante qu’un arnaqueur les a pris pour cible. Elle lui explique qu’un homme lui a demandé de faire un dépôt de plus de 600 000 FCFA.

Dans le feu de l’action, elle n’a pas eu le réflexe de lui demander la somme d’argent avant de procéder au dépôt. Une grosse erreur, une fois l’argent transféré, l’escroc s’est immédiatement enfui à grande vitesse avec sa moto sans avoir remis la somme en espèces comme il se doit à la gérante. Malgré ses cris pour alerter les voisins, il était déjà très loin. « Elle a dit qu’après avoir effectué le transfert, l’arnaqueur a déposé son sac et a dit qu’il allait vérifier quelque chose sur sa moto et s’est enfui. Le sac ne contenait que des papiers. Je lui ai demandé pourquoi elle n’a pas pris l’argent avant d’effectuer le transfert ? » se remémore-t-il.

Jean Ilboudo a conseillé à tous ceux qui gèrent des boutiques de mobile money de faire très attention, car, les arnaqueurs usent à chaque fois de nouvelles stratégies

Un manque de vigilance

La gérante a commis une double erreur, elle n’a pas demandé la carte d’identité du client. Alors que cela est une obligation, avant d’effectuer tout dépôt ou retrait, on note les références de la pièce d’identité des clients. Jean Ilboudo s’empresse de contacter la société de téléphonie mobile qui gère le service de mobile money pour demander qu’on bloque la transaction afin qu’il ne puisse pas retirer l’argent. Malheureusement, c’était déjà trop tard, le bandit avait déjà retiré son butin. Le mal étant déjà consommé, Jean Ilboudo se retrouve avec une grosse dette et est obligé de fermer sa seconde boutique située dans la cité.

Il se voit également obligé de renvoyer sa gérante parce que ne pouvant plus lui payer de salaire. Elle se retrouve au chômage. Il confie qu’il lui en veut un peu. « A chaque fois je montre aux gérantes comment on procède, mais elles n’appliquent pas mes conseils. Si elle avait récupéré la carte d’identité en exigeant l’argent avant de procéder au transfert, il n’allait pas l’arnaquer » a-t-il martelé. Dans les échanges, il confiera que la mère de la gérante est venue s’imprégner de la situation, mais elle n’a offert aucun dédommagement.

Un autre gérant d’une boutique de mobile money a été à deux doigts d’être victime de ce type d’arnaque. Abdoul (nom d’emprunt) a préféré témoigner anonymement. Depuis deux ans, il travaille paisiblement. Mais récemment, à deux reprises, des arnaqueurs ont pris pour cible la boutique où il travaille. Il raconte : « En mars 2023, une femme est venue pour faire un dépôt de 75 000 FCFA. Elle a donné le numéro et le nom de la personne qui devait recevoir le transfert. J’ai eu le réflexe de lui demander l’argent avant de valider le transfert. Elle me répond qu’elle a oublié l’argent à la maison. J’ai automatiquement annulé le transfert » a-t-il expliqué. Abdoul se rend compte qu’il a failli être piégé. Il demande à accompagner la dame à son domicile pour récupérer l’argent et effectuer le transfert. « J’ai commencé à la suivre et d’un coup elle s’est mise à courir à toute vitesse. Je n’ai pas pu la rattraper » a-t-il notifié.

« Quand tu n’as pas pris l’argent évite de faire le dépôt » conseille Abdoul aux gérants des boutiques de mobile money

Il a souligné qu’il n’est pas à sa première expérience. Des anecdotes, Abdoul en a à foison. « Un jour, une autre femme est venue faire un dépôt de 175 000 FCFA. J’ai automatiquement demandé l’argent avant d’effectuer le dépôt. Elle a dit qu’il faut que je fasse d’abord le dépôt avant qu’elle me remette l’argent. J’ai refusé et elle est partie en colère » se rappelle-t-il. Il a affirmé que la plupart des arnaqueurs (es) auxquels (les) il a été confronté étaient « des femmes ».

Des pertes et des dettes

Jean Ilboudo a révélé que gérer une boutique de mobile money n’est plus une mince affaire depuis que les arnaqueurs sont entrés en jeu. Il est à sa troisième mésaventure. Avant cet épisode, un escroc s’est fait passer pour un client en venant se procurer des unités. Il semblait avoir préparé son coup à l’avance. Il a remarqué la marque de téléphone utilisée pour ses services de mobile money. « La gérante lui a donné le téléphone pour qu’il puisse mettre son numéro afin qu’elle lui mette les unités.

Il s’est rapidement empressé d’échanger les téléphones sans qu’elle ne le sache. Il a prétendu être pressé et lui a remis la somme de 2000 FCFA avant de s’en aller. En essayant d’envoyer les unités, la gérante a constaté qu’il n’y avait pas d’unités. Plus tard, on s’est rendu compte qu’il ne s’agissait pas de notre téléphone, c’était également trop tard. Le voleur avait déjà fait le retrait » a-t-il développé. L’arnaqueur est reparti avec près de 500 000 FCFA. Une autre fois, il a été victime de vol dans sa boutique, ses téléphones ont été volés (ils contenaient environ de 150 000 FCFA).

G . Aimé Ouédraogo a demandé aux gérants de boutiques de mobile money à se conformer aux règles données par les sociétés de téléphonie mobile

Des préjudices financiers d’environ 100 millions de FCFA durant le 1er trimestre de l’année 2023

Depuis sa création, la Brigade centrale de lutte contre la cybercriminalité (BCLCC) s’est donné pour mission de mettre hors d’état de nuire ces cyber-escrocs. Une tâche ardue surtout quand on sait que les arnaqueurs ne font que se réinventer. La brigade confirme que les gérants de boutique de mobile money sont de plus en plus pris pour cible ces dernières années. Les chiffres montrent l’ampleur des ravages causés par ces cyber-escrocs.

Selon G. Aimé Ouédraogo du service de communication de la BCLCC, on enregistre en moyenne « 20 cas d’arnaque via les mobiles money c’est-à-dire celles liées aux solutions de payements que nous avons au Burkina Faso. Pour le premier trimestre de l’année 2023, nous avons enregistré 60 plaintes avec un préjudice d’environ 100 millions de FCFA. Le préjudice financier prend en compte les arnaques dont sont victimes les utilisateurs et les gérants des boutiques mobile money » a-t-il affirmé. Au regard de l’ampleur du préjudice subi par les populations, la BCLCC travaille sans relâche avec l’accompagnement des commissariats de sécurité publique, la brigade de gendarmerie et les gérants des boutiques de mobile money.

G . Aimé Ouédraogo a interpelé les auteurs de cyber-escroqueries sur les sanctions qu’ils subiront une fois dans les filets de la justice

Malgré la complexité de la besogne, les différentes actions de la brigade ont permis de mettre en déroute des cyber-escrocs. Il faut rappeler que des formations ont été initiées pour outiller des gérants des boutiques de mobile money afin qu’ils se protègent des arnaqueurs. Cela a porté des fruits comme le témoigne G. Aimé Ouédraogo. Comme anecdote, il a révélé qu’un gérant de boutique mobile money a failli être victime d’une escroquerie à grande échelle. Heureusement, il avait eu vent des différents types d’arnaques communiquées par la BCLCC.

Avec l’aide du voisinage, il a neutralisé le cyber-escroc. Il s’est avéré que l’homme du nom de Diakité était activement recherché par la brigade car il avait occasionné un préjudice de 20 millions de FCFA parmi des gérants de boutiques de mobile money. Il a été placé entre les mains de la justice pour tous ses forfaits. Au Burkina Faso, la loi condamne les auteurs de telles pratiques à des peines allant de 2 à 5 ans d’emprisonnement. Aussi, ils doivent payer une amende allant d’un et 5 millions de FCFA.

Les conseils utiles de la BCLCC

G. Aimé Ouédraogo a saisi l’occasion pour donner quelques conseils aux gérants des boutiques de mobile money afin de se protéger. En premier lieu, il faut toujours vérifier le document d’identité du client. Même si certains cyber-escrocs ont désormais pris l’habitude de prendre des cartes d’identités d’autres personnes, il a recommandé de vérifier la photo de l’individu pour confirmer qu’il s’agit bel et bien de lui. Ensuite, le gérant doit enregistrer les références du client. Cela permet de créer une traçabilité et facilite la tâche aux enquêteurs durant l’investigation.

Le troisième geste est la vérification des billets de banques, car, les cyber-escrocs utilisent dorénavant des faux billets d’où l’intérêt d’avoir des détecteurs de faux billets. « Après toutes ces vérifications, il peut maintenant procéder à l’opération de dépôt ou de retrait » a-t-il préconisé. G. Aimé Ouédraogo a également repéré des signes qui doivent alerter les potentielles victimes. « Quand les cyber-escrocs se présentent dans une boutique, ils sont toujours pressés. Généralement, ils ne disposent pas des documents d’identité ou donnent celui d’une autre personne. Ils peuvent se présenter avec la carte SIM d’une autre personne. L’activité de mobile money est comme celle bancaire. Lorsque vous vous présentez dans une banque pour une opération, vous devez disposer d’un document d’identité à votre nom. Il faut donc appliquer la même méthode pour les opérations de mobile money », a-t-il conclu.

En attendant, du côté de Jean Ilboudo, toutes ses mésaventures et ses pertes ont créé chez lui, une forme de désespoir. Il est en train de mener la réflexion pour une possible reconversion. Il dit être découragé parce qu’il ne fait que subir des pertes et se retrouve endetté. « J’ai envie de chercher un autre métier à faire en plus de celui-là. Je ne peux pas fermer la boutique sans rien faire. Il me faut trouver une autre activité pour m’en sortir », a-t-il ambitionné. Si des gérants des boutiques de mobile money souffrent le martyr à cause des cyber-escrocs, les utilisateurs eux aussi, sont fréquemment la cible de ces derniers qui ne manquent pas de stratagèmes pour les dépouiller. G. Aimé Ouédraogo les appelle donc à plus de vigilance.

Une histoire rocambolesque

Pendant que nous finalisons cet article, nous apprenons une bonne nouvelle du côté de Jean Ilboudo. Comme le dit un dicton africain « deux jours pour le voleur, mais un seul jour pour le propriétaire ». Alors que son moral était au plus bas, il reçoit un appel du commissariat. On lui demande de se rendre au commissariat car son voleur a été mis aux arrêts.

Le cyber-escroc a voulu user du même mode opératoire chez un autre gérant sis au quartier Bonheur ville. Heureusement pour le gérant et malheureusement pour le cyber-escroc, il a été démasqué. Alertée, la police s’est rendue sur les lieux et a arrêté l’escroc. Jean Ilboudo a reçu presque toute la somme dérobée. Il a confié être reconnaissant vis-à-vis de la police et espère pouvoir éponger ses dettes d’ici quelques mois.

Samirah Bationo
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 22 mai 2023 à 09:05, par Sambavure En réponse à : Mobile money au Burkina : Des gérants de boutiques sont la cible de cyber-escrocs

    La responsabilité de l’opérateur est engagée ici au plus haut niveau ; les escros peuvent allègrement anarquer les pauvres gérants ; mais ils ne devraient pas faire de retraits aussi facilement.
    J’estime que tous les numéros oranges sont identifiés ; j’estime aussi qu’il faut remplir un certain nombre de conditions pour ouvrir un point orange money. La boutique qui a procédé au payement des sommes volées est identifiable ; et la même boutique doit être à mesure d’identifier celui où celle qui a fait le retrait. Il y a forcément complicité. Les points orange money qui peuvent faire des retraits de 600 000f sont comptés dans la ville. Si on y regarde de près, on pourrait constater que là où le retrait a été effectué, le gérant ne dispose pas où n’a jamais fait une telle opération.
    L’opérateur connaît tous ceux à qui il a donné des agréments pour ouvrir des points orange money ; s’il est porté à ka connaissance des gérants que tous retraits frauduleux à leur niveau sera à leur charge, ils prendront toutes les dispositions pour identifier leurs clients.

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