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Intelligence artificielle au Burkina : L’expert en sécurité informatique et en investigations numériques, Younoussa Sanfo, suggère un encadrement

Publié le dimanche 14 mai 2023 à 22h26min

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Intelligence artificielle au Burkina : L’expert en sécurité informatique et en investigations numériques, Younoussa Sanfo, suggère un encadrement

Semblable à un couteau à double tranchant, l’intelligence artificielle (IA) est aussi bien capable d’opérer des miracles que de faire du mal. Face à ses progrès forts impressionnants et inquiétants pour plusieurs dirigeants dans le monde, des personnalités tout comme des organisations à l’instar de l’UNESCO, exigent qu’elle soit règlementée. C’est en vue d’avoir une idée limpide de cette technologie qui suscite autant de peur, que Lefaso.net s’est rendu au laboratoire de l’expert en sécurité informatique Younoussa Sanfo. Pour l’expert, l’idéal est d’encadrer l’IA, tout en formant les citoyens à un usage rationnel de cette technologie. C’était ce mercredi 12 avril 2023, à Ouagadougou, dans l’enceinte de HorusLabs.

Lefaso.net : Comment définissez-vous, de la façon la plus simple possible, l’intelligence artificielle (IA) ?

Younoussa Sanfo : L’intelligence artificielle peut être simplement définie comme étant un ensemble de technologies dont le but est d’imiter certaines capacités humaines telles que la perception, la compréhension du langage naturel et la prise de décisions après un apprentissage. On apprend à la machine à acquérir certaines informations que l’humain connaît de sorte à ce qu’elle soit à mesure d’imiter l’intelligence humaine en utilisant les données fournies par l’humain.

Cependant, l’intelligence artificielle peut aussi avoir une capacité d’apprentissage autonome. Et en général, quand des humains s’inquiètent de l’intelligence artificielle, c’est justement cet aspect d’auto-apprentissage de l’IA et d’une éventuelle prise de décision par elle-même.

Aux Etats Unis, l’armée a fabriqué un robot capable d’utiliser une arme de guerre. Ils ont entraîné l’IA à reconnaître « l’ennemi ». Ensuite les ingénieurs ont proposé l’intégration d’une prise de décision par l’IA. En résumé, on a un robot qui peut reconnaître un ennemi et prendre la décision de le neutraliser.

Ce robot n’a jamais été utilisé malgré un taux d’erreur très faible. Confier à une machine la prise d’une décision pour tuer un humain n’est pas acceptable. Ce robot n’a pas été validé. C’est la preuve que l’homme est capable de reculer quand il le faut.

L’un des drones disponibles à Horuslabs, le DJI M30T utilisé dans divers domaines notamment sécuritaire et agricole

Quels sont les différents types d’IA qui existent dans le monde des technologies et quelles sont leurs domaines d’application ?

Il existe plusieurs types d’intelligence artificielle mais il y a déjà deux groupes. Il y a notamment les IA faibles ou étroites qui se consacrent à une tâche spécifique telle que la reconnaissance de la parole, là c’est une IA dite faible ou étroite qui ne fait que de la reconnaissance vocale. Je parle et la machine écrit ce que je dis parce que la machine reconnaît la parole.

Et il y a aussi les IA fortes ou générales. L’IA générale vise à créer une intelligence comparable à l’intelligence humaine où les applications sont très variées, allant du domaine de la santé au secteur de la finance ou les transports et même la sécurité.

C’est vrai que depuis quelques années, nous utilisons l’intelligence artificielle dans certains programmes que les enfants développent au cours des formations pendant les vacances. Mais ce n’est pas une intelligence artificielle très évoluée. Par exemple, ce que nous avons fait ces deux dernières années n’est pas du niveau de ce qui se fait aujourd’hui avec ChatGPT, DALL-E ou MidJourney et d’autres intelligences artificielles qui existent sur le marché ou en laboratoire. En fait c’est en 2023 que l’intelligence artificielle a explosé et on a vu des applications très intelligentes qui permettent à quelqu’un qui ne s’y connaît pas d’utiliser l’intelligence artificielle et de faire des productions impressionnantes.

La démonstration de pilotage d’un drone hyper rapide utilisé dans les secteurs du cinéma et du sport

L’une des IA récemment développée est justement ChatGPT, à quoi sert-elle et quels sont ses avantages ?

ChatGPT, c’est une application basée sur l’intelligence artificielle qui a été développée pour la communication humaine. C’est-à-dire que vous êtes en face d’une machine, vous lui posez des questions et elle vous répond comme si vous aviez un humain en face. C’est nouveau ! Et c’est pour cela que dès les premiers jours de son lancement, ChatGPT a eu au moins 5 millions d’utilisateurs qui se sont connectés pour tester et voir d’eux-mêmes cette intelligence artificielle qui est capable de simuler un être humain, et parfois même faire mieux.

Par exemple, si vous posez une question sur l’archéologie à ChatGPT, il ne se contente pas de vous expliquer ce qu’est l’archéologie, mais il va plus loin et va raisonner comme si c’était une personne. C’est vrai que les avantages sont nombreux, notamment sa capacité à répondre rapidement à des questions complexes et avec précision. Si ChatGPT peut suppléer temporairement une personne pour une tâche donnée, on aura toujours besoin de l’homme soit avant, pendant ou après son intervention, ce qui est valable pour toute autre intelligence artificielle.

Une bonne utilisation de ChatGPT, serait de prendre son cours et de proposer d’échanger avec lui sur le contenu du cours en question. Ce qui pourrait permettre à l’élève qui révise de cette manière, d’anticiper sur d’éventuelles questions. Dans un tel contexte, l’intelligence artificielle peut efficacement appuyer l’élève.

Cependant, lorsque le professeur propose un devoir, l’élève doit tout seul le faire sans l’assistante de ChatGPT, précisément à l’instant où il traite ledit devoir. L’élève peut donc faire référence à ce qu’il aurait retenu de ses échanges avec l’IA, mais ne doit pas surtout pas soumettre entièrement le traitement du devoir à ChatGPT.

« L’intelligence artificielle peut améliorer l’expérience utilisateur et réduire les coûts par exemple du support client lorsqu’on est en entreprise », Younoussa Sanfo, expert en sécurité informatique et en investigation numérique.

Comment l’intelligence artificielle peut-elle aider le Burkina Faso à sortir de la crise sécuritaire et humanitaire ?

Ce n’est pas une intelligence artificielle qui va faire la guerre à notre place. La guerre, ce sont les hommes qui s’organisent pour la faire. Car l’homme sait pourquoi il fait la guerre. Ce n’est donc pas à une machine d’expliquer à un homme la nécessité de faire la guerre ou pas.

Mais l’intelligence artificielle peut aider d’éventuels acteurs de la sécurité à nous sortir de la crise sécuritaire et humanitaire de plusieurs manières. Elle peut notamment être utilisée pour prédire des actes de violence. Parce qu’à chaque fois qu’ il y a violence, il y a forcément eu un début, une progression et peut-être, une fin.

« L’IA peut être utilisée pour déminer les engins explosifs enfouis dans le sol par les terroristes. Ce qui permet de réduire les pertes en vie humaine, en envoyant en lieu et place des hommes, des robots ».

Le Forum économique mondial estime que l’IA remplacera d’ici à 2025, quelque 85 millions d’emplois, tandis que 97 millions de nouveaux emplois seraient créés sur la même période grâce à cette technologie. Qu’en pensez-vous ?

Je suis resté sur ma faim parce que je n’ai pas vraiment compris le message que voulait véhiculer le Forum. Car beaucoup de gens se basent sur les arguments du Forum économique mondial pour dire qu’il faut faire attention à l’intelligence artificielle. Alors que, de ce que je comprends, c’est que l’IA va permettre de créer plus d’emplois. C’est vrai qu’elle peut exécuter certaines tâches que l’humain effectuait avec moins d’erreurs et plus de précisions. Mais cela ne signifie pas que l’intelligence artificielle va remplacer l’être humain.

L’IA va permettre à l’homme d’aller plus vite, tout comme l’ordinateur l’a fait, il y a 30 ans. On nous disait à l’époque, que l’ordinateur allait remplacer l’homme, mais 30 ans après, cette prophétie ne s’est pas réalisée. Car l’ordinateur demeure un outil exploité par l’homme et je pense qu’il en sera de même pour l’IA.

Aujourd’hui, il y a un débat sur l’intelligence artificielle, certains disent qu’il faut tout de suite arrêter toutes les recherches qui relèvent de ce domaine-là. Parce que cela serait un danger pour l’humain. Tandis que d’autres pensent que c’est une technologie comme les autres. Et moi je fais partie de cette deuxième catégorie de personnes qui croient que l’intelligence artificielle n’est qu’une technologie fabriquée par l’homme.

Ce qu’on dit aujourd’hui de l’intelligence artificielle, se disait également au début de l’informatique. Car il y a des gens à cette période qui freinaient des quatre fers, l’évolution de cette science. Même dans l’administration burkinabè, il y a des gens qui se sont opposés à l’informatisation. Et quel était leur argument à l’époque (il y a environ 30 ans) ? C’était que la machine allait prendre le travail de l’homme, voire même le remplacer. Et qu’il ne fallait donc pas laisser faire.

« Attention ! Il faut savoir que l’intelligence artificielle se trompe aussi, il faut donc beaucoup insister parfois pour obtenir de bons résultats ».

Quels peuvent être les défis à venir dans un monde où l’intelligence artificielle prend de l’ampleur ?

Les défis à venir pour moi, c’est la protection de la vie privée. Avec l’intelligence artificielle, il est très facile de créer des images réalistes. Donc la protection de la vie privée risque de prendre un coup lorsque les criminels vont commencer à utiliser l’intelligence artificielle pour être plus crédibles pour mieux tromper les personnes.

La réglementation et la gouvernance vont prendre un coup parce que l’intelligence artificielle pourra permettre de contourner certaines règles sans être pris par le gendarme. L’IA mal utilisée peut effectivement permettre à un criminel de passer entre les mailles du filet. Il en est de même pour toute technologie dont se servent les criminels pour atteindre leur but.

Malheureusement en général, les criminels ont toujours une longueur d’avance. Les États attendent que ces criminels prennent de l’avance commencent à faire des victimes. Avant de s’alarmer et d’alerter tout le monde sur le fait que les criminels sont en train de faire du mal aux pauvres concitoyens.

Des images générées à l’aide de l’intelligence artificielle par le laboratoire HorusLabs

Mais pour une fois, j’espère que face à l’avancée fulgurante de l’intelligence artificielle, les décideurs vont prendre les mesures appropriées et renforcer les structures existantes en vue de détecter les cybercriminels qui vont l’utiliser. C’est vrai que ça va très vite avec cette technologie au regard de tout ce qu’elle permet d’accomplir : comme gérer via une machine des tâches très complexes, aboutissant à des résultats parfois inquiétants.

C’est par exemple le cas lorsque l’IA imite une personne qui parle, qui raisonne et défend des idées alors que ce n’est qu’une machine qui se trouve derrière. Cela peut effectivement être inquiétant. Mais je fais confiance en l’homme, qui, je pense aura toujours la sagesse de ne pas aller au-delà, et de ne pas franchir la ligne rouge.

Le laboratoire évolue dans la maintenance de drones et de bien d’autres appareils technologiques mais aussi dans la formation de compétences

Plus de mille personnalités, dont l’entrepreneur Elon Musk et le cofondateur d’Apple Steve Wozniak, ont demandé une pause dans la recherche sur l’IA. L’UNESCO a également invité les États africains à réglementer le domaine. Quel est votre avis d’expert sur le sujet ?

À l’émergence de toute technologie, il n’est pas rare de voir quelques “brebis galeuses’’ l’utiliser à mauvais escient, et cela a d’ailleurs déjà commencé. En effet, il y a actuellement des criminels qui utilisent l’intelligence artificielle pour mieux se faire passer pour une personne qu’ils ne sont pas en réalité.

Au Canada, en début d’année, une banque a perdu des millions de dollars parce que quelqu’un a reçu une instruction du premier responsable de cette banque pour faire un virement. Et ce dernier l’a fait parce qu’il croyait avoir belle et bien reçu un coup de fil de son supérieur hiérarchique pour effectuer cette opération.

C’est donc plus tard, qu’ils ont su que ce n’était pas le patron de la banque qui parlait au téléphone, mais plutôt une intelligence artificielle qui avait imité sa voix. La victime n’avait donc pas pu se rendre compte qu’elle conversait avec une machine au téléphone. Ceci est par exemple un mauvais usage de l’intelligence artificielle.

Cependant, l’homme est capable d’utiliser l’intelligence artificielle pour résoudre de sérieux problèmes. Dans la médecine notamment, l’IA va faire des merveilles et j’en suis persuadé. Réglementer dépend de chaque État, il y a des pays qui ont décidé de l’interdire. Moi, je ne suggèrerais pas à mon pays d’interdire une technologie. Je recommanderais plutôt à mon pays de se l’approprier, d’aider les universitaires, les jeunes, quasiment le grand public à s’approprier cette technologie et à trouver de meilleures utilisations. Car il serait difficile de tenter de réprimer, voire d’interdire une technologie émergente dans un pays.

Concernant la mauvaise utilisation faite par des élèves ou des étudiants, il faut noter que bien avant l’arrivée de l’IA, il y avait des tricheurs à l’école. Cependant, aujourd’hui ils vont tricher en confiant à l’intelligence artificielle le traitement d’un devoir et se faire passer ensuite pour celui qui l’a fait. Mais ce que ces tricheurs ne savent peut-être pas, c’est qu’il existe des anti IA, c’est-à-dire des applications capables de détecter ce qui a été produit par une intelligence artificielle. C’est donc prendre le risque d’avoir un zéro que de continuer à vouloir soumettre le traitement de ses devoirs à l’intelligence artificielle, parce que le professeur va s’en rendre compte.

Je crois par contre que les États ont intérêt très rapidement à mettre en place des formations et développer des compétences pour permettre aux travailleurs de s’adapter à l’évolution du marché du travail. Il s’agit aussi pour nos chercheurs, de proposer des outils basés sur l’intelligence artificielle au service de l’homme dans les domaines de l’agriculture, la pêche, l’artisanat, bref dans tous les secteurs d’activités. Il faut surtout que nos chercheurs continuent de proposer des solutions immédiatement utilisables en matière d’agriculture et de santé.

C’est aux États de veiller à ce que l’intelligence artificielle soit développée et utilisée de manière éthique et responsable afin de minimiser les risques et de maximiser les avantages. C’est pour cela qu’à HorusLabs et à l’Académie de création et d’éveil scientifique, nous avons commencé depuis très longtemps à initier les enfants à la programmation, à la robotique ainsi qu’à l’IA.

Dans deux semaines nous allons présenter des productions d’enfants qui feront des travaux à l’aide de l’intelligence artificielle et le grand public pourra se rendre compte que cette technologie peut être bien utilisée surtout dans l’éducation nationale et dans d’autres secteurs.

Quelques robots intelligents fabriqués par HorusLabs

Quel est aujourd’hui, votre projet dans le domaine de l’IA ?

L’un des projets qui me tient à cœur est en préparation avec d’autres Burkinabè. Ainsi, nous avons lancé un appel à tous les Burkinabè qui voudraient participer à la création d’une bande dessinée (un dessin animé pour enfants) qui sera fait par les enfants eux-mêmes avec l’aide des adultes. Mais qui va raconter l’histoire d’une princesse qui s’appelle “La princesse Yennenga’’.

Donc nous allons recueillir des informations auprès de bonnes volontés pour raconter son histoire tout en mettant le zoom sur les aspects positifs pour encourager la jeune fille à se battre. Parce que “La princesse Yennenga’ ’était une guerrière. Elle a été entraînée par son père, puis a pris les armes pour défendre son pays et a gagné la guerre avec ses combattants, que sont les guerriers qui étaient autour d’elle.

Ils ont gagné la guerre, pas parce que elle était facile à gagner, mais ils y sont arrivés parce qu’ils étaient déterminés. Cette histoire vise donc à rappeler la bravoure de “La princesse Yennenga’’ mais aussi de tous les autres autour d’elle, qui se sont battus pour gagner une guerre qu’il fallait mener pour leur liberté.

En rappel, HorusLabs est un laboratoire qui intervient dans quatre principaux domaines que sont l’investigation numérique, la robotique, l’Intelligence artificielle, la formation, les drones, l’éducation des enfants aux nouvelles technologies. Créé en 2000 sous le nom de INTRAPOLE, c’est en 2023 que le laboratoire prend le nom de HORUSLABS au regard de l’élargissement de son champ d’action. INTRAPOLE est donc un label de HORUSLABS qui est l’entreprise.

Propos recueillis par Hamed NANEMA
Lefaso.net

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