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Jean Philipe Tougouma, journaliste-écrivain : « Pour moi, écrire est à la fois une obsession et une passion »

Publié le lundi 11 avril 2022 à 22h35min

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Jean Philipe Tougouma, journaliste-écrivain : « Pour moi, écrire est à la fois une obsession et une passion »

Journaliste aux Editions Sidwaya, ancien directeur de l’Agence d’information du Burkina (AIB), Jean Philippe Tougouma est connu pour la qualité de sa plume. Discret mais très ouvert surtout aux jeunes générations, ce passionné des arts martiaux met en exergue pour le public une autre facette de ses compétences. « Sankara, le conclave des héritiers », « Blaise Compaoré, sa vie en neuf tableaux », « Général de brigade Gilbert Diendéré, l’homme de l’ombre » et « Pari mutuel urbain : la fortune en course de fin » sont des œuvres littéraires dont le contenu constitue, au-delà de leur actualité, de réelles leçons de vie. En attendant la dédicace de l’ensemble de ces livres, nous avons (le 31 mars 2022) découvert avec l’auteur, quelques faces cachées de ces productions.

Lefaso.net : Quatre œuvres en un temps-record…, l’on est tenté de vous demander d’où vous viennent ce goût de l’écriture et cette inspiration ?

Jean Philipe Tougouma : Le goût de l’écriture est peut-être venu avec le cursus universitaire, des études en Lettres modernes et une option en critique littéraire à l’université de Ouagadougou. Puis, il y a eu un peu ce choc. Des camarades étudiants morts dans un accident de train, alors qu’ils revenaient des vacances de Noël. Il y a la mort de la benjamine de la famille, Emma en 1992. En 1993, en mission au Ghana avec la FEPACI (Fédération panafricaine des cinéastes, ndlr), dans la solitude de ma chambre d’hôtel, j’ai griffonné des poèmes en hommage à Emma ; d’ailleurs, j’ai encore les manuscrits que j’aurai grand plaisir à ajouter à un récit sur la famille que j’ai déjà achevé.

Le vrai déclic surviendra en 2014. Dans le car qui nous ramenait de Cotonou avec l’équipe nationale de karaté ; la folle ambiance des athlètes me rappela La Nausée de Jean-Paul Sartre, (ndlr : Jean Philipe Tougouma a une ceinture noire 3ème dan de Shotokan karaté-do). L’insurrection populaire de 2014 m’a donné un bon bout et je me suis lancé à travers l’écriture de « La chute du Sphinx de Koso-yam ou les secrets d’une insurrection », parue en 2016 aux Presses des Editions Sidwaya.

En 2018, j’ai sorti un recueil de cinquante nouvelles sur les jeux du Pari mutuel urbain (PMU) « Pari mutuel urbain ; la fortune en course de fin ». Bien en "course de fin" et non en "fin de course". Entre temps, en 2017, dans l’intention de publier quelque chose sur les trente ans de l’assassinat du président Thomas Sankara et douze de ses compagnons, j’avais achevé le roman sur « Sankara, le conclave des héritiers ».

Le premier titre était bien Sankarisme sans charisme. Notre environnement socio-politique aujourd’hui, nous donne beaucoup de thématiques sur lesquelles on peut plancher, sur tous les genres littéraires. A cela, s’est ajouté un petit déclic fonctionnel ; à un moment donné, quand vous n’avez pas grand-chose à faire ou quand on ne vous confie pas grand-chose, trouvez-vous quelque chose à faire. C’est cela aussi qui, à un moment donné, m’a poussé comme un exécutoire.

Ces épreuves douloureuses…, et ces moments de bonne ambiance constituent donc pour vous des sources d’inspiration !

Ça vient de toutes parts. Quand je suis en général à l’hôpital, ça m’inspire des écrits. J’étais à l’hôpital en 2019 et de là, j’ai jeté les bases de deux ou trois livres. En ce moment, vous êtes face à vous-mêmes et vous vous interrogez intérieurement, vous faites une sorte d’introspection. Vous vous rendez compte que tout est vanité. Rien que vanité et fanfaronnade. Quand je suis à l’église, les chants d’actions de grâce des choristes m’inspirent aussi.

J’y vais souvent avec une feuille blanche, quand j’ai juste une à deux phrases, après ça peut devenir un paragraphe, une page, un chapitre… C’est ainsi que j’évolue. Il faut aussi dire que notre République aujourd’hui nous offre beaucoup de possibilités de thèmes. Je pensais même aux mémoires de Blaise Compaoré. Mais c’est fastidieux à un double niveau : d’un point de vue moyens financiers, puis du temps. C’est ce qui fait que je me suis rabattu sur un essai, c’est moins coûteux et ça prend moins de temps. Aujourd’hui, je parle de Diendéré, de Sankara et de Compaoré.

Mais il n’y a pas que ces trois. Vous avez plein de personnes dont la vie et le parcours méritent d’être écrits. Dans ce pays, il y a de grands hommes, qui sont morts il n’y a même pas dix ans, mais quand vous demandez à leurs inconditionnels, ils ne sont même plus capables de vous dire quand est-ce qu’ils sont morts. Ils auraient laissé leurs mémoires qu’ils entreraient dans l’espace public, dans l’immortalité.

Perçus comme des monstres, des seigneurs politiques, même s’ils n’ont pas laissé quelque chose d’écrit, ce travail doit être fait pour eux. C’est l’histoire de notre pays qui s’écrit ainsi et il faut l’assumer pour avancer. Le général Lamizana (Aboubacar Sangoulé Lamizana) a laissé des mémoires qui vont lui survivre pendant très longtemps. L’idéal aurait voulu que toutes ces figures, tous ceux qui ont joué un rôle majeur dans la vie de notre pays, puissent laisser quelque chose à la postérité.

C’est donc pour moi, à la limite, une invite à toutes ces sommités, toutes tendances confondues, à pouvoir s’asseoir et laisser quelque chose à la postérité. Le président Jean-Baptiste Ouédraogo a fait ses mémoires, « Ma part de vérité », les gens se sont rués sur lui. Mais, il n’empêche que ce sont ces mémoires. Je suis dans cette dynamique. Je me rends compte qu’il y a plein de personnes de qui on peut parler. Je crois qu’il y a Emile Paré qui est en train d’écrire ses mémoires, j’applaudis toutes ces personnes-là. Vous avez des jeunes aujourd’hui qui, à 40 ans, sont pratiquement au terme de leur fonction.

Pas parce qu’ils sont fatigués, mais parce qu’ils ont atteint le sommet très vite qu’on n’a plus forcément besoin d’eux. Si fait qu’ils sont assis à se tourner les pouces. Il faut quitter cette situation. Notre insurrection populaire, il y a encore beaucoup d’aspects qu’on peut évoquer. Comme l’enseignement laissé par ce jeune Gaston Karambiri, fonctionnaire international au HCR en vacances et qui est resté dans l’insurrection. Prenez le cas de Zéphirin Dakuyo (pharmacien spécialiste en médecine traditionnelle africaine, ndlr).

Quand j’étais à l’université et que je repartais à Abidjan, on me demandait des pintades sèches et les N’dribala (connu pour lutter contre le paludisme, ndlr). C’est vrai que la télévision nationale a fait quelque chose sur lui, mais sur papier, c’est encore différent parce qu’on peut le conserver avec soi. Il mérite davantage de productions sur bien d’aspects de sa vie socio-professionnelle. Donc, au regard de tout cela, il me vient à l’idée qu’il faut s’organiser, ceux qui aiment l’écriture, pour produire sur toutes ces richesses humaines également du Burkina.

C’est très utile pour le pays et pour la postérité. Maintenant, la question peut se poser de savoir comment rentabiliser cela. Mais là aussi, les mécanismes ne manquent pas, si l’Etat y met la volonté et mesure l’importance d’une telle production pour le pays. Si chaque grande institution se faisait le devoir de se doter d’une mini-bibliothèque liée aux productions de son domaine et qu’on avait une bibliothèque à tendance nationale, cela ferait déjà quelque chose.

Certains nourrissent la secrète envie d’écrire, mais se réservent de s’exposer aux virulentes et nuisibles critiques dont des Burkinabè sont passés maîtres. Comment réussir à franchir cette barrière ?

J’ai envie de vous poser cette question : est-ce que vous, vous avez peur d’un être humain ? Parce qu’il est quoi ? Président, ministre, député ... ? Il faut s’exprimer. J’ai vu quand le président Jean-Baptiste Ouédraogo a publié son livre intitulé « Ma part de vérité », il y a un écrivain qui n’était pas d’accord avec lui, qui n’a pas cherché à le dénigrer, mais est simplement entré en laboratoire et quelques semaines après, il a fait sortir son livre. C’est ce qu’il faut faire. C’est ce qui va enrichir l’histoire de notre pays. Ne regardez personne. Moi, je ne regarde personne. Si tu n’es pas d’accord, tu prends ta plume.

Quand j’ai écrit mon livre, « La chute du Sphinx de Koso-yam », à la dédicace, on m’a demandé ceci : « vous n’avez pas peur d’un procès ? ». J’ai demandé par rapport à quoi ? De toute façon, c’est le domaine existentialiste : être ou ne pas être. Si vous faites, on dira que vous avez fait, si vous ne faites pas, on dira que vous n’avez pas fait. Parlez à votre conscience et laissez votre conscience s’exprimer. Montrez-moi une seule personne immortelle et j’aurai peur d’elle. Il semble que le vendredi 21 janvier 2022, un responsable a réuni ses collaborateurs pour les tancer.

Et le 24 janvier 2022, soient seulement deux petits jours plus tard, il y a eu le coup d’Etat du mouvement patriotique pour le sauvegarde et la restauration qui a consacré la fin de son pouvoir. Ce sont des leçons que la vie nous donne, tous les jours. Pour dire simplement qu’il faut être en conformité avec sa propre conscience. Ecrire, ce n’est forcément brocarder quelqu’un. On peut se dire la vérité, mais dans un langage qui ne vexe pas, qui ne détruit pas. Après, on peut se tromper, mais de très bonne foi. C’est même mieux de se tromper de très bonne foi que de se taire et ne rien dire.

Des thématiques auxquelles vous êtes particulièrement sensibles ?

Il n’y a pas de sujet tabou. Seulement, tenant compte de notre éducation, les aspects très privés, voire intimes, ne m’emballent pas. Ce que je recherche, ce sont les actes posés pendant son temps d’activités et que tout le monde a vus. Sans le magnifier et sans le détruire. Il faut donner des faits, rien que des faits, et vous interprétez. Comme on le dit, l’interprétation est un commentaire, donc libre. Vous prenez une photo, la légende peut varier selon votre angle. Donc, il y a toujours un choix à faire (même quand vous choisissez de ne pas choisir) et vous êtes condamné ou adulé pour cela.

Prenons les ouvrages, titre après titre. Blaise Compaoré, sa vie en neuf tableaux, n’était-ce pas un pari difficile dans le contexte dans lequel vous l’avez publié ? Quel est l’esprit qui vous a animé dans son écriture ?

C’est la dernière œuvre, selon la chronologie. Je voudrais profiter de votre espace pour remercier le préfacier, mon jeune frère Adama Ouédraogo dit Damiss. Le 3 février 2021, Blaise Compaoré avait 70 ans. Sur les réseaux sociaux, on le voyait en train de fêter son anniversaire avec son épouse Chantal Compaoré, beaucoup plus dégourdie, relaxe, comme on l’a toujours connue.

Et puis, il y avait un débat : fallait-il compatir à la situation de Blaise Compaoré ou bien fallait-il le condamner parce qu’il paie pour ce qu’il a fait hier ? Je suis resté entre les deux, et je ne me suis pas posé beaucoup de questions. Je me suis dit, il faut aller, visitons la vie du monsieur, qui va sur une échelle du 3 février 1951 au 3 février 2021. Ce livre retrace un peu les grands moments de la vie de Blaise Compaoré : sa naissance le 3 février 1951, le 4 août 1983, le 15 octobre 1987, le 11 juin 1991, etc.

Sa vie en neuf tableaux pour camper dans la sociologie humaine qui clame à juste titre que l’Homme est neuf, pas dix, pas huit. Ce sont les neuf orifices qui nous conditionnent : les deux yeux, les deux narines, les deux oreilles, la bouche, le canal urinaire et le canal anal. C’est pour dire qu’on est à la fois droite et gauche. On n’est pas absolu. Vous ne trouverez pas quelqu’un qui est dans l’absolu mauvais ou dans l’absolu bon. Il y a toujours une petite relativité quelque part.

C’est un peu cela que le livre dépeint, en regardant Blaise Compaoré, en disant qu’à un moment donné, il a constitué l’espoir de ce pays. On se rappelle quand il devait aller à Marcoussis dans le cadre de la résolution de la crise ivoirienne, le peuple tout entier est sorti l’accompagner et le charger de mission. Bien-sûr, il y a cette tâche qui suivra Blaise Compaoré même après son séjour terrestre, ce jeudi 15 octobre 1987 avec l’assassinat du président Thomas Sankara son frère d’armes, et presque frère dans la vie.

Il y a aussi ce que j’ai dit quelque part dans le livre, la solitude. La solitude, ce n’est pas l’absence de quelqu’un autour de vous ; la solitude, c’est vous-mêmes et votre conscience. Quand vous regardez le 15 octobre 87 et les jours d’après, il y a eu des gens qui étaient d’accord avec lui, qui sont venus applaudir. Mais à partir du 31 octobre 2014, les mêmes gens lui ont dit merde ! Quand vous vous retrouvez dans ce genre de situations, quelle que soit votre force, vous êtes touché. Aussi, pour dire que si Blaise n’est pas décédé, ne comptez pas ses dents. Demain, il peut être quoi … ?

Avant, il y a ce livre intitulé « Sankara, le conclave des héritiers ». De quoi s’agit-il ici ?

Je l’avais imaginé en 2017, c’est-à-dire au 30e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara et douze de ses compagnons. Merci à un aîné et grand frère, Yacouba Traoré, ancien directeur général de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB). C’est l’histoire d’une jeune fille Marguerite, prénom de la mère de Sankara, qui est née le jeudi 15 octobre 1987 à 16h 30. Elle a quinze ans en 2002. Elle est admise au baccalauréat F avec mention et ses parents décident de combiner sa date anniversaire de naissance et son succès au BAC pour une seule fête. Le 15 octobre 2002, quand toutes les convives sont réunis, elle s’habille, sort et dit qu’elle ne se sent pas concernée par cette fête.

On lui demande pourquoi, et elle dit qu’on ne peut pas être ici en train de fêter, alors qu’à un jet de pierre, à Dagnoën (quartier où ont été enterrés Sankara et ses compagnons, ndlr), les gens sont en train de pleurer. Elle dit que tant qu’on ne va pas débusquer les assassins de Thomas Sankara, elle se considère comme ces personnes nées le 29 février. En 2017, elle a 30 ans. Elle décide de créer un site web : www. 15 octobre 1987.com.

La condition pour en être membre, est qu’il faut être né le jeudi 15 octobre 1987 à 16h 30, au moment où Sankara mourrait. Elle organise une première rencontre à Ouagadougou dans un grand hôtel pour réfléchir sur l’héritage de Sankara. Mais, elle constate que la rencontre a un caractère mondain, qui n’a rien à avoir avec la vie austère de Sankara. Elle envoie des missions sur l’ensemble du territoire pour rechercher des personnes qui ont pu influencer Sankara ou inversement que Sankara a pu influencer pour le bien de ses compatriotes.

A leur retour, ils organisent un conclave national. Il y avait d’abord un problème de lieu : le conclave se tient à l’hôtel ou à la Maison du peuple ? Finalement, ils retiennent la Maison du peuple, au regard de la symbolique d’avoir abrité des évènements historiques du pays et du fait d’être un lieu moins mondain. En commençant leur réunion, ils voient des gens de toutes les couleurs, qui sont venus, parce qu’ils ont dit qu’ils sont nés le 15 octobre 87 à 16h 30, donc ils sont venus prendre part au conclave.

Dans les discussions, les Américains nés à cette date qui se disent sankaristes défendent des idées américaines. Il en est de même pour les Asiatiques, les Européens. Finalement, le conflit mondial ressurgit dans ce conclave. Yacouba Traoré (préfacier du livre) aura trouvé la formule choc pour résumer à la fois l’œuvre et tous les héritiers du père de la révolution Burkinabè quand il écrit en paraphrasant Simone de Beauvoir qu’on est sankariste, mais on naît Sankara.

Pourquoi l’incarner par une jeune fille ?

Une jeune fille parce que Sankara a révolutionné le 8-Mars. C’est le premier à consacrer une journée chômée et payée dans un pays pauvre comme le Burkina Faso. Ensuite, il a combattu pour la réhabilitation de la femme.

Il y a également cet essai sur « Général de brigade Gilbert Diendéré, l’homme de l’ombre ».

Je suis reconnaissant à Dr Cyriaque Paré, fondateur de Lefaso.net, préfacier de l’essai à qui je disais que je tiens le livre pour beaucoup, grâce aux sources de Lefaso.net. Ce jour-là, en 2018, en me baladant sur le net, j’ai vu un article d’un certain Oumar L. Ouédraogo, journaliste à Lefaso.net, intitulé : « Général de brigade Gilbert Diendéré : De l’ombre à la lumière ! ».

Alors qu’en ce moment, Gilbert Diendéré était à la maison d’arrêt et de correction des armées. Ce qui m’a poussé à regarder un peu la vie de cet homme, que je compare un peu à Jacques Foccart ; il n’était jamais là, mais il est toujours présent. C’est cela sa vie, il y avait toujours de la difficulté de savoir est-ce qu’il était toujours là.

Dans les grandes dates ou les grands évènements qui ont régenté le pouvoir de Blaise Compaoré, le général de brigade Gilbert Diendéré n’était pas toujours loin de la scène. Même si les deux grands moments où il était bien visible, c‘est à l’occasion du départ ou de l’arrivée de Blaise Compaoré. C’est un peu l’esprit que j’ai voulu faire ressortir à travers son parcours. J’ai montré qu’il est dans l’ombre, c’est vrai, mais il est-là, il y est resté pendant longtemps.

Il est du parcours des grands hommes politiques, qui sont passés par l’ombre, comme Nelson Mandela. Tout comme d’autres ont commencé à la lumière et fini dans l’ombre, tel que Laurent Gbagbo. Chacun a sa chance dans la vie, on n’est jamais condamné définitivement tant qu’on n’est pas mort. C’est un peu ce que je relate.

A l’épreuve des écrits… Pensez-vous que la vie de tous ces acteurs mérite d’être connue ?

Oui ! Je le dis sans cligner. J’ajouterai volontiers que la vie et le parcours de toutes ces sommités ont besoin d’être connus. Pas que même des institutions de la République en ces périodes où le pays connaît une situation difficile qui met des fils et filles en première ligne d’un combat pour la survie de la nation. Il y a certes eu les présidents Sankara, Compaoré et le général Diendéré, je ferai dans la démagogie, si j’insinuais qu’en dehors de ces trois personnages, point d’autres personnalités à « croquer ».

Le manque de moyens peut entraver le rythme de production, mais ne doit en rien décourager. Le livre sur Sankara est fini depuis 2017, celui sur Diendéré, en 2018 et Compaoré en 2021. Ce sont des essais ; il y a des choses qui ont été dites et qui se confirment tandis que d’autres sont battues en brèches. Bref, ce ne sont pas que ces personnalités, il y a bien d’autres personnalités, dans tous les domaines, dont la vie mérite d’être connue. Toutes ces personnalités qui animent la vie politique depuis les années 1980 ; soit quarante ans de présence en première ligne.

Mais aussi tous ces quadras qui ont l’âge de la présence des aînés, mais qui les côtoient et se sentent la force déjà de leur succéder. Il n’y a pas que le politique. Le monde du sport avec de grands noms, les finances, avec les magnats de ce domaine qui se frayent agréablement une place au soleil. Tous constituent des personnes qui peuvent inspirer la génération montante dans leur domaine de prédilection. Pour dire qu’on a des personnalités dont la vie, le parcours, méritent d’être connus pour les générations à venir et pour construire notre pays. Il faut construire et assumer notre histoire.

Vous avez également cette œuvre sur le PMU, un domaine qui cache, on imagine, des réalités sociales !

Merci à la nationale des jeux et à ses premiers responsables qui m’ont soutenu pour l’édition de ce recueil de cinquante nouvelles. Merci à monsieur Lucien Karama, ancien directeur général de la Loterie nationale du Burkina et préfacier. J’ai posé le regard sur cette question, parce que d’abord, je ne suis pas un bon gagnant, mais je suis un bon joueur. Un bon joueur, c’est celui qui ne dépasse pas ce qu’il peut miser dans le jeu sans perturber son mois.

A force de fréquenter un peu ce milieu de jeux (turfistes, ndlr), j’ai fini par avoir un regard sur les joueurs. J’ai dû faire un round up psychologique des miseurs, en choisissant un angle celui des gagnants. Convaincu que le PMU, ce ne sont pas que des heureux. Vous trouverez des histoires entre autres sur des femmes qui sont allées dans un village pour exciser. Deux jours avant l’acte abominable, pour un partage équitable des sous, elles décident de jouer 300 francs le quinté et elles gagnent près de 75 millions, le report cumulé. Dès lors, elles informent qu’elles étaient venues pour exciser, mais qu’elles ne le font plus.

Comme pour dire que cette pratique, ce n’est pas simplement coutumier, il y a aussi un volet économique. Il y a aussi ces mendiants, qui ont eu de l’argent et après le partage, ils prennent le reste pour aller jouer au PMU. Ils gagnent dans l’ordre et ouvrent un grand magasin. Il y a aussi ce grand patron qui sort son ordinateur pour faire toutes les combinaisons possibles assis dans son salon feutré alors que dehors dans le garage, le vigile torche à la main regarde un programme. Si le patron mise près de cent mille, le vigile dépose seulement 1500 frs.

A l’arrivée, le patron a deux désordres et un couplé venant, alors que le vigile rafle la cagnotte de 130 millions. Je n’incite pas les gens à jouer, ce sont des aspects que je mets en exergue. Je m’interroge aussi sur l’opinion selon laquelle, l’argent des loteries est maudit. Celui qui n’a jamais touché 50 mille, se retrouve du coup avec 50 millions, il y a risque qu’il perde des pédales, si on ne le guide pas. Je pense que la LONAB a bien compris cela, en mettant en place un dispositif d’accompagnement pour les grands gagnants.

Pour dire que s’il y a une suite sur cette question de PMU, on peut aussi interroger la vie de ces hommes qui jouent beaucoup et qui ne gagnent pas. On a des comptables, des commis de l’Etat, qui se retrouvent en prison parce qu’ils ont puisé dans la caisse de l’Etat. Le PMU est devenu aujourd’hui l’opium du peuple. Dans l’œuvre, il y a cette histoire : le ticket de l’amant ; le jeu à Vincennes, le changement de ticket. Et bien d’autres petites histoires qui meublent le quotidien des parieurs.

Des réalités sociales à découvrir à travers le PMU !

Ces jeux permettent de vivre. Quand la personne joue, elle ne gagne pas, mais elle a espoir que demain, elle va gagner. La mesure contre le covid-19, si on ne l’avait pas levée, la révolte n’allait pas commencer ailleurs, c’était dans les rangs des turfistes. Les gens allaient trouver tous les moyens pour jouer. Il y a bien d’autres aspects sur lesquels, on peut plancher par des œuvres.

La vie publique burkinabè regorge des enseignements, mais qui semblent ne pas servir !

Les enseignements ne servent pas parce que la cellule familiale est morte. Quand vous êtes le benjamin de la famille et que vous avez plus de moyens, vous devenez l’aîné de la famille. Il y a des familles où on sait que l’enfant fille comme garçon, quand il bouge à 18h de la maison, alors qu’il n’a pas une fonction précise et que la famille l’attend le matin pour avoir la popote, c’est bien d’une complicité silencieuse qu’il s’agit.

Quand les parents ne sont pas des exemples pour les enfants, alors, ces derniers sont perdus. Quand dans la cellule familiale, le respect n’existe pas entre les membres, toute la société est touchée. Quand dans la famille, vous n’avez pas le respect qu’il faut, dehors, personne ne va vous respecter et dès lors, vous devenez un marginalisé.

Il faut redresser la cellule familiale et le reste va suivre. Regardez notre circulation et vous comprendrez que c’est une forme de terrorisme qui s’exprime. C’est malheureux. Mais partout où il y a un mur, il y a une issue. Donc, ne baissons pas les bras, travaillons à remonter la pente. Nous sommes plus de 20 millions de Burkinabè, si on se met sérieusement ensemble et qu’on traite les préoccupations sans passion, on va trouver solutions et tout le monde sera heureux.

Qui ou quelles institutions vous accompagnent dans vos productions ?

Je dis parfois que pour moi ; écrire est à la fois une obsession et une passion. Ce qui est intéressant dans l’écriture, c’est que ça peut être payant, même après votre mort. J’ai des choses à dire sur la vie du pays à travers ses personnages et des thématiques, alors, je m’arrange pour le dire. C’est pour moi un devoir, car la postérité doit savoir comment notre pays a fonctionné à un moment donné, avec quels acteurs et comment d’autres Burkinabè ont réussi à faire face à tel ou tel autre péril.

Le roman sur « La chute du sphinx de Koso-Yam ou les secrets d’une insurrection », j’ai bien bénéficié de la sollicitude de deux grands-frères et aînés. Moumina Chérif Sy, alors président du Conseil national de la transition, et Omar Yugo, alors directeur technique nationale de la Fédération burkinabè de karaté-do. Le deuxième, c’est bien la Loterie nationale burkinabè (LONAB) qui m’a aidé à l’éditer. Les livres sur les présidents Compaoré, Sankara et Diendéré ont été édités à compte d’auteur. J’avais été retenu par le Fonds pour le développement culturel et touristique pour l’édition d’un essai sur les médias burkinabè face au terrorisme.

Avec le covid-19, il m’était impossible de sortir de Ouagadougou, confinement oblige. Une ambassade m’avait fait la promesse de me soutenir, mais après avoir pris le manuscrit, elle m’a informé que cela n’était pas de son ressort. Il y a trois essais sur trois personnages majeurs de la République, là aussi, j’avais sollicité de l’aide, j’ai été reçu pour comprendre et flop, plus rien. Mais je ne désespère pas.

Où peut-on avoir ces œuvres ?

Nous attendons la dédicace de l’ensemble de ces livres pour ce mois d’avril. Mais déjà, nous sommes en train de les positionner dans les régions (chefs-lieux) grâce aux collaborateurs de Sidwaya dans ces localités. A Ouagadougou, vous les avez dans les librairies Jeunesse d’Afrique et au Mémorial Thomas Sankara pour le moment. Ils sont accessibles à la somme de 3 000 francs (l’unité) pour les nouvelles et 6 000 francs (l’unité) pour les essais. Avec l’éditeur, monsieur Daouda Badini, nous sommes en train de chercher à moduler pour que l’achat global ne soit pas la somme de chaque livre.

Contact Jean Philippe TOUGOUMA : 70 23 80 65 / jphilt@hotmail.com

Interview réalisée par O.H.L
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 11 avril 2022 à 22:55, par sotigui de bobo En réponse à : Jean Philipe Tougouma, journaliste-écrivain : « Pour moi, écrire est à la fois une obsession et une passion »

    Bravo à Monsieur TOUGOUMA pour cette production, les titres et la brève présentation incitent déjà à la lecture. En tout cas, je ne vais pas m’en priver, surtout qu’ils sont financièrement accessibles. Félicitations pour votre conception de la vie. Je propose que vous essayez de voir avec des partenaires comment passer ces messages de vie à travers des conférences publiques, ça va beaucoup le pays dans les difficultés actuelles. Si tous réfléchissaient, comprenaient ce minimum, le pays serait épargné de bien de misères.

  • Le 11 avril 2022 à 23:43, par Sidsoré En réponse à : Jean Philipe Tougouma, journaliste-écrivain : « Pour moi, écrire est à la fois une obsession et une passion »

    J’ai connu ce grand monsieur par l’intermédiaire d’un ami et dès le premier contact, sa façon de voir la vie m’a beaucoup marqué. Je souhaite que Dieu vous donne beaucoup de moyens et d’inspiration pour écrire, vous êtes d’un bon cœur pour la société. Soyez-en bénis. Ce passage me marque parmi tant d’autres : "Les enseignements ne servent pas parce que la cellule familiale est morte. Quand vous êtes le benjamin de la famille et que vous avez plus de moyens, vous devenez l’aîné de la famille. Il y a des familles où on sait que l’enfant fille comme garçon, quand il bouge à 18h de la maison, alors qu’il n’a pas une fonction précise et que la famille l’attend le matin pour avoir la popote, c’est bien d’une complicité silencieuse qu’il s’agit". Vérité des vérités, et cela est bien triste.

  • Le 12 avril 2022 à 07:20, par Emma En réponse à : Jean Philipe Tougouma, journaliste-écrivain : « Pour moi, écrire est à la fois une obsession et une passion »

    Je respecte ce grand monsieur par sa rigueur au travail, ses qualités humaines et de travail. Mais comme dans ce pays on n’aime pas ceux qui sont sérieux et travailleurs, courage à vous, que Dieu vous bénisse !

  • Le 12 avril 2022 à 11:28, par Donald En réponse à : Jean Philipe Tougouma, journaliste-écrivain : « Pour moi, écrire est à la fois une obsession et une passion »

    Monsieur le journaliste-écrivain TOUGOUMA Jean-Philippe, vous avez une bonne compréhension de la vie et cela est encourageant de savoir qu’il y a des personnes qui tiennent à ce Burkina juste. Au regard de ce que je viens de lire dans l’interview, je ne tarderai pas à achever tous ces documents car je sais que je vais en apprendre beaucoup. Que Dieu vous bénisse

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