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Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

Publié le dimanche 2 février 2020 à 18h30min

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Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

« Réconciliation nationale ». Ce terme est sur toutes les lèvres. Des politiques aux OSC en passant par les leaders coutumiers et religieux, tout le monde se fait apôtre de la réconciliation nationale. Ce serait la condition sine qua none pour permettre au pays de vaincre le terrorisme et de construire sereinement l’avenir de ses fils et filles. A un moment où le pays est effectivement au bord du gouffre, la réconciliation nationale s’impose. Celle-ci doit toutefois se dérouler dans un cadre approprié pour éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes conséquences.

La Coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale (CODER) en avait fait son cheval de bataille. Du fait sans doute de son mode opératoire, elle s’est essoufflée sans parvenir à des résultats tangibles. Aujourd’hui, deux autres acteurs se font les grands chantres de la réconciliation nationale. Au rang de ceux-ci se retrouvent le Panel des anciens et des personnalités pour la paix et la réconciliation (PANAPAX) du comité de l’appel de Manéga et le Mouvement pour le plaidoyer, la cohésion sociale, le retour de la paix et la réconciliation nationale (MPCRN) de Safiatou Lopez Zongo.

Si le MPCRN est au stade des consultations avec les différentes composantes de la société, les « sages » de l’appel de Manéga ont, quant à eux, d’ores et déjà publié une déclaration le 20 janvier dernier dans laquelle ils plaident entre autres pour le retour de tous les « exilés politiques » qui le souhaitent. Ils recommandent aussi une contrition publique des acteurs de l’insurrection, des acteurs de l’ancien régime initiateurs du projet de modification de l’article 37 de la Constitution et de la mise en place d’un Sénat, de tous les auteurs du coup d’Etat du 16 septembre 2015.

Le panel de Manéga a le mérite d’exister. Les personnalités qui le composent sont respectables. Seulement, la démarche et les recommandations formulées pêchent par endroits. Sur le plan de la dénomination d’abord, il n’y a pas d’innovation. La composition et le fonctionnement du panel fait immédiatement penser au « collège des sages » qui avait recommandé l’institution d’une journée nationale du pardon suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, en 1998.

Tous les Burkinabè sont témoins de la manière dont cette JNP a été sabordée. Après le « plus jamais ça ! », les crimes se sont poursuivis allègrement ! Jusqu’à la survenue de l’insurrection. A lire la déclaration du panel, on a le sentiment qu’il a juste voulu réchauffer quelques recommandations du collège des sages pour que le tour soit joué ! La question de la réconciliation nationale est bien plus complexe.

« Exilés politiques » : Attention au piège

Sur le plan sémantique, le panel semble aussi tomber dans le piège de certains discours politiques lorsqu’il plaide pour le retour de tous les « exilés politiques ». Peut-on dans la rigueur des termes, parler véritablement d’exilés politiques pour ce qui est du cas du Burkina Faso ? L’exil politique est la situation de quelqu’un qui est expulsé ou obligé de vivre hors de sa patrie.

Les principales formes de violence politique peuvent être les persécutions idéologiques, ethniques, religieuses ou les conflits entre États. Les types de violence et leur étendue définissent les caractéristiques sociales de la population exilée : opposants idéologiques, membres de minorités ethniques territoriales ou intermédiaires, populations civiles se trouvant sur les lieux où s’exerce la violence.

Au regard de ces caractéristiques, peut-on qualifier d’« exilés politiques » des gens qui ont délibérément décidé de fuir leur pays sans qu’aucune menace sérieuse ne pèse sur leur vie ni sur celle de leurs proches ? Ont-ils été victimes d’ostracisme, de persécution ? Ont-ils été empêchés d’exprimer librement leurs opinions politiques au pays ? Les « sages » se laissent induire en erreur par certains politiciens adeptes de la victimisation à outrance pour obtenir l’absolution. Vouloir vous soustraire malicieusement à la justice pour des actes délictueux que vous avez commis ne fait pas de vous un exilé politique.

A la lumière des différentes tractations, il faut un débat national et un véritable consensus autour de la notion d’exilé politique. Qui l’est ? Qui ne l’est pas ? Quelles conditions faut-il remplir pour être qualifié d’exilé politique ? Appeler péremptoirement au retour de tous les « exilés politiques » est un raccourci qui peut s’avérer dangereux car tout le monde aura tendance à s’engouffrer dans la brèche.

Quid du schéma de la réconciliation ?

Pour finir, les « sages » recommandent la contrition publique des acteurs de l’insurrection, des acteurs de l’ancien régime, de tous les auteurs du coup d’Etat du 16 septembre 2015.Nous naviguons dans un flou artistique où on veut instruire le procès de « tout le monde et personne ». Que valent les contritions publiques sans réparation des préjudices subis, sans justice ? Faut-il au nom de la réconciliation passer les victimes en pertes et profits ?

Nul ne s’oppose à la réconciliation. C’est le cheminement pour y parvenir qui pose problème. Il faut, du fait de cette situation, mettre rapidement en place une structure indépendante avec les différentes sensibilités. Celle-ci devra travailler rapidement sur la base d’une feuille de route et formuler des recommandations réalistes et réalisables pour permettre au pays d’aller à la réconciliation nationale. Le document initial de cette structure pourra être examiné et adopté au cours d’assises nationales sur la réconciliation.

Ces assises devront permettre à tous les Burkinabè de se parler franchement pour solder le passif et envisager l’avenir ensemble. Un mécanisme de suivi-évaluation devra être mis en place à l’issue de ces assises pour veiller à l’application des recommandations. Quel que soit le schéma final qui sera retenu, le processus devra reposer sur le triptyque vérité, justice et réconciliation. Tout processus escamoté aboutira à une réconciliation de façade.

Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant Chercheur
Ouagadougou

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Vos commentaires

  • Le 3 février 2020 à 07:43, par MICHAILLARD Pierre En réponse à : Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

    Une seule exigence et qui est aussi la seule méthode :
    Vérité, Justice et Réconciliation. Pas de pardon possible hors de cette démarche

  • Le 3 février 2020 à 07:54, par Goulgoulé En réponse à : Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

    Tout est dit et bien dit,.. Avec tous le respect que j’ai pour les sages, je me demande comment ont-ils pu perdre la boussole de la justice qui permettra de regler les comptes et apaiser les coeurs ?

    un sage ne disait-il pas ceci : " O fils de l’esprit ! A mes yeux, ce que j’aime par-dessus tout est la justice ; ne t’en écarte pas si c’est moi que tu désires, et ne la néglige pas afin que je puisse me fier à toi. Par elle, tu pourras voir par tes propres yeux et non par ceux des autres"

    Les Sages sont-ils en train d’agir par eux même ou par les yeux de ceux qui sont redevable à la Justice ?

  • Le 3 février 2020 à 09:02, par le reservé En réponse à : Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

    analyse très pertinente, je vous tire mon chapeau.

  • Le 3 février 2020 à 09:43, par Le réaliste En réponse à : Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

    Analyse très réaliste. En effet, on comprend difficilement pourquoi la plupart des Burkinabè, tous les âges confondus, se sont laissés embarqués et transformés si négativement par les politiciens dont nombreux sont aujourd’hui dépassés mais malheureusement et honteusement toujours accrochés et pourtant très visiblement en fin de potentiel. Cet état de fait empêche ces gens de pouvoir dire la vérité face à toute situation aussi importante que sensible soit-elle, se contentant simplement de recueillir des avis des politiciens véreux et autres dits acteurs de la société civile à la recherche effrénée d’argent pour faire passer comme solutions. Dommage ! Dommage ! Dommage !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

  • Le 3 février 2020 à 12:09, par Zapata En réponse à : Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

    Tres belle analyse. Les memes acteurs de la journée nationale du pardon sont encore a la manœuvre. Ils ne sont pas tous sages, bien au contraire.

  • Le 3 février 2020 à 12:57, par MKouka En réponse à : Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

    Mr Yisso Bationo, permettez moi de signer votre message à vos côtés. Vous avez touche à l’essentiel. Merci. Plus on lit les interventions des uns et des autres sur cette sortie des "sages" plus il y a des éléments qui font douter de leur sagesse sur des questions aussi importantes pour notre devenir. Qui est exilé politique et concrètement comment doit-on faciliter son retour ? Presque rien sur les crimes de sang. Qu’est-ce le contenu et processus de la justice traditionnelle et quel avantage par rapport à celle conventionnelle moderne ? Rien de clair et enrichissant dans ça. Soyez donc pas étonnés que on vous suspecte de vouloir voler au secours des gens qui sont redevable à la justice.

  • Le 3 février 2020 à 14:50, par Sacksida En réponse à : Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

    D’abord, tout le monde parle de la Reconciliation Nationale sans toute fois definir ce qu’elle recouvre concretement en realite ? Une reconciliation entre des personnes, cela suppose des gens ont commis des actes reprehensibles sur d’autres personnes et qui ont subit des prejudices materiels et ou moraux
    Avant toute reconciliation, les presumes coupables soient traduit en justice ou bien dans un cadre ou ils reconnaitrons des faits de "crimes de sang" ou de "crimes sociales" sur des victimes et a l’issue de cela interviendront des reparations et ensuite la Reconciliation. C’est tout un processus qui ne se decrete pas. En outre, la Reconciliation n’est qu’un element dans un cadre plus global des problemes cruciaux que vivent les Burkinabe. Moi je suggere la convocation d’une Conference Nationale sur l’Etat de la Nation pour debattre et trouver des solutions pertinentes, perennes et transparentes sur des domaines suivants : Gestion equitables des ressources de l’Etat, Budget General, Repartition justes des Depenses, Mise a plat des Revenus et avantages des Dirigeants, Situation economiques des contribuables, Securite et Defense Nationale, Privatisation ou non des Grands secteurs de l’Etat, Education Nationale, Sante, Emplois des Jeunes et des Femmes, Reconciliation Nationale, etc car tous ces domaines participent de la Justice Sociale et de la Reconciliation Nationale avec tout le peuple integre Burkinabe. Il y va surement de la survie et de la renaissance du Burkina Faso. Salut.

  • Le 4 février 2020 à 09:51, par Zapata En réponse à : Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

    Merci M. Bationo d’avoir vite réagit pour éclairer l’opinion sur ce complot des "sages" qui pour la plus part ont perdu les avantages matériels et financiers que Blaise Compaoré leur donnait. En vérité, ce qu’ils proposent est juste pour ne pas passer par l’étape justice. Comme a leur habitude, ils diront "les torts sont partages, tout le monde a tort, tout le monde a raison" C’est a dire une hypocrisie de reconciliation pure et simple comme en 2001 avec la Journée Nationale du Pardon.

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