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Situation sécuritaire : « Dès 2012, des études avaient démontré que le Burkina était sous menace comme le Mali ; mais on a négligé les conclusions », magistrat-colonel à la retraite, Jean-Pierre Bayala

Publié le jeudi 11 octobre 2018 à 15h50min

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Situation sécuritaire : « Dès 2012, des études avaient démontré que le Burkina était sous menace comme le Mali ;  mais on a négligé les conclusions », magistrat-colonel à la retraite, Jean-Pierre Bayala

Comment en est-on arrivé là ? Un combattant qui tombe sur le front, un véhicule qui saute sur une mine, des citoyens burkinabè enlevés et exécutés froidement, des ratissages, des coups sporadiques portés à l’ennemi. Voilà des nouvelles qui nous arrivent régulièrement du front de la lutte anti-terroriste. En quelques années, le Burkina Faso a plongé. Ce ne sont surtout pas les citoyens du Sahel, du Nord et maintenant de l’Est, qui diront le contraire. Les forces de défense nationale payent-elles les conséquences d’une structure longtemps grippée par la politique ? Pourquoi le rythme des attaques s’accélère ? Sans tabou, et dans une perspective historique, le magistrat-colonel à la retraite Jean-Pierre Bayala parle du terrorisme. Ancien officier anti-terroriste et de prise d’otage, celui qui est par ailleurs expert du Groupe des Nations unies en matière de sécurité, donne des clés de compréhension sur l’hydre terroriste. Interview !

Lefaso.net : A la retraite depuis 2005, vous êtes quand même très actif sur différents fronts...

Magistrat-colonel Jean-Pierre Bayala (J.P.B.) : Il n’est pas conseillé d’être inactif. Quand vous choisissez la chaise longue, naturellement vous finissez par vous allonger très tôt. Il faut s’occuper. En ce qui me concerne, je dois beaucoup à l’Etat, pour m’avoir conduit à certain nombre d’activités, ce qui me donne un certain nombre d’expériences pratiques surtout en matière de sécurité, de justice et de sécurité intérieure. Je pense que j’ai un devoir de redevabilité à l’égard de mon pays. Par conséquent, il est important de partager ce que l’on a. Du reste, les connaissances ne valent que si elles sont partagées.

Lefaso.net : Depuis 2015, le Burkina Faso est en proie à des attaques de type terroriste. En tant qu’officier anti-terroriste, comment justifiez-vous que ce soit à partir de cette période que le Burkina Faso a commencé à vivre cette amère expérience ?

J.P.B. : Le terrorisme est aussi vieux que le monde. Dans la zone francophone, pour ce qui est de la France, la notion de terreur est apparue depuis la révolution de 1789. A partir de 1794, on a connu ce terrorisme qui, aujourd’hui, reste têtu. Personne n’est épargné de nos jours. Naturellement, dans le terrorisme, il faut rechercher les causes profondes.
C’est un mal et je ne crois pas qu’on puisse l’éradiquer, parce que le terrorisme est empreint, pour une grande part, à l’esprit humain. C’est en termes de comportement et tout ce qui naît dans l’esprit des hommes, c’est aussi dans l’esprit des hommes qu’il faudra le combattre, et non avec les armes et aîtres, tel qu’on aborde la chose.

En ce qui concerne le cas spécifique du Burkina, je dois dire qu’en 2012, alors que j’étais revenu des Nations unies, j’ai conduit une équipe de trois experts. Un en Droits humains et Etat de droit, le magistrat Kassoum Kambou, maintenant président du Conseil constitutionnel ; et Wilfried Aimé Bassolé, un macro-économiste. A la demande de l’Union européenne et de l’ambassade du Danemark, en accord avec le ministère de la Justice, nous avons mené une étude sur les zones du Nord et du Sahel. Il nous avait été demandé de voir quelles pourraient être les conséquences de la guerre du Mali, qui venait d’éclater, sur le Burkina Faso.

Pendant deux semaines, nous avons mené l’enquête. Nous sommes arrivés à la conclusion que le Burkina Faso était dans les mêmes conditions que le Mali, au lendemain de son attaque par les terroristes. Concrètement, cela voulait dire que nous étions sous menace. Malheureusement, on a peut-être méprisé les conclusions de l’étude. Ce qui n’a pas été le cas de la France qui, en ce moment, a fait venir ses forces de défense.

A l’époque, cela était fait même sans le respect des normes diplomatiques en la matière. Ayant pris acte de la menace immédiate, la France a parachuté ses forces sur notre territoire, sans autre forme de procès. Ces forces sont arrivées sans le respect de nos conventions. C’est comme si elles étaient venues en territoire conquis. Mais il y a une question d’intérêt en dessous. Depuis ce temps, dans cette zone, renforcé par la force Barkhane, on s’active pour l’implantation du G5 Sahel.

Pendant la guerre du Mali, les Touaregs qui étaient à l’origine avec l’aile armée AQMI (ndlr : Al Qaida au Maghreb islamique), étaient ici (ndlr : Ouagadougou). Ils étaient hébergés ici, ils allaient, venaient au Burkina. Certains allaient combattre au Mali pour revenir au Burkina Faso.
Les choses vont se précipiter à partir de l’insurrection, quand Blaise Compaoré quitte le pouvoir. Vous comprenez que la première réaction de ces terroristes a été une sorte de revanche ; leur hôte étant chassé du pays, ils étaient obligés de s’en aller avec armes et bagages et cela n’a pas été de gaieté de cœur. Depuis ce temps, les attaques continuent d’enflammer l’espace du territoire national.

Lefaso.net : Ce deal entre ces groupes terroristes qui avaient le gîte et le couvert au Burkina et certaines autorités d’antan n’est donc pas une vue de l’esprit ?

J.P.B. : Il ne faut pas aller vite en besogne en matière de terrorisme qui a plusieurs facettes, plusieurs facteurs déclencheurs ; il y a plusieurs causes. Vous avez le terrorisme idéologique, confessionnel, tel que l’Etat islamique ; et pratiquement l’ensemble de ces groupes le prône. Ce serait une affaire d’Allah, ce qui ne peut participer de la raison d’un être humain.
Comment Dieu tout-puissant peut-il commettre les hommes à forcer autrui à pratiquer telle religion ou telle autre ? Du point de vue théologique, on ne peut concevoir ce schéma pour les gens qui croient véritablement en un Dieu créateur qui donne à l’homme sa liberté de penser, de conduite.

Mais il y a des dessous qui sont multiples. Il y a aussi l’aspect économique, sécuritaire, éducatif, bref, dans tous les domaines où l’homme a besoin de satisfaire des besoins, il y a une facette terroriste. Voilà pourquoi il ne faut pas se confiner à une seule approche, au risque de mal embrasser le phénomène et d’aller vers des tâtonnements, vers des échecs...

Il est évident que nous avons un certain nombre de problèmes. Ils sont d’ordre structurel. Pour lutter contre le terrorisme, il faut s’y être préparé, il faut s’organiser rapidement, se donner les moyens pour l’empêcher d’atteindre son objectif qui est de créer la psychose, mettre en difficulté tout effort de développement. Pourtant, c’est dans l’absence de développement qu’on fait passer toutes ces pensées doctrinales, qu’on peut museler les peuples, les exploiter.

Lefaso.net : Dites-nous davantage sur les problèmes structurels...

J.P.B. : Pour revenir à l’aspect historique de la chose, il faut parler du départ de Maurice Yaméogo en 1966. Pour la première fois, la population a fait appel à un militaire au pouvoir. « L’armée du peuple au pouvoir », tel était l’un des slogans lancés. Lorsque les mêmes populations ont voulu aller à un véritable gouvernement politique, il y a eu la résistance du milieu militaire.
Joseph Ki-Zerbo a alors dit qu’on ne donne pas un os charnu à un chien pour le retirer, sans prendre les dispositions nécessaires. Les militaires ont pris goût au pouvoir. Pendant tout le régime de Lamizana, il était admis que dans les gouvernements, il y aurait des quotas de militaires à des postes stratégiques : finances, défense, etc...

Ayant goûté au fruit défendu, il était difficile qu’ils se retirent, bien qu’entre temps on ait connu la démocratie. Francois Mitterrand disait que l’aide de la France sera chaude ou tiède selon l’option de chaque pays à aller vers cette démocratie...

Nous sommes arrivés à la Révolution et c’est là que le drame, le chaos de nos forces de défense, va se produire. On a détruit la base de nos forces armées qui est la discipline, tant il est vrai qu’une armée sans discipline ne peut pas accomplir sa mission régalienne.
Pendant la Révolution, ce sont les soldats qui se réunissaient et proposaient leurs chefs. Un tel pour nous commander, un tel pour porter tel grade ; du coup, on est arrivé à une déstructuration totale de l’armée. Il y a eu des règlements de comptes au sein des forces armées, une sorte de mise sous coupe réglée des populations. Le déséquilibre social était là et, jusqu’ici, il met du temps à se reconstituer.

Ensuite, il y a eu l’insurrection arrivée dans un climat hostile. Il était question de repenser notre Constitution, nos régimes politiques, notre vivre-ensemble. De façon inattendue, pour les insurgés, il n’y avait pas de plan B. On a marché pour dire non à la modification de l’article 37, sans prévoir le départ du régime. Sous la pression populaire, le régime tombe.
En ce moment, que fallait-il faire ? Il fallait que les acteurs de l’insurrection se retrouvent rapidement. Un vide était créé, il fallait un choix consensuel pour tracer la ligne à suivre après un long règne politique. Là encore, la solution a été de réintroduire l’armée dans le sérail. Ce fut une insurrection inachevée et tout le monde a pu tirer les conséquences de cette situation. Les élections ont conduit au deuxième régime civil de notre histoire.

Pour établir une relation avec la situation que nous vivons, c’est que pendant ce temps, l’armée s’est dé-professionnalisée. On était à une tendance politique plutôt qu’à une défense du territoire national. Quand le terrorisme est arrivé, évidemment, une armée ne se construit pas en deux, trois ans. On n’élève pas un chien le jour de la chasse. Voilà l’effet de surprise générale qui est arrivé. Dans cette panique-là, il faut absolument repenser et très rapidement cette situation de défense pour éviter le chaos.

Lefaso.net : Les Forces de défense et de sécurité sont donc engagées dans la lutte dans une impréparation ?

J.P.B. : Est-ce qu’on avait envisagé ce schéma ? On était dans la logique d’une protection contre des guerres de type classique qui, du reste, se déclarent. On n’est plus dans ce schéma puisque les Nations unies proscrivent la guerre. C’est un crime pour un pays qui déclare la guerre. Il faut rester dans une attitude de défense de son territoire, quand bien même on n’est pas animé par des velléités de conquête. Lorsqu’on parcourt la politique de défense du Burkina, il est bien écrit que nous sommes dans une posture de défense.

Pourtant, il faut savoir que si l’on est dans une posture de défense, il faut présenter une attitude dissuasive à l’égard de celui qui serait tenté de vous attaquer. Là également, il fallait prendre ses précautions pour demeurer dans une attitude ou l’on peut repousser tout agresseur parce que l’on n’entend pas céder un pouce de son territoire.

Dans l’étude que nous avons menée sur le Sahel, au titre des défis et perspectives, c’est qu’à l’époque, il fallait revoir nos forces de défense, parce que le RSP (ndlr : Régiment de sécurité présidentielle) avait pris de l’ascendance sur toutes les autres forces, au point que l’armée était devenue une armée de figurants.
Tout se passait et se décidait au RSP, alors qu’au départ, le CNEC (ndlr : Centre national d’entraînement commando) de Po avait pour mission de former des commandos, des équipes légères qui, lors des situations de guerre, peuvent porter des coups très rapides et de surprise à l’adversaire et disparaître. Dès l’instant où on l’a amené au conseil pour le transformer en régiment présidentiel, naturellement, le CNEC s’est éloigné de ses missions.

Lefaso.net : S’est-il également politisé ?

J.P.B. : Naturellement, c’était l’œil et l’oreille de ce qui se passait au plan sécuritaire, avec des moyens conséquents puisque son arsenal, aucune des forces sur le terrain ne l’avait. Voilà le gros problème. Aujourd’hui, on est surpris dans cette situation et il se trouve que le terrorisme n’est pas une affaire nationale, purement militaire. C’est une situation dans laquelle il faut entraîner tout le monde parce que nous disons, dans le cadre des réformes de sécurité, que tout citoyen, quel qu’il soit, doit concourir à la lutte contre le terrorisme et à la protection de la société.

Lefaso.net : Parlons de là d’où les choses sont véritablement parties, le Sahel. Vous avez noté les différents aspects économiques, sécuritaires ; à ce tableau ne peut-on pas également ajouter le sentiment d’abandon, de délaissement d’une partie des Burkinabè qui ne se reconnaissent pas en l’Etat ?

J.P.B. : Ce sentiment d’abandon existe. J’ai commandé la région du Nord et du Sahel pendant sept ans. Même à la lumière de l’étude que nous avons menée, il y a un sentiment de rejet de la part de ces populations. Même au plan administratif, au temps de Maurice Yaméogo, quand il démettait un ministre, on l’envoyait au Sahel. C’était un centre pénitencier, c’est la réalité. Les militaires, dès qu’on vous y envoie, on vous éloigne du Centre.
Les populations n’ont pas ce sentiment d’appartenir au Burkina, parce que l’administration est peu présente. Lorsqu’on menait notre enquête, nous avons eu une rencontre à la justice et nous avons invité les populations pour leur faire comprendre que la justice est là pour elles.

Elles nous ont fait comprendre que si c’est à la justice, elles ne viendraient pas. En plein Dori, en 2012, une école de la ville avait quatre écoliers, le reste était dans la nature. A Gorom Gorom, nous avions besoin de quelqu’un pour nous faire comprendre par les populations. On a nous présenté à un jeune qui était en classe de 3e à Ouagadougou et qui a quitté pour rejoindre son troupeau. Quand on a voulu savoir pourquoi, il nous a fait comprendre que chez eux, lorsqu’on veut vous maudire, on dit que « tu deviendras fonctionnaire ».

Il faut que l’Etat soit fortement présent, la nature a horreur du vide. Les populations étant obligées de régler leurs problèmes dans telle frontière ou dans telle autre, se convainquent qu’elles n’ont pas d’appartenance nationale et c’est ce sentiment qui prévaut. Paradoxalement, c’est la zone où il y a le plus d’ONG. On dit couramment qu’on ne mobilise pas les gens autour de ce qui ne les regarde pas. Il ne faut pas leur imposer ce que vous estimez être utile, il faut procéder par la sensibilisation.

Le drame, c’est ce qui se reproduit au niveau de la sécurité. Ceux qui viennent de l’Occident pour nous aider, ce sont eux qui conçoivent notre système de défense, notre politique. L’Afrique et le Burkina se sont libérés du joug colonial, il ne faut pas s’attendre à ce que le même colon revienne pour nous montrer la voie du développement.

Lefaso.net : De la région de Sahel, la menace terroriste a étendu ses tentacules vers la région de l’Est. Pourquoi cette progression en si peu de temps ?

J.P.B. : Tactiquement, ça se comprend lorsqu’on entre dans la stratégie militaire. Quand on est dans une vision de la terreur, la terreur ne saurait être partielle. Il faut faire vibrer l’ensemble du territoire national. Au-delà de cela, après avoir sévi sur le Sahel, dans les circonstances du moment, l’Est présente une zone à fortes capacités pour de telles opérations.
Le couvert végétal est là, le grand banditisme sévissait aussi dans la région. Vous voyez qu’ils agissent avec des mines artisanales. Ces mines sont peu efficaces dans les régions du Nord et du Sahel. Parce qu’il n’y a véritablement pas de piste. Quand je sortais pour mes tournées en pleine saison sèche, je ne savais pas où je passais et par où je revenais. A l’Est, il y a des pistes empruntées par tous. C’est plus facile de miner une piste que de miner un désert ; à moins d’en faire un immense champ. Il y a donc un aspect stratégique.

En plus, les terroristes veulent donner le sentiment qu’ils frappent où ils veulent, qu’ils occupent l’ensemble du territoire par des mouvements rapides.

Lefaso.net : En tant qu’officiers anti-terroriste, comment appréciez-vous la gestion de tout cet embrasement par les autorités actuelles ?

J.P.B. : Il ne faut pas incriminer les autorités. Le terrorisme est l’affaire de tous, et surtout pas une affaire essentiellement militaire. C’est de là que naît l’incompréhension aujourd’hui entre les forces de défense et les populations, entre les tenants du pouvoir et ceux qui ne partagent pas ses options, l’opposition. Amenez n’importe qui au pouvoir au Burkina, il vivra une situation encore plus difficile. Pour le terroriste, s’il y a une fracture, c’est pour lui permettre de redoubler d’efforts dans ses frappes.
Pas de temps de répit. Dans la guerre classique, le renseignement était pour 95% dans la victoire d’une armée. Sans renseignement, les forces de défense sont inopérantes. A défaut de mieux, il y a le renseignement humain. C’est d’ailleurs ce qui peut nous convenir en tant que pays pauvre.

Les drones coûtent excessivement cher. Au-delà de la collecte de ce renseignement, il faut le traiter, réagir promptement. Quand ça permet de passer dans la prévention ou la réaction, il faut avoir une armée professionnelle, consolidée. Malheureusement, le rythme des attaques ne permet pas de mieux former nos hommes. C’est au contact du feu qu’il faudra s’affirmer et pour le faire, il faut que les populations fournissent les renseignements nécessaires qui consisteront plutôt à prévenir et à surprendre ces terroristes.
Cela nécessite la coordination des forces régionales, sous-régionales. Les frontières sont poreuses et aucun pays ne peut aligner des troupes le long de sa frontière. C’est cette conscience nationale que chacun doit nourrir. Il ne peut y avoir de miracle sans le renseignement, sans collaboration avec les populations.

Lefaso.net : Le système de renseignement burkinabè n’est-il pas désarçonné à la suite de tous les remous que le pays a vécus ces dernières années ?

J.P.B. :
La question du renseignement était le monopole du RSP qui n’avait pas une vocation nationale. Protéger la présidence et autre était tout à fait normal et ils se concentrés et centrés sur la sûreté et la sécurité du régime. Mais au niveau du pays lui-même, où il faut des renseignements sur les velléités du voisin, leurs intentions... On s’était mis en tête que la menace ne pouvait venir que de ceux qui veulent prendre le pouvoir. Quand on est concentré sur ce genre d’intérêt sélectif, ça devient très difficile de penser à une situation qui viendrait de l’extérieur.

Lefaso.net : Le Burkina Faso doit donc se résoudre à vivre davantage cette situation pour les années à venir ?

J.P.B. : Je ne serai pas un mauvais devin pour dire qu’on va connaître pire, mais ce qui est sûr, le rythme accéléré que nous vivons exige une riposte de tous. Ne serait-ce que par le fait d’éventer ces attaques, d’avoir le renseignement, de prévenir ou de réagir aussitôt. En tout cas, en prenant des mesures qui sont dissuasives.

Prenez ce qui se passe autour du G5 Sahel, il y a combien de forces sur le même terrain ? Sans idée de coordination, de collaboration. Il y a même le risque que vous vous combattiez sur le terrain. On risque d’être dans une sorte de compétition pour savoir qui est le meilleur sur le terrain. Pourtant, si vous êtes ensemble, c’est pour agir ensemble.
L’idée du commandement unifié vous oblige à mieux planifier vos opérations. Quand on attaque le Burkina, si le signal est envoyé aux pays voisins que les assaillants ont pris telle ou telle direction, tout de suite, on déclenche un système d’accueil. On prend les fuyards dans la nasse, en étau. Mais quand on attaque le Burkina et les terroristes fuient vers le Mali qui ne met aucun dispositif d’accueil, que faites-vous ? Le territoire de repli devrait être un territoire de combat.

Il y a le terrorisme à effet transfrontalier et à effet transnational. Transfrontalier, cela nous ramène à l’étanchéité des frontières. Il faut ouvrir les frontières pour éviter de constituer un territoire de repli de ceux qui attaquent. Transnational, vous avez vu le cas de Grand Bassam. C’est-à-dire que l’opération se prépare au Mali ou au Burkina et s’exécute dans un autre pays.
Cela veut dire que sur le terrain, il y a des gens qui s’activent de façon à ce qu’ils puissent quitter le pays sans armes, sans moyens, pour se retrouver pour mener des actions.
C’est la complexité de l’équation. Un simple renseignement permet une économie de forces, une économie de moyens.

Lefaso.net : Votre réaction sur la question des moyens. Quand l’on entend qu’un véhicule a sauté sur une mine, l’on se demande comment on peut envoyer des hommes en terrain hostile et miné, dans des véhicules non-blindés...

J.P.B. :
Vous savez, les efforts de guerre coûtent excessivement cher. Supporter une guerre pendant une semaine dans le système classique, votre économie est toute ruinée. Pour un Burkina où il y a des défis partout, tous les maux propres à un pays pauvre (...). C’est pourquoi il est important que cette approche soit solidaire, sous-régional, régional, continental, comme le disait le secrétaire général des Nations unies dans un de ses rapports. On ne trouvera de solution au problème terroriste en Afrique que lorsque le continent aura une stratégie commune de défense. Mais de façon isolée, chacun portera sa croix.

En ce qui concerne le Burkina, il ne saurait y avoir de miracles en la matière en dehors de l’élan patriotique pour qu’on puisse déjouer, sinon réduire certaines attaques qui se sont produites de façon surprenante. Au-delà des moyens, il y a forcément le professionnalisme sinon on risque de s’équiper pour l’ennemi. S’ils emportent vos moyens, ce sont eux qui en profitent. Si les moyens ne sont pas utilisés de façon rationnelle, opérationnelle et professionnelle, cela peut servir de ravitaillement aux terroristes. L’effet de surprise fait qu’il est difficile de rebondir très rapidement en termes d’efficacité, d’efficience.

Lefaso.net : A chaque attaque son lot de polémiques au sein de l’opinion. Qu’avez-vous à dire en de pareilles circonstances ?

J.P.B. : Certes, tout le monde est sous le coup du choc, mais je crois que nous allons vite en besogne. Il faut savoir se donner une certaine sérénité entre autorité, population et forces de défense. Ne pas croire que seuls les moyens permettront aux militaires et policiers d’endiguer le phénomène. Il faut mettre tout en étroite connexion, avec la coopération régionale, sous-régionale. Les terroristes seront pris en étau quand ils sauront qu’en s’attaquant au Burkina, ils ne pourront ni se replier au Mali, ni se replier au Niger...

Un effort conjugué de tous les citoyens, une prise de conscience de tous les citoyens burkinabè s’imposent. En même temps que nous participons à la collaboration avec les Etats voisins. Soit nous vaincrons ensemble, soit nous périrons ensemble. Personne ne vivra sur un îlot de paix. Allons ensemble, gagnons ensemble ou, à défaut, mourrons ensemble. Ce n’est pas une question de régime, ce n’est pas une question purement militaire, c’est une question de solidarité nationale, internationale et humaine.

Interview réalisée par Tiga Cheick Sawadogo (tigacheick@hotmail.fr)
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