LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

« Les OSC n’ont pas vocation à aller au gouvernement … », Ismaël A. Diallo, porte-parole du FRC

Publié le lundi 21 décembre 2015 à 23h19min

PARTAGER :                          
« Les OSC n’ont pas vocation à aller au gouvernement … », Ismaël A. Diallo, porte-parole du FRC

Ismaël A. Diallo est un observateur averti de la scène politique nationale. Porte-parole du Front du renforcement de la citoyenneté (FRC) depuis fin 2014, ce septuagénaire a construit l’essentiel de sa carrière de diplomate dans le système des Nations Unies. En 1982, il est affecté à Ouaga pour ouvrir le Centre Régional d’information des Nations Unies. Puis arrive la Révolution. Il tisse des liens d’amitié très forts avec les premiers dirigeants de la Révolution, notamment Thomas Sankara puis Blaise Compaoré. Dans l’entretien qui suit, il revient sur son rôle pendant cette période, ses tentatives de conciliation entre les deux amis que la gestion du pouvoir a mis à l’épreuve au fil des années. Actualité oblige, il revient largement sur les élections passées, les chances de succès du nouveau pouvoir, ses craintes et appréhensions. On ne pouvait pas non plus passer sous silence la situation au Burundi, un pays qu’il connait bien pour y avoir résidé comme Représentant des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et l’Etat de Droit.

Mutations : Le Burkina vient d’organiser ses élections couplées et tout le monde s’accorde pour dire qu’elles se sont bien déroulées. Comment avez-vous vécu cette expérience démocratique en tant qu’acteur important de la société civile ?

Ismaël A. Diallo :Les élections passées ont été l’occasion d’une expérience exaltante car l’espoir et la peur se côtoyaient ; la volonté -ferme- des Burkinabè de relever les défis et faire mentir les sceptiques a produit des élections tout à fait convenables. Nous avons, encore une fois et ensemble, donné la mesure de notre capacité à mériter le Burkindi.

Vous dites que l’espoir et la peur se côtoyaient lors de ces élections. Quelles étaient vos appréhensions ?
Comme beaucoup d’autres personnes, j’appréhendais une action quelconque pour perturber les élections ; d’où qu’elle vienne ; simplement pour nous empêcher des élections paisibles et prouver que le pays n’est pas stable.

Certains acteurs de la vie politique et syndicale ont appelé au boycott des élections. Selon eux, le système électoral ne permet pas de faire aboutir des réformes radicales de transformations de nos sociétés et de préserver l’indépendance vis-à-vis des puissances impérialistes. Quelle lecture faites-vous de cette posture ?
Ces acteurs auraient bien fait, feraient bien de sortir du bois et combattre à visage ouvert ; suggérer les "réformes radicales" et énoncer ce qu’il faut faire pour "préserver l’indépendance vis-à-vis des puissances impérialistes" ; lisant ces mots, je me revois dans les années 50-60 ! On a le droit d’avoir des convictions, pas celui d’avancer en regardant le rétroviseur. Nous sommes engagés à construire une nation et promouvoir le bien-être de tous ; pas à rêver éveillé ou laisser son rêve "être son maître".

Le candidat élu est passé dès le premier tour de l’élection. Comment expliquez-vous sa performance là où beaucoup pensaient qu’il y aurait nécessairement un second tour ?

Le MPP avait à l’évidence la machine électorale la plus performante, en personnel et en "moyens" comme on dit.

Cette victoire de Roch Kaboré et du MPP consacre le retour des anciens caciques du parti de Blaise Compaoré au pouvoir. Dans d’autres pays également comme le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, etc. ce sont d’anciens dignitaires au pouvoir que les électeurs ont porté au pouvoir. On a l’impression que la majorité des électeurs africains ont tendance à accorder une prime aux anciens dirigeants. Comment peut-on expliquer cette tendance ?
Les "anciens caciques" - "anciens dignitaires" - "anciens dirigeants" constituent un groupe rodé à l’exercice du pouvoir, avec un avantage réel sur les autres compétiteurs ; ils ont des réseaux et "des moyens" plus efficaces ; de surcroit, ils bénéficient de rapports probablement plus étroits et déterminants avec de nombreux électeurs qu’ils ont, au fil des ans, fidélisés.

On peut donc avoir un bon programme politique et rester inaudible auprès des populations. Dans ce cas, on n’est pas à la veille de vrais projets de rupture au pouvoir car généralement leurs promoteurs n’ont pas assez de moyens et n’ont pas une expérience du pouvoir.
Sur le premier aspect, à savoir "avoir un bon programme politique et rester inaudible auprès des populations", j’observe que la plupart des gouvernements à travers le monde communiquent mal et/ou pas assez, de surcroit, ils ne sont pas proactifs et se retrouvent à courir après des éclaircissements, des explications alambiquées. Sur le deuxième aspect de votre question sur l’improbabilité de voir rapidement arriver au pouvoir de "vrais projets de rupture", je pense que c’est là que l’opinion nationale attend le nouveau président : démontrer qu’il n’imprime pas une continuité du régime déchu. Enfin sur le dernier aspect selon lequel "les promoteurs des vrais projets de rupture n’ont pas assez de moyens et n’ont pas une expérience du pouvoir", je veux penser que la direction du MPP a "les moyens" et l’expérience du pouvoir, ce qui l’interdit tout tâtonnement, avec très peu de marge pour des erreurs de gouvernance.

Selon vous, quelles actions phares doivent poser rapidement les nouveaux dirigeants pour marquer réellement la rupture avec l’ancien système de Compaoré ?
Le rétablissement de l’autorité de l’Etat dans tous les domaines ; le respect par les employés du secteur public des lois et règlements qui gouvernent leurs activités ; la réhabilitation véritable de la Justice ; des actes tangibles de lutte contre l’impunité et la corruption ; la promotion de la citoyenneté. Jusqu’où pourront-ils/voudront-ils aller ?

Dans ce sens, quel doit être le profil du nouveau Premier ministre ?
Sens aigu de l’Etat, compétence, désintéressement, équité, esprit ouvert, volonté agissante de progrès ; observer des étapes, tous les 9 mois par exemple, pour une appréciation sans complaisance de la mise en œuvre du programme du président ; être sincère avec le peuple ; avoir une excellente politique communicative.

Avec les qualités que vous énumérez pour le poste de premier ministre, voyez-vous un homme ou une femme politique du sérail politique actuel pour l’incarner ?

Je ne citerai aucun nom évidemment, mais il y a avec certitude une femme ou un homme qui répond à ce profil.

Les alliances sont en discussion entre le MPP et d’autres partis pour former une majorité parlementaire. Ne craignez-vous pas que ces alliances grèvent les postes ministériels ?
Voulez-vous dire que les alliances risquent de produire une inflation des postes ministériels ? Si oui, tout dépendra de la feuille de route de chaque ministre et des étapes de contrôle/appréciation du travail de chaque membre du gouvernement.

Salif Diallo, le 1er vice-président du MPP, appelle à la formation d’un gouvernement d’alliance populaire, y compris avec les Organisations de la société civile (OSC). Le Front de résistance citoyenne (FRC) dont vous êtes le porte-parole est-il prêt à en faire partie ?
Les OSC n’ont pas vocation à aller au gouvernement ; elles doivent rester des sentinelles de l’Etat de Droit et de la gouvernance. Cependant, le président/premier ministre peut appeler tout-e Burkinabè à une fonction donnée pour sa compétence et pour une période déterminée ; dans ce cas, ce-tte compatriote se met en congé de la société civile.

Etes-vous disposé à répondre à l’appel si le président vous proposait le poste des Affaires étrangères quand on sait que vous connaissez bien la scène internationale pour avoir été longtemps un diplomate de formation et de carrière ?
Affaires étrangères ou tout autre portefeuille ministériel, je ne me hâterai pas de dire ’Oui’ avant de connaitre ce qu’il attend de moi ; cette éventualité au demeurant est très peu probable.

Pourquoi êtes-vous sceptique sur l’éventualité qu’on vous fasse appel au gouvernement ?
Pourquoi devrais-je m’attendre à être "appelé" ?

Au cours de la Transition, de nombreuses réformes ont été faites. Lesquelles méritent d’être poursuivies ou appliquées par le nouveau régime ?
La plupart probablement ; certaines décisions et instances méritent cependant d’être corrigées ou rapportées ; quand l’intention était bonne, la mise en œuvre a pêché.

Quelles sont selon vous les réformes dont la mise en œuvre a pêché malgré les bonnes intentions ?

Plus d’une que je ne me risque pas d’énumérer de mémoire ; tout comme la composition de certaines instances qui ne reflète point la diversité culturelle/civilisationnelle de notre pays.

Tout le monde est d’accord pour qu’on passe à une 5ème République. Comment voyez-vous le schéma de ce passage à une nouvelle République ?

Comme l’a expliqué le président élu : passer à la 5ème République au cours du premier trimestre par l’explication pour obtenir l’adhésion de (presque) tous.

De quelles instances qui ne refléteraient pas la diversité culturelle et civilisationnelle de notre pays parlez-vous ?
Le comité des Sages installé par le président de la Transition suite au coup d’Etat de septembre, par exemple. L’organe chargé de la réforme de l’Armée constitué uniquement de militaires est un autre exemple d’instance qui sera dominée par ...une "pensée unique" ; on a vu ce que le comité nommé par le président de la Transition et présidé par Gilbert Diendéré a apporté comme réponses pour la restructuration du RSP.

Que pensez-vous de la proposition de création d’un Haut Conseil de sages pour l’unité et la cohésion nationale ?
Encore un autre organe ! Qui se révélera superflu et inopérant à l’expérience. L’unité et la cohésion nationale ne se construisent pas par le haut, ni à partir de Ouaga et essentiellement en français.

Comment doit-on choisir ses membres ?

Il faut repenser la question : que veut-on vraiment ? Qu’est-ce que "l’unité nationale" ? Que met-on dans le sens de "cohésion nationale" ? Il faut s’extirper de la cage dans laquelle certains compatriotes se sont enfermés ; au point de ne même plus se rendre compte du grand écart qu’ils créent dans les initiatives, nominations, décisions de portée nationale, et entre nos groupes culturels et sociaux. Une vision et habitude ethnocentriques et régionalistes sont forgées -comme si de rien n’était- , qui nous éloignent les uns des autres, faisant naitre des frustrations pour l’heure susurrées, murmurées ; au détriment de la cohésion nationale qu’on veut créer et consolider par ailleurs. J’entends déjà pousser de grands cris, voire des cris de guerre ! M’accusant d’inciter à la division, jurant que rien de ce que je suggère n’a le moindre début de fondement. Je suis habitué à paraitre l’oiseau de mauvais augure ... avant que l’alerte se transforme en fait têtu.

Serez-vous candidat aux élections municipales à venir dans la vôtre ville de Dori ?
Pourquoi Dori ? Je suis de Kaya d’abord, comme je suis de Ouaga et de tout hameau, village, toute commune du Faso, au mépris des simples d’esprit qui qualifient d’étrangers les Burkinabè qui ne sont de leur terroir. Ceci dit, je ne serai pas candidat aux élections municipales à venir à Dori.

Le Burkina a commémoré le 17ème anniversaire de l’assassinat de Norbert Zongo le 13 décembre dernier. L’évolution du dossier vous satisfait-elle ?

Elle sera satisfaisante quand toute la vérité sera dite et que la justice sera appliquée.

En tant qu’ancien proche de Sankara, comment voyez-vous l’évolution de son dossier judiciaire ?
Disons "ancien camarade et ami" de Sankara ; espérons que le dossier sur les circonstances de son assassinat suive son cours jusqu’à ce que toute la vérité soit dite.

Gilbert Diendéré a été inculpé dans le dossier Sankara pour complicité d’assassinat. Ce qui présage d’une probable inculpation de Blaise Compaoré qui est réfugié en Côte d’Ivoire. Le nom de Guillaume Soro revient également avec insistance dans le dossier du putsch de septembre dernier. Avec toutes ces affaires, comment voyez-vous les relations entre le Burkina et la Côte d’Ivoire dans les mois à venir ?

Le président RMCK a déclaré qu’il n’y a pas de problème entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ; c’est vrai pour l’heure, mais il nous faudra connaitre la vérité sur l’implication -ou non- de certaines personnalités ivoiriennes dans le coup d’Etat de septembre passé. Si rien n’est avéré, tant mieux ; si les allégations venaient à être confirmées, les personnes incriminées devront répondre de leurs actes. Il ne faut pas que cette question reste sans réponse ; elle doit être élucidée.

Vous avez joué un rôle discret et important sous la Révolution. Quelle a été votre contribution dans le processus révolutionnaire ?

Mon rôle n’a pas été plus important que celui de beaucoup d’autres camarades et sympathisants ; des archives existent sur les contributions des uns et des autres ; pas pour tous probablement ; les miennes existent à l’exception de trois écrits rédigés dans l’avion ; j’avancerai quelques petits exemples : j’ai suggéré à Thomas de placer une étoile OR (pas jaune) sur le drapeau, d’autres ont fait de même peut-être ; j’ai également suggéré de remplacer les insignes/"barrettes" désignant les grades des militaires par des étoiles (le Front populaire s’est empressé d’abandonner les étoiles pour revenir aux insignes anciens) ; en outre l’établissement pour les soldats de carnets médicaux pour obtenir des médicaments dans les pharmacies, plutôt que d’arpenter les rues de Ouaga à vélo avec une ordonnance à la main à la recherche du Bon Samaritain ; l’importance pour le PF d’être à l’heure aux cérémonies, remarque faite après le grand retard accusé à la célébration de la fête de l’Armée le 1er novembre 1983 ; il s’est d’ailleurs fait représenter par Blaise ce jour-là ; Je précise que bien d’autres suggestions n’ont pas prospéré ; parce qu’elles étaient considérées osées ou prématurées ; comme repenser la politique carcérale ou comment alphabétiser (presque) tous les Burkinabè le plus rapidement possible.
Le Dytaniè, notre hymne national-pour la petite histoire et parce qu’il y a beaucoup de supputations- a été écrit par Patrick G. Ilboudo ; texte relu et amendé par Thomas Sankara.
J’espère que tout le monde -au Faso et ailleurs- sera invité à contribuer à l’écriture de la grande histoire de ce que nous avons voulu être une RDP (Révolution Démocratique et Populaire).

En octobre 1987, vous avez tenté une médiation pour rapprocher Thomas et Blaise. Qu’est-ce qui les opposait fondamentalement pour provoquer une telle crise entre eux ?
Trop long à raconter dans une interview ! Un faisceau de suspicions, de calomnies, d’envie, de jalousie, de déviation ethnique, d’influences négatives diverses,...

Qu’est-ce qui a fait échouer votre médiation ?
Trop peu et trop tard ! La gangrène ne pouvait plus être résorbée, le destin devait s’accomplir ; comme celui du 31 Octobre 2014 ; si les hommes apprenaient du passé ? et des erreurs des autres, mais, hélas !...

Quel portrait pouvez-vous dresser de ces deux personnages historiques de la Révolution ?
Thomas = une quête têtue de matérialiser l’idéal, une ardeur brulante à créer le bien- être pour tous, une folle témérité, une intelligence aigue, ...
Blaise = le souci constant d’impressionner, d’inviter respect et admiration comme pour conjurer un déficit de ...self esteem, un charmeur, une intelligence méthodique, un félin qui fait patte de velours, ...

La situation au Burundi se dégrade mois après mois. Des massacres ont été perpétrés ces derniers jours. En tant qu’ancien représentant des Nations Unies pour les droits de l’homme et de l’Etat de Droit (Human Rights & Rule of Law), comment expliquez-vous la résurgence de la violence dans ce pays ?

La bêtise humaine tout simplement car il n’y a aucune explication sensée, intelligente. Une débauche de violence idiote, un recours aux meurtres et assassinats dans une fuite en avant imbécile.
N.B. : j’utilise les mots "intelligente - idiote - imbécile" dans leur sens premier, pas pour injurier.

Devant l’impuissance des pays de l’Afrique de l’Est et de l’Union africaine, ne faut-il pas déployer une force d’intervention des Nations Unies sur le terrain pour stopper la spirale de la violence contre les populations civiles ?

Une force des N.U. de surcroit "d’intervention" est fastidieuse à mettre en œuvre, avec des résultats souvent aléatoires ; plusieurs centaines voire des milliers de morts auraient été comptés avant ; les forces des N.U. pêchent par des mandats restrictifs, obligeant le soldat à rester l’arme au pied ; au demeurant, le président burundais s’oppose à l’arrivée d’une force ; il constitue l’obstacle principal pour un retour à la paix civile ; Il faut, hélas ! attendre que la raison revienne, mais quand et à quel coût ? Comme beaucoup de ses prédécesseurs, Nkurunziza s’est enfermé dans une logique qui lui sera fatale. Il n’abandonnera le pouvoir que contraint et forcé.

Interview réalisée par Idrissa Barry
www.mutationsbf.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique