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PLAINE AMENAGEE DE NIONFILA : Des producteurs demandent le départ des encadreurs

Publié le mercredi 13 avril 2011 à 02h56min

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Plus de 400 producteurs, établis sur la plaine aménagée de Nionfila dans la commune rurale de Douna, située à une dizaine de kilomètres de Sindou, chef-lieu de la province de la Léraba, ont battu le pavé le mercredi 6 avril 2011 jusqu’à Sindou. Objectif, transmettre au haut-commissaire, Anatole Yabré, une lettre dans laquelle ils protestent contre les agissements de leurs encadreurs et du comité dirigeant. Dans cette lettre, et à partir de leurs déclarations sur place au haut-commissariat, les producteurs se disent désabusés. Ils accusent le comité d’irrigants présidé par André Kara et l’équipe d’encadreurs avec, à sa tête, Mamadi Bélem, de spolier les producteurs.

A notre arrivée à Douna, rien ne laissait voir qu’une grande manifestation se déroulait. La ville était plutôt calme et chacun vaquait à ses occupations. Notre premier interlocuteur, un mécanicien de motos, nous dira que plusieurs centaines de producteurs de la plaine de Nionfila se sont effectivement réunis dès 7 h le matin à la préfecture avant de mettre le cap sur Sindou. Parmi eux, confie-t-il, il y a des femmes, des vieux et des enfants. De mémoire d’homme, fait-il savoir, c’est la première fois qu’il y a une marche de protestation à Douna. Alors, nous avons mis le cap à notre tour sur la cité des pics.

Au haut- commissariat, où nous sommes arrivés vers 11 h et demi, les manifestants étaient effectivement présents dans la cour aussi nombreux comme nous l’avait dit notre témoin de Douna. Le premier responsable de la province, Anatole Yabré, ayant décidé de s’entretenir sur le champ avec eux. Celui-ci avait à ses côtés le secrétaire général de la province, un officier de la police et le commandant de compagnie de la gendarmerie. Face à lui se trouvaient assis sur un banc des notables de Nionfila. Les autres, visiblement plus jeunes, avaient formé un cercle au milieu duquel se trouvaient les deux premiers groupes de personnes cités plus haut. Pancartes en mains, ils applaudissaient aussi leurs camarades ainsi que le haut-commissaire lorsque celui-ci annonçait des mesures qui leur sont favorables. Sur les pancartes, on pouvait lire qu’ils demandent le départ immédiat des encadreurs, l’arrêt de la corruption sur la plaine et surtout le bilan financier de la campagne agricole passée.

Selon Siaka Son, un des porte-parole des producteurs, la marche vise à montrer le ras-le-bol des paysans vis-à-vis de ce qui se passe sur la plaine. Il est vrai que lorsque nous avons prévenu le haut-commissaire de la marche à travers un courrier, il a souhaité au regard de la situation nationale caractérisée par des manifestations violentes un peu partout, que nous y renoncions. Mais l’ensemble des producteurs n’étaient pas satisfaits du compte-rendu que nous leur avons fait à notre retour de Sindou. Alors, ils ont décidé de maintenir la marche surtout lorsqu’ils ont appris que Nicolas Dah, le signataire du préavis de la marche, a été menacé au téléphone par le haut-commissaire", nous a confié le porte-parole.

Trois ans sans bilan

Les producteurs de la plaine de Nionfila disent qu’ils sont victimes de plusieurs exactions orchestrées par le comité dirigeant avec la bénédiction du chef de la plaine, Mamadi Bélem . "C’est le cas par exemple des parcelles de la zone dite zone d’hippopotame qui ont été retirées aux femmes", relève Siaka Son qui explique qu’il y a quelques années, les femmes installées dans la partie rizicole de la plaine ont abandonné leurs parcelles à cause des dégâts causés par les hippopotames. Les dégâts empêchaient les femmes de rembourser leurs crédits d’intrants contractés chaque année.

Ces parcelles ont alors été remises à d’autres personnes par le comité dirigeant avec la promesse que dès que les dozos, qu’ils ont engagés, parviendront à chasser les hippopotames et à sécuriser la zone, elles redeviendront la propriété des femmes. Mais, regrette Siaka Son, "Voici 2 ans que les hippopotames sont partis et la restitution des parcelles n’est toujours pas effective". Selon les marcheurs, la plupart de ces nouveaux attributaires de parcelles rizicoles sont des membres du comité dirigeant, de l’équipe d’encadrement et des fonctionnaires qui servent dans le village. De plus, ajoute le porte-parole des grogneurs, le comité dirigeant tente par tous les moyens d’asservir les producteurs. Et d’ajouter que depuis 2007, année de leur installation, ils n’ont jamais fait le moindre bilan financier. Siaka Son précise que le comité dirigeant est soutenu dans cette voie par le chef de la plaine, Mamadi Bélem, qui dit que le mandat du comité n’est pas encore fini et que, par conséquent, les producteurs ne peuvent exiger de lui un bilan.

Les dotations de la FAO facturées

Suite aux inondations de 2007, ajoute un des marcheurs rencontrés à Sindou, la FAO, lors de la campagne de 2008, a doté gracieusement les producteurs d’engrais, de semences et de pesticides. "Mais à notre étonnement, lorsque nous étions en pleine campagne, le comité dirigeant a fixé un prix à payer sur la dotation de la FAO. Chaque producteur était alors obligé de débourser 13 500 F CFA pour le NPK et 12 500 F CFA pour l’urée", fait savoir le marcheur avant d’ajouter : " Nous sommes même victimes de vols quand vient le moment de peser la production destinée à la vente". Dans le sac de 50 kilogrammes de céréales, explique un producteur, le comité dirigeant en met 52 prétextant que les 2 kilogrammes supplémentaires représentent le taux d’humidité". Comme si cela ne suffisait pas, reprend Siaka Son, le paysan demeure responsable de sa production même après la pesée.

"Tant que le partenaire ne vient pas enlever les sacs du magasin, vous n’obtenez aucun sou. Tant pis pour les producteurs en cas de destruction", déplore-t-il. En 2009 par exemple, renchérit M. Son, le comité nous fait savoir que le Service national des semences a déclassé une partie de notre production. « Cette partie déclassée émanait de la production des responsables qui n’arrivent pas à s’occuper convenablement des grandes superficies qu’ils se sont taillées sur la plaine. De ce fait, leurs productions ne répondent pas aux exigences de la semence et c’est l’ensemble des producteurs qui ont dû supporter cette perte », ajoute-il, amer. Pour les producteurs mécontents, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase est intervenue en 2009 lors de la 4e campagne. Les pesées ont été faites au cours du mois de mars et les inondations de septembre ont trouvé la production dans le magasin.

« Là aussi, nous avons été obligés d’assumer cette perte comme si nous avions empêché l’acheteur de procéder à l’enlèvement de ses sacs », expliquent certains. D’autres causes de frustration ont été évoquées par les marcheurs. C’est le cas des retenues sur la vente et des multiples cotisations qui, selon eux, ne tiennent pas compte de la réalité des paysans. Si bien que plusieurs producteurs bouclent les campagnes sans engranger le moindre sou. Pendant ce temps, disent-ils, les membres du comité dirigeant vivent comme des "pachas" ou mènent une vie de super fonctionnaires. Rencontres capitales les 23 et 30 avril prochains

Le haut-commissaire de la province, Anatole Yabré que nous avons rencontré à son bureau, pense que la réaction des producteurs a beaucoup traîné. "Les producteurs de la plaine de Nionfila ont reçu la visite de plusieurs ministres qui ont toujours été disposés à les écouter. Mais jamais ils n’ont évoqué les problèmes qu’ils posent aujourd’hui alors qu’ils les vivent depuis des années", a déploré le haut-commissaire. Pour lui, à travers cette manifestation, les producteurs voulaient s’assurer par eux-mêmes que l’administration prend à bras-le-corps leurs problèmes. "C’est pourquoi nous les avons reçus séance tenante et ce, de 9 h à 13 h, fait savoir M. Yabré. Pour le haut-commissaire, les marcheurs ont posé des problèmes dont certains sont urgents à résoudre comme celui des parcelles retirées aux femmes.

"Quand on sait que les femmes sont des productrices sûres et que la plaine de Douna est d’ailleurs l’apanage des femmes, il y a lieu de se pencher très vite sur cet aspect", a estimé le haut-commissaire. Dans ce sens, Anatole Yabré a prévu de recevoir les productrices dans son bureau le 23 avril prochain. Une semaine après, c’est-à-dire le 30 avril 2011, il rencontrera l’ensemble des producteurs. "Au cours de cette rencontre, nous répondrons aux préoccupations des producteurs et le comité dirigeant fera le bilan de la dernière campagne parce qu’il n’est pas normal pour une structure de fonctionner durant 4 ans sans bilan", a-t-il conclu. Siaka Son et ses camarades ont fait savoir que chaque fois qu’une autorité est venue à la plaine, le comité dirigeant et les encadreurs les empêchent de parler. Concernant le bilan à faire, ils exigent que pour chacune des 4 années de mandat, le comité dirigeant dresse un bilan qui ressort les différents éléments de la campagne. "Nous voulons connaître par an les quantités d’engrais offertes par la FAO de même que la quantité des semences pesées et vendues au compte des producteurs. Nous voulons aussi que les bordereaux d’enlèvement des partenaires de la vente soient retrouvés pour qu’on en fasse le point", a d’ores et déjà exigé Siaka Son qui soutient qu’aucun producteur ne connaît, à ce jour, les fonds que la FAO met à la disposition de la plaine.

Mamadi Bélem et André Kara se défendent

Pour le responsable de la plaine, Mamadi Bélem, la crise est partie de l’écrit d’un producteur du nom de Nicolas Dah, adressé au président du comité dirigeant, dans lequel il s’oppose aux prix fixés pour la vente de sa production et aux retenues que le comité dirigeant fait chez les producteurs. Dans son écrit, il fait cas également des engrais et de la gestion des parcelles dans la zone dite des hippopotames. Plusieurs rencontres ont eu lieu et pas plus tard que le mercredi 6 avril 2011, le haut-commissaire les a rencontrés pour trouver une solution. "Je suis surpris, soutient Mamadi Bélem, de constater que les producteurs, malgré l’engagement qu’ils ont pris devant le haut-commissaire de surseoir à la marche, sont sortis ce matin (NDLR : 6 avril) et qu’ils demandent mon départ et celui de mes collaborateurs".

Pour le responsable de la plaine, les objectifs de la marche ont changé entre la rencontre avec le haut-commissaire et la matinée du mercredi 6 avril 2011, jour de la marche. Mamadi Bélem pense que les problèmes de la plaine prennent une coloration politique. "Au niveau de la plaine, les producteurs ont une structure de revendication qu’ils appellent "coalition". C’est cette structure qui entretient la crise. Cela n’a pas commencé maintenant et nous savons que cette coalition veut la place du comité dirigeant", a fait savoir M. Bélem. Dans tous les cas, poursuit-il, je leur ai signifié que le mandat du comité est arrivé à expiration et qu’ils pourront, par des voies normales, c’est-à-dire à travers des élections, accéder à la direction de la plaine s’ils ont la confiance des autres producteurs. A ce sujet, Mamadi Bélem propose une réorganisation des structures paysannes qui dirigent la plaine. "Nous allons passer à la mise en place de coopératives de base qui, à leur tour, éliront le comité dirigeant", previent-il.

Pour ce qui est du retrait supposé de parcelles à des femmes, le chef de la plaine atteste que c’est à cause des dégâts d’hippopotames que les femmes ont abandonné la zone il y a de cela plus de 15 ans. "En 2007, dira-t-il, le comité dirigeant s’est penché sur la question et avec la collaboration des chasseurs, certains producteurs qui le souhaitaient et qui ont pris des risques en investissant de grandes sommes, sont revenus exploiter la zone. Comme elle redevient fertile, voilà que certaines voix s’élèvent pour dire que c’est la zone des femmes ». Sur cette question, le chef de la plaine pense qu’il n’a fait qu’appliquer les textes en vigueur au Burkina. "Nous sommes sur une plaine appartenant à l’Etat et, en la matière, les textes sont clairs et disent qu’une parcelle non mise en valeur pendant 2 campagnes est purement et simplement retirée et réattribuée à un autre demandeur », conclut le chef de la plaine qui précise qu’il a recensé au sujet de la zone d’hippopotames, seulement 27 femmes parmi lesquelles 15 sont malheureusement décédées au lieu de 300 comme annoncé par les marcheurs.

Après le chef de la plaine, nous avons rencontré André Kara. C’est un président de comité dirigeant profondément triste que nous avons trouvé à Douna, non loin de la maison des jeunes, mais qui s’est voulu catégorique sur un certain nombre de griefs qui lui sont faits. En ce qui concerne le bilan, dit-il, on a passé toute la journée du mercredi 6 avril dernier là-dessus au haut-commissariat avec les plaignants de même que le haut-commissaire et ses collaborateurs. Tout comme le disent les marcheurs, un bilan doit être dressé chaque année et c’est ce que nous avons toujours fait. Selon le président qui s’est exprimé ainsi, les meneurs de cette marche de protestation ne font pas preuve d’honnêteté. "Les producteurs peuvent, à la limite, dire qu’ils ne sont pas satisfaits de ce que le comité dirrigeant leur présente comme bilan.

Mais lorsqu’ils disent que depuis que nous sommes installés il n’y a pas eu de bilan, ils ne disent pas la vérité", martèle André Kara. Il ajoute, par ailleurs : "Nous leur avons toujours montré les superficies à emblaver au début de la campagne, les quantités d’intrants nécessaires, celles offertes par nos partenaires. Et à la fin de la campagne, nous sommes toujours revenus faire le point de la vente et remettre à chacun le fruit de ses efforts. Nous rendons également le fonds de caisse publique. Cet exercice a été fait au début et à la fin de chaque campagne depuis que nous sommes là". Toutefois, le président Kara soutient qu’il est disposé à céder sa place à quiconque la désire. Cependant, il souhaite que les producteurs qui se disent mécontents cessent de transposer leurs problèmes individuels sur la plaine. "Ils font des commérages sur mes réalisations telle ma maison en se demandant où j’ai eu l’argent pour construire une villa", s’insurge M. Kara qui tient à faire savoir qu’il dormait déjà dans cette maison avant de devenir président du comité dirigeant de la plaine de Nionfila.

Pour rappel, la plaine de Nionfila a été aménagée et mise en valeur depuis 1987. Environ 1500 producteurs travaillent sur la plaine. L’un de ses objectifs majeurs est, grâce à la maîtrise totale de l’eau doublée par une possibilité de deux campagnes agricoles dans l’année, de pouvoir produire un excédent céréalier à même de compenser les zones déficitaires de notre pays.

Mamoudou TRAORE

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 13 avril 2011 à 14:55 En réponse à : PLAINE AMENAGEE DE NIONFILA : Des producteurs demandent le départ des encadreurs

    Extrait rapport d’analyse 2007-2008/ Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier

    1.1 Constats majeurs, analyses et principaux enseignements

    1.1.1 Une proportion limitée des superficies aménagées est exploitée, essentiellement pour des raisons d’ordres techniques

    Encadré 2 : Illustration de la mauvaise qualité des aménagements et de l’inadaptation des options techniques : Cas de la plaine de Niofila

    A Niofila, le nombre de canaux secondaires prévus pour être construits n’a pas été atteint ; il y a donc une déficience dans l’acheminement de l’eau vers les parcelles. Par ailleurs, ce sont des canaux tertiaires et quaternaires qui jouent le rôle des canaux secondaires à certains niveaux. Construits en terre cuite et non en béton comme les secondaires, ils se sont vite dégradés, causant d’énormes pertes en eau pour les exploitations.

    En outre, pendant l’hivernage, l’eau du fleuve se déverse souvent directement dans les aménagements, inondant ainsi les parcelles de culture. Toutes ces insuffisances dans la conception ou la réalisation des installations contribuent à réduire la productivité du périmètre et partant le revenu des producteurs.

    Source : Rapport de l’analyse globale des GAHA, Réseau Foncier Rural/GRAF, mars 2007

    En vérité, ces moyennes cachent la situation réelle de la taille des parcelles effectivement attribuées, qui sont généralement en dessous d’un Ha (01) et pour la quasi-totalité des exploitants sur la plupart des GAHA. Comment alors espérer sérieusement parvenir à une rentabilité économique et financière des investissements consentis, avec des superficies aussi étroites ?

    Encadré 5 : Illustration et commentaire par rapport à la taille des superficies attribuées : Cas de la plaine de Niofila

    Sur 1 350 ha prévus, seuls 410 ha ont été effectivement emblavés pour 2 000 attributaires, ce qui donne moins de 0,2 ha d’exploitation. Pire, 50 ha s’avèrent inexploitables parce qu’étant situés sur une portion du périmètre mal planée. Comment rentabiliser économiquement un lopin de terre de moins de ¼ ha ?

    Source : Rapport de l’analyse globale des GAHA, Réseau Foncier Rural/GRAF, mars 2007

  • Le 13 avril 2011 à 19:49, par le citoyen En réponse à : PLAINE AMENAGEE DE NIONFILA : Des producteurs demandent le départ des encadreurs

    Une fois de plus,j’attends la réaction des responsables politicoadministratifs ; il faut une analyse claire de la situation avant toute prise de décision. le cas de niofila est une situation difficile ! j’en connais, je fus agent d’encadrement aux cascades. Belem Mahamadi a risqué sa vie pour la relance de cette plaine : des ménaces physiques,des amulettes devant ses portes d’entrée et j’en passe ;
    ces soit disant producteurs n’en sont pas en réalité ; ce sont cela qui ont essayé d’embrigader la plaine et ils n’ont pas pu et ils utilisent d’autres moyens. Faites le bilans des productions des meneurs et voyer bien et mieux, revoyer l’historique de la gestion de la plaine avant 2005 et vous serez édifié. Soutenous les agents qui se donnent corps et âme à l’encadrement au lieu de croire à des individus qui ont d’autres motivations que la production

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