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Aïna Ouédraogo, (Comité de lutte contre l’excision) : « Un clitoris reconstitué perd de sa mobilité et de son élasticité »

Publié le vendredi 22 juin 2007 à 07h28min

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Elle parle des mutilations génitales féminines (MGF) avec passion. Elle, c’est Mme Aïna Ouédraogo, secrétaire permanente du Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE).

Dans l’entretien qu’elle a accordé à notre journal le vendredi 8 juin 2007 dans son bureau sis au secteur 11 quartier Ouidi, elle aborde entre autres sujets les chirurgies clitoridienne, la construction d’un hôpital du plaisir, contre lequel d’ailleurs elle s’érige.

Présentez-nous votre institution et dites-nous ce qu’elle fait concrètement quand elle n’organise pas de séminaires médiatisés ?

• Avant de parler de ce que fait notre institution, il est nécessaire de rappeler le contexte dans lequel elle effectue ses missions. L’excision est pratiquée dans toutes les régions du Burkina Faso. Pour venir à bout de cette pratique ancestrale, un Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE) a été créé à titre provisoire en octobre 1988.

Ce comité est devenu en 1990, par décret présidentiel, une structure interministérielle avec pour mission de travailler à l’éradication progressive et totale de la pratique de l’excision au Burkina Faso. Il regroupe dans un cadre institutionnel les représentants de différents ministères, d’associations, d’ONG, de mouvements de jeunesse, de défense de droits de l’homme, de la chefferie coutumière et traditionnelle et de communautés religieuses.

II est placé sous la tutelle administrative du ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale et bénéficie d’une autonomie de gestion. En mai 1997, un secrétariat permanent a été créé et est chargé de la gestion quotidienne des activités du CNLPE.

II est chargé, entre autres, d’élaborer et de mettre en œuvre toutes les stratégies et plans d’action de lutte visant l’élimination progressive de la pratique de l’excision et de toutes les autres formes de pratiques néfastes affectant la santé et l’épanouissement des femmes ; de mobiliser des ressources matérielles et financières nécessaires à la lutte contre toutes les pratiques néfastes affectant la santé et l’épanouissement des femmes et des enfants.

Le Comité national chargé du suivi et de l’évaluation des activités a été par la suite décentralisé. Dans toutes les 45 provinces du pays, existent des comités provinciaux de lutte contre la pratique de l’excision, responsables de la coordination et du suivi de la mise en œuvre des activités au niveau décentralisé. Dans les provinces, ces comités sont sous la responsabilité des Hauts-Commissaires et leur secrétariat permanent est assuré par les directions provinciales de l’action sociale et de la solidarité nationale.

Certains départements et villages ont mis en place leurs comités départementaux et villageois, mais leur fonctionnalité est relative. Le CNLPE bénéficie également de l’appui de cinq (05) comités de soutien constitués par des personnes ressources :
- les chefs coutumiers et traditionnels ;
- les associations islamiques ;
- le personnel du centre hospitalier universitaire de Ouagadougou ;
- le personnel du centre hospitalier universitaire de Bobo- Dioulasso ;
- les lycéens.

En novembre 1996, le Burkina Faso, après relecture du code pénal, a pris la décision d’y insérer les articles réprimant les mutilations génitales féminines par des peines d’emprisonnement et des amendes. En effet, les articles 380, 381 et 382 de la loi n° 43/96/ADP du 13 novembre 1996 portant code pénal au Burkina Faso répriment les mutilations génitales féminines, et les peines vont des sanctions pécuniaires à l’incarcération.

Cette loi est entrée en application dès son adoption et des exciseuses et parents ont été jugés et condamnés pour faits d’excision. Concernant le deuxième volet de votre question, je dirai que la lutte évolue sur la base de la mise en œuvre de plans d’actions à travers plusieurs stratégies.

Beaucoup de stratégies ont été développées. Il s’agit de la sensibilisation, à travers l’information, l’éducation et la communication (IEC), et le PIC (plan intégré de communication), du plaidoyer, du lobbying, de la recherche, de la réparation des séquelles de l’excision, de l’intégration des modules sur l’excision, dans les programmes des enseignements primaire et secondaire, des patrouilles de sensibilisation et de dissuasion, de la pair éducation par les jeunes. Voilà autant de stratégies que nous mettons en œuvre.

Les Mutilations génitales féminines (MGF) sont considérées comme une violence faite aux femmes. Pensez-vous pouvoir venir à bout de telles pratiques ?

• Oui je suis sûre que cette pratique disparaîtra du Burkina Faso si tout le monde s’y met. Vous savez, tout ce qui a trait à la coutume, à la tradition est vraiment ancré dans les mœurs des populations. Nous sommes en Afrique, où les us et coutumes jouent un rôle très important dans la société. Ça sera difficile, mais si nous arrivons à avoir l’adhésion des leaders coutumiers, des leaders religieux, des leaders administratifs et des jeunes, des communautés à la base, je pense que cette pratique disparaîtrait du Burkina Faso.

Il existerait plusieurs formes de mutilations génitales féminines dans les pays où l’excision est pratiquée. Quelles sont celles que l’on rencontre au Burkina Faso ? Et en quoi consistent-elles ?

• Permettez-moi tout d’abord de donner une définition de la mutilation génitale féminine. Au Burkina Faso, elle se définit comme étant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes féminins, y compris toute autre intervention ou pratique non thérapeutique appliquée sur l’organe génital de la femme. Cela étant, II existe effectivement plusieurs formes de mutilations génitales féminines dans les pays où l’excision est pratiquée.

Le type 1 consiste en l’ablation partielle ou totale du clitoris. Le type 2 consiste à faire l’ablation du clitoris et des petites lèvres. Quant au type 3, il consiste à l’ablation du clitoris, des petites lèvres, des grandes lèvres et de la suture de la partie interne des grandes lèvres et le rétrécissement de l’orifice vaginal : c’est l’infibulation (Egypte, Somalie, Djibouti). Au Burkina Faso, c’est le type 2 qui est le plus pratiqué.

A ce qu’on dit, il y a une forme d’excision légale qui se pratique dès la maternité à la naissance des filles. Si c’est vrai, en quoi consiste-t-elle ?

• Ceux qui parlent d’une telle pratique comme étant une forme d’excision sont ceux qui ne connaissent pas les organes génitaux de la petite fille à la naissance. Il y a plusieurs années de cela, le CNLPE a été interpellé sur cette question.

Après enquête dans les maternités, le constat a été le suivant : comme tout organe immature, lorsque le clitoris du bébé apparaît à la naissance, il se présente avec un trait en son milieu ; il est comme fendillé et associé à une hémorragie qu’on appelle le saignement du nouveau-né. Pour les profanes, cela n’est pas un fait du hasard et on a dû porter atteinte à l’intégrité physique du bébé.

En cas de saignement du nouveau-né, on conseille de prendre un tampon de coton et de le passer à l’endroit concerné. Si le sang ne coule plus, on n’a pas touché à l’intégrité de la fillette ; mais si l’hémorragie continue et qu’il y a une plaie cela veut dire qu’on a effectivement blessé ce bébé.

Une enquête avait été menée dans une maternité incriminée, suspectée de pratiquer cette forme légale d’excision dont vous faites cas. Mais après constat, il s’agissait plutôt de saignement de nouveau-né. Du reste, depuis que nous avons sensibilisé les femmes à l’usage systématique du tampon de coton lorsqu’il y a hémorragie et les avons exhortées à nous saisir immédiatement en cas de suspicion, nous n’avons reçu jusque là aucune plainte.

Il est de plus en plus question de chirurgie clitoridienne, qui consisterait à reconstituer l’organe érectile de la femme. Concrètement, comment cela se passe-t-il ?

Le clitoris, comme vous dites, est l’organe érectile de la femme. Il favorise la gratification orgasmique au cours du coït sexuel. Il permet une sortie facile de l’enfant pendant l’accouchement en favorisant l’élargissement du vagin grâce à son élasticité.

Le clitoris a donc un rôle très important lors des rapports sexuels et pendant l’accouchement. Lorsqu’on le reconstitue, il n’est plus mobile et perd de son élasticité ; il ne peut plus, de ce fait, remplir les fonctions d’un clitoris normal.

Il y a déjà une cicatrice, celle laissée par l’excision ; on intervient sur cette même cicatrice pour faire ressortir une portion du clitoris. Logiquement, deux interventions au même endroit risquent fort de poser un autre problème à l’accouchement ?

Avant de vous parler de cette reconstitution du clitoris, il faut d’abord que je vous situe le contexte de cette opération. En rappel, la reconstitution du clitoris a commencé avec l’arrivée du docteur Madzou de l’Hôpital d’Angers. Celui-ci (a voulu partager ses expériences en la matière avec ses collègues gynécologues obstétriciens burkinabé.

Le Secrétariat permanent du Comité national de lutte contre la pratique de l’excision, en tant que structure de coordination de toutes les interventions dans le domaine de l’excision, a été touchée dans le but de proposer une formation en technique de reconstitution du clitoris. Au cours de la formation, dix-huit (18) femmes ont vu leurs clitoris restaurés.

Dans le souci d’un bon partenariat et pour pérenniser les actions du docteur Madzou, le SP/CNLPE a demandé qu’un protocole d’accord soit rédigé et signé par les deux parties, c’est-à-dire le Centre Hospitalier Universitaire d’Angers (à l’adresse du Professeur Philippe Descamps, service de gynécologie obstétrique du CHU d’Angers), et le SP/CNLPE pour mieux canaliser les interventions dans le domaine. Malheureusement, jusqu’à nos jours, aucun acte n’a été ni rédigé ni signé dans ce sens. Cependant, plusieurs activités de reconstitution de clitoris ont été menées.

Justement en dehors des structures officielles, on voit que le mouvement raélien s’est lancé dans cette opération ; il est même question ces derniers temps de la construction d’un hôpital du plaisir. Qu’en pensez-vous ?

• La reconstitution du clitoris est une technique qu’on ne maîtrise pas encore ; il faut donc être très prudent, marquer un temps d’arrêt, et voir quel est le taux de réussite de cette opération. On ne peut pas déjà l’ accaparer et la vulgariser pour en faire une source de revenu.

Le CNLPE trouve qu’à cette étape de la lutte, la reconstitution du clitoris ne peut s’inscrire comme une stratégie de lutte, encore moins une nécessité. A cet effet, une réunion extraordinaire des acteurs intervenant dans le domaine de la promotion de l’abandon de la pratique de l’excision s’est tenue le mardi 24 avril 2007 au Secrétariat permanent du Comité national de lutte contre la pratique de l’excision autour de la question.

La reconstitution du clitoris est une nouvelle pratique qui peut se situer dans le cadre de la chirurgie esthétique. C’est une technique qui coûte très chère ; elle est personnelle et n’est pas inscrite dans le programme du CNLPE. Des femmes qui ont bénéficié de cette intervention, plusieurs tendances se dégagent :
- un groupe de femmes est satisfait des résultats de l’intervention ;
- certaines sont par contre déçues, car elles ne perçoivent aucun changement dans leur vie sexuelle ;
- enfin, le reste se dit indifférent parce que n’ayant pas observé de changement.

Je ne conseille pas la généralisation de cette pratique au Burkina Faso, de même que je n’encourage pas le projet de construction de l’hôpital du plaisir, dans la mesure où les pesanteurs socioculturelles sont très fortes ; de plus, l’importance effective de cette opération reste à démontrer.

Malheureusement, les femmes sont atteintes par l’effet de mode. Elles tiennent coûte que coûte à passer par cette épreuve pour retrouver leur clitoris. Le mouvement raélien aurait gagné à utiliser ses fonds pour donner une meilleure éducation sexuelle à nos jeunes et poursuivre les activités de sensibilisation aux méfaits de la pratique de l’excision.

En conclusion à cette question, je tiens à préciser que le CNLPE n’a pas pour vocation cette stratégie, qui est une affaire purement personnelle, mais plutôt la promotion de l’abandon de la pratique de l’excision et la réparation des séquelles, entre autres. Il est par ailleurs nécessaire de donner toutes les informations relatives à cette pratique aux femmes désireuses de se faire opérer.

Pour nous, ce n’est pas le plaisir seulement qui nous importe, c’est le problème de santé qui nous préoccupe et qui prime, ainsi que celui des droits des filles et des femmes, qui sont bafoués. Nous sommes pour l’épanouissement des femmes, mais nous ne sommes pas pour la duperie.

Toutes les femmes ne sont pas clitoridiennes ; de plus, les interventions ne réussissent pas à 100%. Il y a des enfants qui meurent par suite de l’excision. Combien de femmes ne peuvent-elles pas jouir de leur statut de femme ? Qu’est-ce qui prouve que les femmes excisées ne peuvent pas jouir ?

C’est une question d’éducation sexuelle ! Un hôpital du plaisir n’est pas une priorité au Burkina, non, non. Ceux qui s’intéressent à la construction d’une telle œuvre doivent redéployer leurs fonds pour aider les petites filles qui souffrent de séquelles.

Nous invitons donc le mouvement raélien à une rencontre de concertation pour mieux utiliser nos énergies pour l’épanouissement réel des femmes. Nous leur proposons plutôt la construction d’une structure de prise en charge médicale et psychosociale des séquelles de l’excision et cela constituera un pas positif.

Propos recueillis par Agnan Kayorgo

Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 22 juin 2007 à 14:05, par Miss En réponse à : > Aïna Ouédraogo, (Comité de lutte contre l’excision) : « Un clitoris reconstitué perd de sa mobilité et de son élasticité »

    Salut

    Je suis d’accord avec Mme Aïna Ouedraogo concernant la reconstitution du clitoris. Nos soeurs qui acceptent de faire cette pratique le font pour avoir du plaisir. Une femme excisée à du plaisir, tout dépend de la manière de faire les rapports sexuels.
    Je demande à toutes nos soeurs, même si on les paie pour reconstituer leur clitoris qu’elles ne le fassent pas. Toutes choses à ses conséquences, de plus les interventions ne réussissent pas à 100%.

    • Le 22 juin 2007 à 19:49, par Magid En réponse à : > Aïna Ouédraogo, (Comité de lutte contre l’excision) : « Un clitoris reconstitué perd de sa mobilité et de son élasticité »

      On ne peut que féliciter ceux qui se battent afin que les personnes retrouvent des organes sexuels intacts. Il faut également préciser que cette démarche se fait pour les garçons. Si ceux ci ont subit l’atroce excision du prépuce, une restauration manuelle ou mieux une greffe permet de retrouver la sensibilité d’origine au gland. Hélas, c’est encore trop peu fréquent dans notre pays.

      Magid

      • Le 22 juin 2007 à 22:05, par Quid En réponse à : > Aïna Ouédraogo, (Comité de lutte contre l’excision) : « Un clitoris reconstitué perd de sa mobilité et de son élasticité »

        Malsain ! Au moment qu’il est demontré scientifiquement que l’abblation du prepuce est d’un apport certain dans la prevention des MST, vous trouvez moyen de vouloir faire croire aux honnetes gens qu’une greffe du prepuce permet de retrouver la sensibilité d’origine du gland( apres l’atroce excision du prépuce selon vos termes !!!).
        A quoi jouez- vous ? Vous etes libre de faire le choix mais gardez le pour vous seul.

        Le débat sur le pour ou le contre de la churirgie "reparatrice" dans le domaine de l’excision est a peine ouverte que vous nous envoyé sur le terrain de le celui de la circoncision !!! Pauvre de nous. Salut

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