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Décentralisation et développement local : Rôles et places des acteurs

Publié le lundi 7 mai 2007 à 07h54min

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Décentralisation, développement local, citoyenneté : trois notions en regain de vitalité au Burkina Faso au cours des dernières années et, plus généralement, dans de nombreux pays en développement. Chacune d’elles exprime une réalité sémantique complexe et une délicatesse liée à la multiplicité des choix contextuels.

Un de nos lecteurs, Mathias Bazié, juriste spécialisé en ingénierie de développement local et des projets de coopération apporte ici sa contribution au débat qui a cours, dont l’enjeu fondamental est de parvenir à la consolidation des dynamiques actuelles porteuses d’espoir pour nos territoires.

Le terme de décentralisation est polysémique. Il désigne des processus différents les uns comparés aux autres selon le contexte dans lequel il est envisagé, selon notamment la volonté et la sensibilité du législateur, mais aussi l’histoire politique et culturelle du pays considéré. Il n’y a donc pas de modèle standard de décentralisation, susceptible de duplication.

Ainsi dit, la décentralisation, pour ce qui nous concerne, est une redistribution d’autorité. Le pouvoir central, considérant que les acteurs au niveau local, en tant que « maîtres d’usage » des aménagements de l’espace collectif local, exercent une influence positive sur l’amélioration du quotidien des territoires lorsqu’ils sont étroitement associés à la décision, confie la gestion des affaires propres d’une collectivité locale ou territoriale à un organe délibérant, qui tient sa légitimité du fait qu’il est désigné par voie élective.

L’Etat transfère en même temps les ressources financières et humaines nécessaires à la mise en œuvre de ces compétences, mais demeure seul gardien de la souveraineté nationale et s’aménage un contrôle (« a priori » dans le cas du Burkina Faso) qui lui permet d’assurer la cohérence d’ensemble et l’articulation entre les différents niveaux d’exercice de l’autorité distribuée. La collectivité et son organe délibérant reçoivent, à ce titre :
La personnalité morale. On leur reconnaît les attributs d’une personne juridique ;
Des pouvoirs de décision, justifiés par l’existence des affaires propres, et dont la mise en œuvre intervient en l’absence de tout rapport hiérarchique vis-à-vis de l’Etat.
La décentralisation est administrative, politique et financière. Par elle, l’Etat partage, avec les communautés, les pouvoirs, les responsabilités et les moyens pour y faire face. Le citoyen n’est plus seulement contribuable. Il devient acteur participant.

La décentralisation se distingue de la déconcentration qui consiste, elle, à transférer aux représentants locaux de l’administration centrale, placés sous l’autorité hiérarchique de celle-ci, le pouvoir de prendre certaines décisions. Ici, les organes sont nommés par l’Etat dont ils répondent de façon très stricte. Néanmoins, la décentralisation va souvent de pair avec la déconcentration, nécessaire pour l’accompagner et en faciliter la mise en œuvre. A ce niveau, il n’y a aucun doute : l’émergence de pouvoirs locaux solides nécessite la mise en place d’une déconcentration forte. Imaginons un instant le maire de la commune rurale de Tin-Akoff (Nord) bravant l’étendue du sahel burkinabé pour faire approuver le budget communal à Ouagadougou !

Le développement local

Le développement local est aujourd’hui présent dans de nombreux discours sur le développement, au Burkina Faso et ailleurs dans le monde, sans que l’on sache toujours vraiment de quoi on parle. C’est un concept relativement récent. Loin d’être une nouvelle théorie du développement, il s’agit d’une approche politique territorialisée. Le développement local est un processus de mobilisation d’acteurs qui se décident à élaborer des stratégies d’adaptation aux contraintes externes (ou internes) sur la base d’une identification culturelle et territoriale.

Ce n’est donc pas d’une agrégation de projets de développement dont il est question, encore moins d’un projet de développement, même s’il faut convenir que le développement local peut prendre source dans une initiative à l’origine anodine, qui lui fait alors office de berceau. Autrement dit, les acteurs d’un territoire donné, spécialement mobilisés, procèdent à l’identification de priorités mûries à partir des atouts et des contraintes, des opportunités et des menaces de leur territoire, définissent un plan d’intervention largement consensuel leur permettant de construire un projet commun, mobilisent les ressources disponibles au plan local destinées à soutenir la mise en œuvre des actions, le tout devant aboutir pour eux à « prendre en main leur destin ». Ce qui caractérise précisément le développement local, c’est la mise en avant des acteurs plutôt que des infrastructures, des réseaux plus que des institutions établies, pour donner aux hommes et aux groupes directement intéressés une fonction de décision sur les actions qu’ils mènent.

Ainsi, le développement local peut être vu comme une arène très contextuelle, où se rencontrent un mouvement ascendant (expression des besoins et définition des priorités par les acteurs à la base, priorités remontées par des relais) et un mouvement descendant (dispositifs et politiques mis en place par les pouvoirs publics), dans une relation triptyque territoire-acteurs-actions. Et l’échelle territoriale choisie est déterminante pour l’aboutissement du projet commun. Plus en effet le territoire est déterminé à une échelle pertinente, plus les chances sont grandes que la mise en œuvre des actions conduise au changement social escompté.

Mais le changement social ne sera véritablement possible, me semble-t-il, que dans la mesure où les acteurs abordent le développement de leur territoire dans une approche globale. En effet, vitaliser ou revitaliser nos territoires, meurtris et fragilisés par de sévères contraintes et menaces, appelle nécessairement à susciter des activités économiques créatrices de richesses et les conditions de leur développement, à assurer la formation des habitants et l’amélioration de la communication, à promouvoir une vie sociale et culturelle diversifiées et de qualité suffisante, bref, à conduire une action simultanée dans tous les secteurs de la vie.

Cela passe nécessairement par la création d’un espace d’expression, notamment au sein d’une structure présentant à la fois une légitimité de compétence et une légitimité de représentation, qui assure la transversalité de la pensée et de l’action. Et c’est ici que l’élu local, désormais héritier de la maîtrise d’ouvrage du développement de la collectivité, a la lourde responsabilité de bien utiliser toutes les ressources et de mettre en lien l’ensemble des partenaires du territoire.

Décentralisation et développement local

Il n’est pas rare de rencontrer, à l’heure actuelle, dans le discours de nombreux acteurs du processus de décentralisation en cours dans notre pays, un flou, entretenu ou innocent, quant au rapport en présence entre décentralisation et développement local. Cela tient au fait que pour la mise en œuvre de l’un ou de l’autre de ces processus, le « local » est privilégié en tant qu’échelle pertinente de l’intervention, présenté comme constitutif du cadre idéal de production de services publics performants au profit des habitants, tout en réunissant les conditions d’une plus grande transparence dans la gouvernance.

Mais la décentralisation n’est pas synonyme de développement local. Les deux processus peuvent exister et vivre l’un en l’absence de l’autre. Le développement local est un outil au service des acteurs de la mise en œuvre du processus de décentralisation. Celui-ci pourrait être présenté comme la face politique du principe de bonne gouvernance, résultant de l’octroi et du transfert de compétences et de ressources par un niveau supérieur à un niveau local, tandis que le développement local est une démarche de personnes qui ont décidé de « s’en sortir » par elles-mêmes, en mettant à profit les atouts de leur territoire et en saisissant toutes les opportunités susceptibles de consolider le patrimoine territorial.

Certes les deux notions font appel à un facteur vital contenu dans la mobilisation et la responsabilisation de l’ensemble des acteurs d’un territoire, d’une collectivité, d’une communauté. Et l’élaboration prochaine des plans locaux de développement me semble offrir une excellente opportunité pour l’instauration de ce dialogue territorial. Du reste, je ne partage pas, sur ce point, le sentiment récemment diffusé, au cours de débats publics, que ce travail relève de la compétence de seuls experts coutumiers des travaux conceptuels.

Le rôle et la place des acteurs

Le citoyen : En régime décentralisé, le rôle et la place du citoyen sont vitaux dans la gestion des affaires de la cité. Il est au cœur du dispositif. En effet, comme indiqué ci-dessus, la décentralisation consiste à restituer aux habitants le pouvoir décisionnel sur les actions qu’ils entreprennent. Il en résulte des implications diverses. Chaque citoyen, pris individuellement ou dans un cadre structuré (ONG locale, association religieuse, de femmes, de jeunes, autorités coutumières, comités de gestion, coopérative, etc.) est appelé, aux côtés de l’ensemble des autres acteurs du territoire que constituent le maire et le conseil municipal, les services déconcentrés de l’Etat, l’Etat central, à participer à la décision. Il ne doit plus simplement s’agir d’informer le citoyen, de le sensibiliser.

Il s’agit d’aller beaucoup plus loin et de rendre la communauté maîtresse d’ouvrage de son développement, par son accession à la décision. Concrètement, le citoyen est engagé à définir lui-même ses objectifs de développement, à identifier les actions à mettre en chantier pour la réalisation de ces objectifs, à rechercher par lui-même et trouver les ressources nécessaires à leur réalisation et à assurer enfin l’exécution, le suivi et l’évaluation des actions.

Les élus locaux

Le Code général des collectivités territoriales marque une évolution importante dans la répartition des pouvoirs locaux, particulièrement en ce qui a trait à la position des élus. Il est sans équivoque, prenant, en son article 8, partie pour le transfert aux collectivités territoriales de la mission « d’organisation et de coordination du développement ». Le maire et le conseil municipal sont donc désormais maîtres d’ouvrage du développement communal. De ce fait, ils ont la position du chef d’orchestre, chargé de l’assemblage harmonique des partitions proposées et exécutées par les acteurs de leur territoire réunis au sein des Plans locaux de développement. Dans les faits, les élus locaux ont une fonction d’abord délibératoire : le conseil municipal gère les affaires de la cité en prenant des délibérations dans les domaines de compétences transférées.

De réglementation ensuite : le maire, dans sa fonction de chef de l’exécutif communal, met en œuvre les politiques du conseil municipal à l’aide d’arrêtés municipaux. De contrôle enfin : le conseil municipal vérifie la bonne exécution des politiques municipales à travers le vote annuel du compte administratif et du compte de gestion.

De manière spécifique, les conseillers municipaux constituent un lien précieux entre la demande sociale et les politiques publiques, donc un maillon essentiel du dispositif nécessaire au bon fonctionnement de l’interaction permanente entre le mouvement ascendant et le mouvement descendant. Ils doivent être particulièrement présents dans le diagnostic des secteurs ou villages qu’ils représentent, la hiérarchisation des priorités, l’élaboration des Plans communaux de développement. Ils doivent également être présents dans la recherche et la socialisation de connaissances sur les politiques publiques, les procédures d’élaboration du budget municipal, afin de défendre et d’obtenir des crédits pour le financement des projets de secteurs ou de villages ou encore la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des programmes sur leur sphère de représentation et la mobilisation sociale.

L’Etat et les services déconcentrés

L’Etat et ses services assurent un rôle d’assistance. Le devoir d’assistance de l’Etat vis-à-vis des collectivités territoriales se traduit par l’obligation de mettre à disposition de celles-ci des subventions, des dotations spéciales, des ressources humaines et matérielles, un appui technique et financier, et les services déconcentrés se positionnent en appui technique à l’exécution des politiques locales. Ils ont aussi un rôle de contrôle qui est constitué de la tutelle administrative et de la tutelle financière, du contrôle administratif et du contrôle juridictionnel auxquels sont soumises les collectivités territoriales ainsi que de cohérence d’ensemble du développement du territoire.

Le processus de décentralisation, tel que mis en chantier dans notre pays, accorde une place déterminante au citoyen en lui transférant la compétence de la gestion de son développement, depuis la définition des orientations jusqu’à la mise en œuvre des actions identifiées, du moins au plan textuel. Cette politique fait appel à la valorisation des ressources locales, les territoires étant plus souvent victimes de la méconnaissance de leur potentiel que de l’inexistence de celui-ci. Le citoyen est au cœur de cette démarche et les ressources extérieures ne peuvent venir qu’en appoint, pour renforcer la capacité des acteurs à réaliser les actions définies.

C’est pourquoi la participation des citoyens est déterminante lors de l’élaboration des plans de développement des territoires, à travers notamment les Comités villageois de développement. C’est aussi pour cette raison que la contribution de tous est demandée pour mobiliser les ressources indispensables, dans le cadre de la mise en place des budgets locaux. Mais cela donne aussi le droit au citoyen de suivre et de contrôler l’action de l’exécutif communal dont le maire est le chef.

Il me semble tout de même permis, au stade actuel de fragilité prononcée du processus de décentralisation, où les acteurs et les territoires sont encore en plein apprentissage, de s’interroger sur la valeur réelle de la volonté supposée de faire de la décentralisation le levier du développement de notre pays, au regard des nombreuses hésitations dont l’une des manifestations est le choix d’affecter aux collectivités territoriales, au titre de l’exercice 2007, sept milliards de francs CFA, soit 0,007 % d’un budget national estimé à 994 milliards 141 millions de francs CFA. A ce prix, la création par elles de services publics performants peut attendre encore quelques temps.

Mathias BAZIE,
Juriste, spécialisé en ingénierie de développement local
Spécialisé en ingénierie des projets de coopération
Bazie_mathias@yahoo.fr

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