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« 21 de Réo » : Les déviations d’une fête

Publié le mardi 1er août 2006 à 06h58min

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Le 21 de Réo est un marché qui a lieu tous les 21 jours, les dimanches à Réo, chef-lieu de la province du Sanguié. Si ce marché a longtemps fait la fierté de cette localité et de ses ressortissants, aujourd’hui, il se trouve à la croisée des chemins, du fait des nombreux vices qui minent sa pratique.

Exacerbation de l’alcoolisme, fréquentation des débits de boissons par les mineurs, violences diverses, vols, ... sont entre autres, les vices qui minent la pratique du 21 de Réo. Ce marché, dont la renommée avait largement dépassé les limites de la province, voire même les frontières nationales, a amorcé depuis un certain temps un tournant de sa pratique qui prend les allures d’une « déviation dangereuse ». Le week-end du 15 au 17 juillet 2006, a eu lieu un 21 de Réo et une équipe de Sidwaya a été de la fête. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le 21 est un moment de grande attraction à Réo, tant l’engouement que suscite cette fête au sein des populations est immense.

Après une soirée de samedi des plus mouvementées, le dimanche jour J du 21 commence timidement. Dans les rues, le décor est quasi identique. Des charrettes à traction asine déferlent vers la place du marché avec principal chargement, de gros fûts bleus contenant le « liquide précieux » du 21. Ce liquide, c’est bien entendu, la bière de mil locale, communément appelée le « tchap » ou « dolo ».A 10 h, côté Est du marché au quartier général « Q G » du « tchap », c’est la partie la plus animée. Toute la moitié Est du marché est déjà archi-comble. Ebouma est vendeuse de « tchap ». Elle a déjà vidé son premier fût de 120 litres. « Le tchap marche très bien au 21.

Je peux vendre 4 fûts de 120 litres par jour », confie-t-elle. Côté Sud du marché, c’est le lieu des légumes et autres accessoires de cuisine. Là, le client se fait rare. Assise devant ses étals, Hélène ne fait pas de bonnes affaires :»les légumes ne marchent pas. Les gens préfèrent souvent aller faire leur marché à Koudougou car les légumes sont moins chères là-bas », explique-t-elle. Cette situation bien paradoxale, en ce sens que les légumes vendues à Koudougou proviennent de Réo, Marie, ménagère à Réo, a une explication. « En fait, tous les producteurs de Réo et des autres villages de la province vont vendre leurs productions à Koudougou. Cela provoque une inondation du marché de la capitale du Boulkiemdé au détriment de celui de Réo. La conséquence immédiate est la chute des prix au niveau de Koudougou ».

A 17 h, la ferveur est à son comble au niveau du « Q G », la tension aussi. L’expression des visages en dit long sur la quantité de liquide avalée par les uns et les autres. Enfants, vieillards, femmes, jeunes tutoient la calebasse au même titre. Sous presque toutes les paillotes, les vendeuses sont en train de vider leurs dernières gouttes dans les calebasses.

Mais le 21, c’est surtout sa nuit. Une nuit de toutes les folies tant attendue de tous. Considérée par les inconditionnels du 21 comme la nuit de toute la splendeur du 21, elle n’en est pas moins celle de toutes les laideurs aussi. C’est au cours de cette nuit que le visiteur qui vient pour la première fois peut s’écrouler d’ébaillissement devant certaines scènes. Après le « tchap » de la journée au marché, l’heure est venue de prendre d’assaut les maquis, bars-dancings et autres, pour « couronner le couronnement ». Ici, aucune limite n’est tolérée.

C’est le lieu de laisser libre cours à tous les excès. Gare au gérant qui annoncera la fin de son stock de bière avant « la fin ». Il est 22 heures à la « Colombe », bar-dancing jouxtant la voie principale de Réo en direction de Toma. Plus possible de négocier le passage à ce niveau de la voie. Comme dans la normale des choses, enfants et adultes se défient allègrement à l’intérieur comme à l’extérieur du bar. « Mais Réo est grave » s’étonne un visiteur devant le spectacle désolant offert par des petites filles de très bas âge en tenues des plus désinvoltes qui prennent d’assaut la piste de danse à la même enseigne que les adultes. Prisca a 13 ans. Elle est en classe de CM2. Avec ses trois copines, elle fait des interminables va-et-vient devant la « Colombe » espérant attirer le regard d’un homme sur elle. Pour tester sa réaction face aux avances d’un homme, l’équipe de Sidwaya entreprend une simulation.

« Veux-tu être ma cavalière ce soir ? Je paye ton ticket d’entrée pour le bar » lui propose-t-on. « D’accord », répond-elle sans hésiter ni sourciller. Dépassé par cette promptitude, le dragueur d’un soir se confond en rires et disparaît dans la foule. Ne comprenant rien à l’attitude de son « prince charmant », la petite fille s’énerva et couvrit « ce plaisantin » de toutes les injures du monde en rejoignant ses copines qui l’attendaient à l’autre bout de la rue.

A l’intérieur du bar, l’équipe prend place autour d’une table à quelques mètres de la piste. Même la serveuse venue à la table à cette heure très tardive pour prendre les « commandes » est une mineure. A peine la douzaine révolue, elle semble être la fille du propriétaire des lieux. « Je vous apporte quoi ? » Demande-t-elle. Deux des quatre personnes, disent tour à tour, leurs choix et pendant qu’un troisième voulait en faire autant, elle l’arrêta. Attendez d’abord, que j’envoie pour les deux premiers et je prendrai ensuite la commande des autres, sinon je vais m’embrouiller, explique-t-elle. Le propriétaire se régugiera sans doute derrière le prétexte que c’est sa fille qui est dans son bar. Mais serait-il superflu de se demander quelle avenir pour cette fille, si elle doit grandir dans un tel environnement ?

Il est 23 heures en cette soirée de 21, du côté Est du marché se trouve la « Rue Princesse » de Réo. ici, même décor, les enfants n’ont pas boudé la fête par là, l’ambiance est d’enfer. Deux « maquis » situés face à face rivalisent de sonorités les plus dansantes du moment. Au milieu des deux, plus question de vouloir négocier un quelconque passage sur la route. Un fêtard totalement ivre ne manque pas de vigilance pour sa bicyclette qu’il a transformée en lit sur lequel il dort paisiblement. Après de longues négociations, l’équipe de Sidwaya

réussit à se faire une place autour d’une table déjà occupée par un groupe (d’amis). Tout à coup, la foule sur la route s’ébranle. Des cris s’élèvent. « C’est la bagarre », entend-on. Des chaises s’envolent, c’est la pagaille totale dans le maquis. Tout le monde est débout, chacun protégeant sa tête. Après une demi-heure de tohu-bohu, la sérénité revient progressivement. « Nous venons de fermer le « Campana », lance un groupe qui vient de signer son entrée au maquis « La paix ». « Nous espérons que toi au moins, tu ne vas pas nous décevoir », poursuivent-ils à l’attention du gérant. Selon eux, en effet, le stock du « Campana » a été épuisé et le gérant a dû fermer boutique avant la fin de la soirée.

Face à une telle « déception », ils ont dût migrer vers « la rue Princesse » pour poursuivre la fête. « Il n’y a plus de bière glacée », avertit le serveur, quelques temps après. « C’est pas grave » réagit un demandeur visiblement décontenancé mais refusant de « capituler ». Il est une heure du matin, l’ambiance ne faiblit pas sur « la rue Princesse ». A l’autre bout de la rue, un groupe de jeunes, n’ayant certainement pas les moyens d’une virée dans les « maquis » et bars, font leur « show » autour d’une vendeuse de « tchap », dans une ambiance de djémbé. Leur ingéniosité ne manque pas de retenir l’attention de l’équipe de Sidwaya qui passait par là pour atteindre son logis.

« N’Sinmon guijè foro ne wêrê jè », chantent-ils en lélé. Cela veut dire, « tant que ta boisson ne finit pas, notre argent ne finira pas ». C’est ce défi que ce groupe de jeunes et mineurs ont lancé à cette vendeuse qui ne pouvait que s’en réjouir, elle qui ne demande qu’à vider son fût. Un coup d’œil sur la quantité encore restante dans le fût laisse imaginer jusqu’où ce défi pourrait mener.

Face à ce qu’il est convenu d’appeler la dérive du 21 de Réo, les autorités locales avec le nouveau conseil municipal en tête, ne restent pas indifférents. La situation est au cœur des réflexions afin de trouver des solutions idoines pour parer à la catastrophe.

Ladji BAMA
(Stagiaire)
yacoubama_byl@hotmail.com


Les autorités administratives et coutumières de Réo se prononcent sur les solutions de redressement du « 21 »

M. Mathieu Bayala, maire de Réo

Nous constatons malheureusement que la pratique du 21 prend l’allure d’une perversion d’une pratique sociale. Il est donc impérieux de réagir devant une telle situation. Il s’agira d’abord de trouver des occupations saines aux populations dans l’intérêt de leur propre santé.

Notre programme en ce sens, débutera par la sensibilisation. Ensuite, nous passerons à une vitesse supérieure à travers la traque non seulement des buveurs mais aussi et surtout, des vendeurs, ceux qui préfèrent vendre la mort et ne poursuivent que l’argent. Cela suppose aussi des possibilités de rechange en matière de détente. La réhabilitation de notre salle de cinéma peut être un grand recours.

M. Salfo Dabaré, commissaire de police de Réo

L’abus de l’alcool est réellement très sérieux à Réo. La lutte contre ce fléau ne peut être menée de façon isolée. Même si une commune décide de le faire, ce sera très difficile. Il faut une politique nationale qui prenne en compte cette lutte afin que ce soit un mouvement d’ensemble.

Il faut aussi un minimum de respect des textes en la matière car des textes existent mais qui sont royalement foulés aux pieds. Par exemple, pour une population donnée, il y a un certain nombre de débits de boissons autorisés. Aussi, un débit de boissons ne peut s’ouvrir à moins de 400 m d’une caserne. Rien de tout cela n’est respecté. Voilà au nez de notre commissariat, un débit de boissons. Dans les grandes villes comme Ouagadougou, les débits de boissons se situent même dans les casernes et s’ouvrent, de surcroît, au grand public. Il y a donc une sorte de laxisme vis-à-vis des textes qu’il faut commencer par corriger.

M. Evariste Bassolé, chef coutumier de Réo

Nous allons redresser le "21 de Réo". Avec le nouveau maire, nous allons mener une lutte farouche contre certaines pratiques qui ternissent l’image de notre cité. L’alcoolisme sera combattu sans répit. Les marchés désormais seront fermés dès 18 h. Les marchés de nuit et autres formes de cabarets aux abords des rues, la nuit, seront réglementés.

Mais avant tout cela, nous allons trouver du travail aux jeunes parce que c’est parce que les gens ne travaillent pas qu’ils ont le temps de boire. Nous allons donc demander l’appui du ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques pour avoir au moins une deux cent cinquantaine de puits à grand diamètre de 20 mètres de profondeur pour leur permettre de travailler toute la saison. Quant aux dolotières, elles seront interdites de vendre au bord des routes et de vendre le « qui ma pousse ». Celles qui seront prises en flagrant délit seront sanctionnées.

Pour les 5 ans à venir, nous allons mettre de l’ordre à Réo.

Propos recueillis à Réo par Ladji BAMA


Bado, le tabou

L’actualité dans le Sanguié, c’est aussi le départ de Laurent Bado de la tête de son parti, le PAREN.

Cet événement, si le commun des mortels en parle au détour d’une calebasse de dolo ou d’une bière, fait plutôt figure de tabou dans le microcosme politique local. En effet, la plupart des responsables politiques de la région à qui Sidwaya a demandé de se prononcer sur le sujet, a religieusement refusé. « Je n’ai pas de commentaire », a laissé entendre plus d’un.

Cependant, M. Mathieu Bayala, maire de Réo n’est pas de ceux-là. Lui a bien voulu se prononcer sur l’acte du chantre du tercérisme. « Il est assez difficile de se prononcer sur les actes d’un homme politique aussi averti que mon cousin Laurent Bado », a-t-il laissé entendre.

Pour lui, celui-ci a dû faire sien, dans la gestion de son parti, l’idée de l’alternance ou de la convergence au lieu d’aller vers une sorte de personnification ou de personnalisation du pouvoir. Seul lui-même saura réellement expliquer son acte, a-t-il conclu.

L B.

Sdiwaya

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Vos commentaires

  • Le 1er août 2006 à 14:54, par Omoa En réponse à : > « 21 de Réo » : Les déviations d’une fête

    salut,
    en ce qui concerne l’article sur le 21 de Réo, je crois qu’il faut prendre l’affaire au serieux.
    Ce n’est pas de supprimer le 21 de Réo en tant que tel mais de lutter l’alcoolisme et le marché de nuit.
    Quand j’ai lu l’article, j’ai identifié trois problèmes : l’abus d’alcool, le marché de nuit, les mineurs dans ces lieux.
    1) Pour l’alcool, il faut trouver une autre source de revenue aux vendeuses. reflechir sur une industrialisation de la bière locale"Dolo". Beaucoup de jeunes boivent le tchap parce qu’il est moins cher et aussi parce que les vendeuses sont obligées de terminer leur stock par tous les moyens car le tchap n’est pas conservable.
    2) pour le marché de nuit, c’est les autorités comunales qui doivent faire fermer le marché à partir d’une certaine heure qu’elles auront fixée.
    3) pour les mineurs, il faut plutot sensibiliser les parents à travers les radios. Je crois que la plus part de ces mineurs qui sont sortent ont deja leurs parents dans ces lieux sous l’effet de l’alcoola aussi.
    Il ne faut pas ignorer le role que pourront jouer les forces de l’ordre.
    Le 21 de Reo est une fête bien pour les Réolais et environs mais faut pas qu’il soit transformé en un enfert.
    Cela est valable pour les 21 des autres villages. J’espère qu’à Zoula, c’est pas aussi grave.
    Merci

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