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Analyse critique d’une leçon de français dans Les écoles bilingues du Burkina Faso

Publié le mardi 3 mars 2020 à 15h11min

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leçon 1 : fãrend gטּls-biis d sẽn zoe n miẽ
(des symboles / lettres du français qui existe en moore)

Introduction

Le Burkina Faso a expérimenté plusieurs approches et plusieurs méthodes d’enseignement pour pouvoir offrir au jeune burkinabè un enseignement décolonisé et porté plus haut la culture burkinabè. Nous avons parcouru beaucoup d’ouvrages et d’articles produits dans ce cadre par nos devanciers. La majorité des travaux qui nous ont inspirés, sont ceux conduits par Norbert Nikiema, Gérard Kedrebeogo, Jules Kinda, Pierre Malgoubri et Ambroise Zoungrana.

Nous avons également parcouru les bibliothèques du Ministère en charge de l’éducation, de l’œuvre Suisse d’entraide ouvrière et de l’Association Manegdb-zanga. Dans le présent article, qui serait le premier d’autres fiches, nous voulons mettre en lumière des travaux auxquels nous avons participé et certains dont nous avons trouvés qui sont encore inconnu par la majorité des locuteurs du mooré.

Nous allons présenter une démarche méthodologique approuvé par la sous-commission nationale du mooré et partagé à travers les différents documents pour l’enseignement du mooré. La méthodologie adoptée est celle qu’on utilise chaque fois dans les préparations des cours à l’école primaire et surtout dans les écoles bilingues : elle comprend un objectif général, un objectif spécifique, et le déroulement de la leçon.

L’article comprend deux parties : présentation de la leçon et une analyse critique de la manière dont la leçon est conduite.

I. Présentation de la leçon dans l’ouvrage intitulé « BURKINA FASO Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation (MEBA), Nouvelle éducation de base

1.1. Objectif global
- Donner confiance à l’apprenant en lui faisant prendre conscience que tout n’est pas nouveau pour lui et que ce qu’il sait déjà en tant qu’alphabétiser en mooré va lui servir ;

- Faire prendre conscience à l’apprenant qu’il/elle peut déjà lire beaucoup de mots/énoncés français.

1.2. Objectifs spécifiques

A l’issue de la leçon, l’apprenant doit être capable de :
- lire tous les mots contenant des sons et des symboles qui s’écrivent et se prononcent/lisent comme en mooré, notamment :
.les trois voyelles i, o, a ;
.les 16 consonnes b, d, f, g, k, l, m, n, p, r, s, t, v, w, y, z ;
- savoir que « à » se lit [a] (comme le « a » sans accent) ;
- lire des phrases contenant des mots constitués seulement des sons et symboles de la leçon.

1.3. Observation
M : Ges-y sẽn be wel-kasengã zugã/Observez ce qui est au tableau.
Demander de souligner les « à » avec de la craie rouge (bao-y lakεrε-miuug n dẽeg « à » rãmbã).
(Accorder 1 à 2 minutes de lecture silencieuse) ; contrôler l’effectivité de la lecture ; ensuite :

1.3.1. Lecture guidée du corpus 1
- Demander à des élèves pris au hasard de lire le premier, le deuxième, le troisième… mot. Si un élève hésite dans la lecture, passer à un autre élève, jusqu’à avoir une lecture correcte que le maître approuve explicitement (oui !, bien :…)
- Donner le sens en moré après chaque bonne lecture.
N.B. Ne pas faire lire le sens par un élève ; dans la traduction, ® signale que le nom précédent est un nom de garçon ou d’homme, et (p) signale qu’il s’agit d’un nom de fille/femme.

- Demander d’épeler quelques mots autres que ceux du 5, 10 et 16 (qui contiennent (à) : approuver explicitement les bonnes performances.
- Demander comment se lisent les ‘à) et approuver explicitement la bonne réponse.
(M : B karemda wãn-wãna ?/comment est-ce qu’ils se lisent ?)
E : B karemda [a]. / On les lit [a].

M : yaa sɩda : a ne gem-poor karemda wa a-zaalga. (C’est exact ; « a accent grave » se lit comme un « a » ordinaire/sans accent).
Lecture magistrale du corpus 1 (le maître pointe au tableau ce qu’il lit).

1.3.2. Découverte de la règle
M : rẽnd d sã n kelgdẽ, farendẽ gטּks-biis nins sẽn be-b ka wã kaoreng zẽnga ne moorẽ wã bi ?/ Quand vous écoutez, est-ce que les lettres du français que vous voyez ici sonnent différemment que celles du mooré ?
E : Ayo (Non)
M : « a » ne gem-poor karemda wãn-wãna ? / Comment se lit « à » ?
E : « a » ne gem-poor karemda wa « a » zaalga ; [a]/ » a-accent-grave » se lit [a], comme le « a » sans accent.

M : Yaa sɩda/C’est exact).
1.3.3. Résumé de la règle
- Beaucoup de lettres du français s’écrivent et se prononcent comme en langue nationale (mooré). Malgré tout faisons attention ; observons et écoutons attentivement ;
- « à » (« a » avec un accent grave) se lit [a] comme « a » sans accent.
Exemple : à Bobo, là.
1.4. Lecture magistrale du corpus 1

- 1er lecture magistrale du corpus 1 (le maître pointe au tableau ce qu’il lit)
- 2è lecture magistrale du corpus 1, suivie à chaque fois de la lecture du sens en mooré (lecture alternée du français puis du sens correspondant en mooré).
- Faire relire à haute voix le corpus 1 par le maximum d’élèves pris individuellement au hasard ! l’élève interrogé lit ce qui est en français et donne en mooré le sens de ce qu’il a lu (sans avoir à lire sur la page de droite) ; ne pas suivre l’ordre de présentation des mots ;

- Rappeler au besoin le sens des mots et des phrases lorsque l’élève qui lit a oublié ou hésite/ne semble pas sûr ;
- Corriger toujours les lectures défectueuses, sans décourager l’élève.
- Lecture magistrale ;
Lecture finale par un bon lecteur ou par le maître.

1.5. Exploitation du corpus 2 (séance 2)
N.B. la méthodologie est indiquée dans l’introduction.
1.5.1. Observation du corpus 2
- Observation/lecture silencieuse du corpus 2 (partie en français seulement)
1.5.2. Lecture guidée du corpus 2

- Faire lire à haute voix les phrases en français sous 2.
- Déchiffrage, au besoin, des mots difficiles à prononcer.
1.5.3. Lecture magistrale du corpus 2
- 1ère lecture magistrale du corpus 2 (Le maître pointe au tableau ce qu’il lit)
- 2è lecture magistrale du corpus 2, suivie à chaque fois de la lecture du sens en mooré (lecture alternée du français puis du sens correspondant en mooré).
1.5.4. Lecture individuelle du corpus 2

- Lecture individuelle à haute voix par le maximum d’élèves interrogés, avec contrôle par le maître de la compréhension du sens de ce qui est lu ;
- Correction des lectures défectueuses
1.5.5. Lecture finale du corpus 2

- Lecture magistrale
- Lecture finale par un bon lecteur ou par le maître.
1.6. Lecture des corpus 1 et 2 dans les livres (séance 3)
1.6.1. Quelques interférences /difficultés à prévoir
a) – En mooré un g non initial est souvent prononcé grasseyé après les voyelles autres que i, u, et leurs correspondantes nasales. Comparer biiga [biiga] et bi-bɩɩga [bibɩ : Da]

toute tendance à appliquer cette règle en lisant le français devra être combattue tout de suite.
b) – I est souvent nasalisé et prononcé n après une consonne nasale, d’où manege [mãnDe] au lieu de malge (parler sãre de kougpèla). Donc veiller à faire bien prononcer mil et non *[min]

c) – r a une prononciation de consonne apico-alvéolaire (la pointe de la langue est collée aux alvéoles). En français le r grasseyé est celui qui est enseigné à l’école. On sait cependant que des français prononcent un « r roulé », apico-alvéolaire. La prononciation mooré n’est donc pas mauvaise au point qu’il faille exiger tout de suite un r grasseyé, difficile à réaliser, du moins dans certains contextes comme à l’initiale
d) – r en position initiale de mot est facultativement prononcé d en moore, surtout en contexte nasal ou si le mot comporte des r et/ou des t. Toute tendance à appliquer cette règle en lisant le français doit être immédiatement combattue, puisque le français oppose « il dira » à « il rira ».

e) – s non initial est souvent prononcé [h], option inexistante en français. Donc : [boris] et non *[borih].
f) – En mooré les voyelles sont toutes fortement nasalisées après une consonne (ou une autre voyelle) nasale. En français une voyelle orale peut suivre une consonne nasale.
g) – les voyelles i et u sont forcément nasalisées entre une consonne autre que le I et une consonne nasale, ce qui ne se fait pas en français. Veiller à faire prononcer [fini] et non *[fĩnĩ].

h) – Un a final réapparaît en 2ème position après un o ou un e, alors ouvert en [ε]]. Faire donc sentir qu’on dit [kola] et non *[koala].

1.6.2. D gom la d wטּm fãrende (Expression-Compréhension)
N.B. Le déroulement des séances d’expression-compréhension est expliqué dans l’introduction du présent guide

1.7. D gom fãrende (Expression orale)
Objectif : Etant donné une phrase du type sujet-Verbe – Complément circonstanciel, pouvoir identifier la position du groupe nominal sujet, du verbe et du groupe préposition + nom circonstant (à+N) fonctionnant comme complément circonstanciel, en faisant les substitutions appropriées.

 Wilg ned bɩ bῦmb ning yell b sẽn gomdã sẽn dabd zĩog ninga. (Indiquer où va celui/celle dont on parle) :
Makre : K-s : Sidiki - va a bobo
Ira k-b sidiki ira a Bobo
K-s partira Sidiki partira a Bobo

Va partir
Ira
Partira
 Wilg ziig ning b sẽn gomd a soab yellã sẽn dabdẽ (Indique là ou va celui dont on parle)
Makre K-s : Sidiki va a Bobo
Ziga K-b : Sidiki va a Ziga
Kaya Dori Fada /
Villages environnants dont viennent les élèves

1.8. D gטּls n togs ne fãrende (Expression écrite)
Lebg-y sẽn pטּgdã ne fãrende n gטּls y walsã zutu : (Traduises ce qui suit en français et écrivez-le sur vos ardoises)
1. A vivy laame. (Vivy a ri). 2. A Ali zoa. (l’ami d’Ali). 3. M baaba rabda
Kaya talaatã. (papa va à Kaya mardi)

1.9. D yeel woto ne fãrende (Contrôle de la compréhension)
1.A Liiza na n laa a Hawa. (Liza rira d’Awa). 2. A Gabi na n yeela a Sita : a David na n saa talaatã. (Gabi dira a Sita : David finira mardi) 3. A Gabi rẽgma monto wã.(Gabi a Sali la moto) 4. A Madi saame ? (Madi a fini ?)
5.A Hawa zoa wã na n saa midi wã. (l’ami d’Awa finira à midi).

D gטּlse (Orthographe)
Ges-n-gטּlse/kelg-n-gטּlse (Copie /dictée)
à à à à à à à

II. Analyse critique de la leçon

La leçon présentée comporte beaucoup d’insuffisance pour permettre au jeune burkinabè d’avoir des connaissances nécessaires pour la vie et pour son instruction personnelle.

II.1. Les insuffisances méthodologiques

Au-delà de ce qui a été présenté, les auteurs auront dû suivre la méthode suivante :
-  Titre de la leçon :
-  Matériel utilisé :
-  Temps mis :
-  Objectif général
-  Objectifs spécifiques
-  Déroulement de la leçon

Dans le déroulement de la leçon, les auteurs auraient dû commencer par la motivation, l’observation silencieuse pour permettre au jeune apprenant de découvrir ce qu’on veut lui apprendre. C’est après cela qu’on pouvait commencer le déroulement des différentes séances.

II.2. Les insuffisances sémantiques :

 La formulation de deux objectifs globaux dans une seule leçon : (i) Donner confiance à l’apprenant en lui faisant prendre conscience que tout n’est pas nouveau pour lui et que ce qu’il sait déjà en tant qu’alphabétiser en mooré va lui servir ; (ii) Faire prendre conscience à l’apprenant qu’il/elle peut déjà lire beaucoup de mots/énoncés français.

 L’objectif global devrait être formulé en un seul tenant. Il devrait être la synthèse des objectifs spécifiques. La formulation utilisée ici ne permet pas d’atteindre l’objectif réel visé pour l’apprenant.

II.3. Les insuffisances culturelles

Le contenu de la leçon tel que présenté ne permet pas au jeune burkinabè d’acquérir le nécessaire sur la culture moaaga .

Conclusion

En conclusion, la fiche contient beaucoup d’éléments pour le jeune élève, mais malheureusement elle pêche au niveau méthodologique, sémantique et du contenu. Le ministère en charge de l’éducation gagnerait en reprenant la conception de ces fiche en tenant compte des aspirations du peuple burkinabè.

Dr OUEDRAOGO Tiga Alain
INSS/CNRST
Mail : alainoued1@yahoo.fr

Référence bibliographique

Norbert NIKIEMA et al, « Fᾶrend zᾶmsg sebre, Manuel de grammaire du français en mooré », Karen-dot a 3 soaba 3è année. Collection Nouvelle Education de Base. Ministère de l’Enseignement et de l’Alphabétisation (MEBA),2003.

NIKIEMA NORBERT et KINDA JULES, « Dictionnaire orthographique du moore. SOGIF. Ouagadougou-1995

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